Coronavirus : les mécanismes de la panique

Des prédateurs préhistoriques à la course effrénée au papier toilette, l'inconnu et l'anxiété qu'il induit provoque dans nos cerveaux des sortes de court-circuits.

De Amy McKeever
Publication 18 mars 2020, 13:33 CET
Ces étagères normalement remplies de lingettes pour les mains, de solutions hydroalcooliques et de papier toilette ...
Ces étagères normalement remplies de lingettes pour les mains, de solutions hydroalcooliques et de papier toilette sont vides dans un magasin en Virginie alors que les gens font des stocks en prévision des restrictions liées à l'épidémie du coronavirus.
PHOTOGRAPHIE DE Win McNamee, Getty Images

Depuis que le coronavirus a commencé à se propager à travers le monde, nous découvrons, un peu effrayés, jusqu'où certaines personnes sont prêtes à aller pour constituer un véritable stock de papier toilette, de solutions hydroalcooliques ou de masques chirurgicaux. Alors que le nombre de cas confirmés de coronavirus augmente et que la plupart des pays européens ont recours au confinement de la population pour assurer une distanciation sociale, la peur de l'inconnu provoque ce qu'on appelle des « achats de panique » qui ont pour conséquence de vider les magasins plus rapidement que ceux-ci ne peuvent être réapprovisionnés.

De la grippe espagnole de 1918 - lorsque les habitants des grandes villes ont attaqué les pharmacies pour se procurer tout ce qui pourrait prévenir la grippe ou soulager ses symptômes - jusqu'au SRAS de 2003, les achats de panique sont un moyen pour les Hommes de faire face à l'incertitude induite par les épidémies.

« Quand vous voyez ces comportements extrêmes, c'est parce que les gens ont l'impression que leur survie est menacée. Ils agissent pour avoir l'illusion de contrôler la situation », explique Karestan Koenen, professeur d'épidémiologie psychiatrique à la Harvard TH Chan School of Public Health.

Mais qu'est-ce qui nous fait paniquer exactement - et comment pouvons-nous garder notre sang-froid en période de stress élevé comme celle que nous sommes en train de vivre ? Cela dépend de la façon dont les différentes zones de notre cerveau se répondent.

 

L'ÉVOLUTION DE LA PEUR EN PANIQUE

La survie de l'espèce humaine doit beaucoup à la fois à la peur et à l'angoisse, qui nous obligent à réagir immédiatement lorsque nous nous sentons menacés (exemple : on apprend qu'un lion se trouve au coin de la rue) et qui nous permettent de réfléchir aux menaces perçues (où seront les lions ce soir ?)

L'anxiété est une adaptation évolutive du cerveau humain, nous permettant de planifier les réponses aux menaces potentielles. Le 14 mars, des centaines de consommateurs californiens ont fait la queue pour entrer dans un magasin Costco pour se préparer à la pandémie de coronavirus.
PHOTOGRAPHIE DE Mario Tama, Getty Images

Le sentiment de panique survient quand une sorte de négociation mentale tourne mal. Koenen explique que l'amygdale, le centre émotionnel du cerveau, nous intime de nous mettre immédiatement hors de danger - et peu importe comment.

Mais le cortex frontal, qui gère nos réponses comportementales, insiste pour que nous réfléchissions d'abord à la localisation du lion. Quand pourrions-nous croiser à nouveau un lion, et que faire si nous le croisions ?

Parfois, l'anxiété peut se mettre en travers du chemin. Le cortex frontal est confus, car il y a trop d'interférences entre d'autres parties du cerveau qui sont déterminées à imaginer tous les scénarios possibles à l'issue desquels nous finirions dans la gueule du lion.

La panique se produit lorsque le tout court-circuite.

Alors que notre cortex frontal veut réfléchir au lieu où le lion sera demain soir, nos amygdales sont en surchauffe.

« La panique survient lorsque cette partie plus rationnelle de notre cerveau [le cortex frontal] est submergée par l'émotion », explique Koenen. Notre peur est si aiguë que l'amygdale prend le dessus et c'est là que l'adrénaline entre en jeu.

Dans certains scénarios, la panique peut sauver des vies. Lorsque nous fuyons face au danger immédiat que représente un lion planté face à nous, la réponse la plus rationnelle peut être de fuir, de se battre ou de ne plus bouger. Nous ne voulons pas que nos cerveaux passent trop de temps à débattre de la bonne conduite à tenir.

Mais s'en remettre uniquement à l'amygdale peut avoir de sérieux inconvénients. Dans son ouvrage de 1954, « The Nature and Conditions of Panic », Enrico Quarantelli, un sociologue qui a mené des recherches révolutionnaires sur le comportement des Hommes lors de catastrophes, raconte l'histoire d'une femme qui a entendu une explosion et a fui sa maison, pensant qu'une bombe allait s'abattre sur elle. Ce n'est que lorsqu'elle a réalisé que l'explosion s'était produite de l'autre côté de la rue qu'elle s'est souvenue qu'elle avait laissé son bébé chez elle.

« La panique, plutôt que d'être antisociale, est un comportement non social », écrit Quarantelli. « Cette désintégration des normes sociales… entraîne parfois la rupture des liens de groupe primaire les plus forts. »

La panique n'aide pas non plus avec les menaces à long terme. C'est à ce moment-là qu'il est essentiel que le cortex frontal garde le contrôle, nous alertant de la possibilité d'une menace tout en prenant le temps d'évaluer le risque et de planifier nos actions.

 

COMMENT L'INCERTITUDE MÈNE À LA PANIQUE

Si nous sommes inondés d'informations et de messages pendant cette pandémie, pourquoi certaines personnes amassent-elles du papier toilette dans leurs placards et se ruent-elles sur les solutions hydroalcooliques alors que d'autres nient les risques et préfèrent continuer à se rassembler dans les bars ?

L'être humain, par nature, est notoirement mauvais pour évaluer le risque en cas d'incertitude. Nous avons tendance à surestimer ou sous-estimer nos risques personnels.

Sonia Bishop, professeure agrégée de psychologie à l'Université de Californie, qui étudie la façon dont l'anxiété affecte la prise de décision, indique que cela est particulièrement vrai pour la pandémie de coronavirus. Les messages incohérents des gouvernements, des médias et des autorités de santé publique - comme toutes les recommandations variables sur la distanciation sociale - alimentent l'anxiété.

« Nous n'avons pas l'habitude de vivre dans des situations où tout change si rapidement », ajoute-elle.

 

LA PANIQUE ET NOS PRÉDISPOSITIONS PSYCHOLOGIQUES

Idéalement, nous devrions adopter une approche appelée apprentissage sans modèle pour évaluer notre risque face à l'incertitude. Cette approche est essentiellement une invitation à l'essai et l'erreur : nous nous appuyons sur nos expériences personnelles et mettons à jour progressivement nos estimations de la probabilité que quelque chose se produise, de la gravité de ce qui se produirait si cela arrivait et des efforts que nous devrions déployer pour empêcher que cela ne se produise.

Quand nous n'avons pas de modèles pour gérer une menace, ajoute Sonia Bishop, beaucoup de gens se tournent vers un cadre connu ou simulent des futurs possibles.

Et c'est là que le « biais de disponibilité » se glisse. Lorsque nous avons entendu ou lu beaucoup de choses - par exemple, un accident d'avion largement couvert dans les actualités - il devient si facile de s'imaginer dans un avion qui s'écrase que l'on peut surestimer le risque que représente vraiment un voyage en avion. « C'est cette facilité de simulation de scénario qui dépasse alors nos jugements de probabilité », explique Bishop.

De même, certaines personnes sont plus disposées à l'optimisme ou au pessimisme. Alors que les pessimistes ne peuvent s'empêcher d'imaginer avec impatience tous les scénarios apocalyptiques potentiels, les optimistes ont tendance à croire que rien de mal ne peut leur arriver. Même s'ils appartiennent à l'une des populations jugées vulnérables, ils trouvent un moyen de concilier cela avec leur vision du monde en s'assurant qu'ils sont en trop bonne santé pour mourir du coronavirus. « Cela nous redonne un certain [sentiment de contrôle] », explique Sonia Bishop.

 

Y A-T-IL VRAIMENT UN BON MOMENT POUR PANIQUER ?

Bien que les deux extrêmes soient en ce moment bien représentés, la grande majorité des gens font plutôt l'expérience d'une anxiété aiguë.

Une certaine dose d'anxiété peut être salutaire en cas de catastrophe. La peur peut être une motivation, elle augmente notre vigilance et nos niveaux d'énergie. C'est la peur qui nous rappelle l'intérêt de nous laver les mains, de continuer de s'informer et, oui, même de faire le plein d'articles essentiels dans les supermarchés.

Mais d'un autre côté, il est terrible de souffrir d'anxiété sur le long terme. D'une part, à mesure que nous devenons plus anxieux, il est de plus en plus difficile pour nos cerveaux de ne pas passer en mode panique. Des études ont prouvé que le stress chronique peut effectivement avoir une incidence sur l'activité des parties de notre cerveau qui nous aident à raisonner.

Sonia Bishop fait par ailleurs remarquer que nos corps ne sont pas faits pour vivre un stress et une anxiété aigus pendant des semaines, voire des mois. Bien qu'on observe un pic d'énergie à court terme, à mesure que le temps passe, ce sentiment premier laisse place à la mélancolie, voire la dépression. Cela peut finalement avoir de sérieuses implications sur l'endiguement de la pandémie, notamment si les populations, épuisées par la distanciation sociale, recommencent à sortir avant que la pandémie n'atteigne son pic.

 

INTERVENTIONS EN CAS DE PANDÉMIE

Jennifer Horney, experte en santé publique américaine, a formé des équipes d'intervention rapide pendant la pandémie de grippe H1N1 en 2009. Pour elle, réduire les incertitudes est essentiel pour garantir la bonne conduite des mesures prises.

Le coronavirus n'est pas un inconnu, note-t-elle. Les responsables de santé publique en savent déjà beaucoup sur les coronavirus, notamment grâce au précédents du SRAS et du MERS.

« Beaucoup des décisions politiques récentes sont des mesures de santé publique typiques que nous prenons pour endiguer les épidémies ; elles sont simplement prises à une échelle beaucoup plus grande », explique Horney.

« Nous mettons en quarantaine les navires de croisière très régulièrement en raison d'épidémies, mais il s'agit généralement de norovirus ou de grippe saisonnière. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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