L'Indonésie est devenue le nouvel épicentre de l'épidémie de COVID-19

« Au terme de la pandémie, nous aurons probablement perdu une génération. »

De Sydney Combs
Photographies de Muhammad Fadli
Publication 29 juil. 2021, 14:56 CEST
L'Indonésie est désormais un épicentre majeur de la pandémie de coronavirus avec plus de 49 000 cas confirmés ...

L'Indonésie est désormais un épicentre majeur de la pandémie de coronavirus avec plus de 49 000 cas confirmés par jour. Ci-dessus, les proches d'une victime de la COVID-19 versent de l'eau de rose et déposent des fleurs sur sa tombe du cimetière public Rorotan de Cilincing, dans le kota de Jakarta-Nord, le 21 juillet 2021. D'après les chiffres communiqués par les autorités fédérales, plus de 84 000 personnes auraient été tuées par le virus.

PHOTOGRAPHIE DE Muhammad Fadli, National Geographic

Il y a quelques jours à la gare des bus de Jakarta, plusieurs milliers de personnes formaient une file interminable dans l'espoir de recevoir l'une des 10 000 doses de vaccin contre la COVID-19 récemment mises à disposition par le gouvernement dans le cadre de son plan de vaccination d'urgence.

Pendant ce temps, de l'autre côté de la ville et dans une atmosphère plus grave, une foule se dirigeait vers la fosse commune récemment ouverte pour accueillir les dépouilles des victimes de la COVID-19. Là, les familles déposaient des gerbes de fleurs et murmuraient leurs derniers adieux pendant que des fossoyeurs creusaient de nouvelles tombes quelques mètres plus loin. Lors de son ouverture au mois de mars, il était prévu que le cimetière accueille 7 200 défunts, mais la ville prévoit désormais une extension de 10 hectares pour faire face à la vague de mortalité record enregistrée dans le pays.

Alors que la seconde vague déferle sur le quatrième pays le plus peuplé au monde, le gouvernement indonésien et ses citoyens ont beaucoup de mal à organiser leur réponse. La divergence des priorités, les retards de la campagne de vaccination et le report des mesures de confinement ont donné lieu à une situation catastrophique. D'après les experts, les conditions vont probablement continuer de s'aggraver pour beaucoup avant une éventuelle amélioration.

Vue aérienne d’un cimetière public de Jakarta-Nord, en Indonésie, le 21 juillet 2021. Ce cimetière a ouvert en mars et a une capacité de 7 200 personnes, mais il se remplit vite. Les autorités prévoient de l’agrandir car l’Indonésie est en train de devenir le nouveau foyer de l’épidémie.

PHOTOGRAPHIE DE Muhammad Fadli, National Geographic

Des milliers de Jakartanais se rassemblent dans l'espoir de recevoir l'une des 10 000 doses de vaccin administrées à la gare des bus Pulo Gebang, à l'est de Jakarta, dans le cadre d'un programme de vaccination massive.

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Avec plus de 49 000 cas confirmés par jour, l'Indonésie est devenue un épicentre majeur de la pandémie de COVID-19, aux côtés du Brésil et du Royaume-Uni avec une moyenne respective de 45 116 et 35 545 cas par jour.

L'Indonésie est également le dernier pays du Sud-Est asiatique à subir une flambée épidémique due au variant Delta et beaucoup pensent que le nombre de cas signalés sous-estime grandement la réalité. Plus de 27 % des personnes testées pour la COVID-19 sont infectées, ce qui suggère une circulation non détectée du virus dans la population encore plus importante. D'après une récente analyse des anticorps menée à Jakarta, la capitale du pays, près de la moitié des 10,5 millions d'habitants de la ville aurait déjà été infectée.

Parallèlement, les services de santé à travers le pays subissent une pression insoutenable. La semaine dernière, les hôpitaux de Java arrivaient à court de chambres et d'oxygène ; cette semaine, une situation similaire se profile à Bali. Les hôpitaux de Jakarta sont actuellement à 73 % de leur capacité, selon le vice-gouverneur. Pendant la première quinzaine de juillet, 114 médecins ont été emportés par le virus. Plus de 1 500 travailleurs de la santé sont morts depuis le début de la pandémie.

Pour le moment, le taux de mortalité due à la COVID-19 se situe autour des 2,6 %, contre 1,8 % aux États-Unis ou 2,8 % au Brésil, mais ce chiffre va probablement augmenter à mesure que le virus se propage vers les îles rurales de l'Indonésie où les infrastructures de santé restent fragiles.

À 16 ans, Zahwa Falisha reçoit sa première dose du vaccin Sinovac contre la COVID-19 dans le cadre d'un programme de vaccination massive au complexe sportif Otista de Bidara CIna, à Jakarta-Est. À ce jour, seuls 15 % de la population nationale a reçu une première dose.

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VERS UN NOUVEAU PIC

Il y a quelques semaines, le gouvernement a décrété dans l'urgence des mesures de distanciation entraînant des restrictions sur les voyages et les repas en intérieur ainsi que la fermeture de certains lieux de travail. Cette semaine, ces restrictions ont été ajustées pour permettre la réouverture des marchés traditionnels, de certains restaurants, des mosquées et des centres commerciaux. Une campagne de vaccination massive a également été lancée.

La part de la population complètement vaccinée en Indonésie ne représente que 6 % des 270 millions d'habitants. La dernière vague de vaccination a permis la distribution de 874 000 doses environ. L'objectif du gouvernement est d'atteindre les deux millions de doses par jour à compter du mois d'août. Cependant, en l'absence de vaccin développé sur place, le pays dépend de l'approvisionnement international.

« Nous devons agir le plus vite possible à l'échelle mondiale pour que les pays comme l'Indonésie aient accès aux vaccins nécessaires pour éviter la mort de milliers de personnes, » déclarait le mois dernier dans un communiqué le secrétaire général de la Croix-Rouge indonésienne, Sudirman Said.

Outre la lenteur initiale du déploiement de la vaccination, les tests restent encore inaccessibles pour la majeure partie des plus vulnérables. Le gouvernement offre des tests gratuits pour toute personne présentant des symptômes et les cas contact. Autrement, les tests PCR, capables de détecter le virus avant la période contagieuse, peuvent coûter plus de 60 $ (environ 50 €) alors que le salaire moyen est légèrement inférieur à 200 $ par mois (environ 170 €). Par ailleurs, un résultat positif peut entraîner des difficultés financières pour les citoyens aux revenus limités.

Fauzi, un travailleur informel, vend du café soluble près de l'hôtel Indonesia Roundabout, au cœur d'une zone piétonne populaire de Jakarta, en décembre 2020. La plupart de ses clients sont également des travailleurs informels qui ont subi de plein fouet la pandémie. Avant la crise sanitaire, il pouvait gagner jusqu'à 25 $ (~ 21 €) par jour. En décembre 2020, il peinait à gagner 10 $ (8,50 €) par jour.

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Yono (à gauche) et Faizin prennent la pose devant les plantes de leur serre installée sur un toit au quatrième étage de la grande mosquée Baitussalam de Taman Sari, à Jakarta-Ouest, en décembre 2020. Quelques locaux ont lancé le projet grâce à un don de 3 500 $ peu de temps après la mise en place d'un semi-confinement à Jakarta. Quinze personnes entretiennent le jardin et les bénéfices sont reversés aux agriculteurs et au fonds de prévoyance de la mosquée.

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Une soignante prépare une dose du vaccin Sinovac contre la COVID-19 dans un centre de vaccination massive de la Croix-Rouge indonésienne à Mampang, Jakarta-Sud, le 16 juillet 2021. Le centre est resté ouvert pendant 10 jours afin de vacciner 10 000 personnes. Le gouvernement entend administrer deux millions de doses par jour dès le mois d'août.

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Employés du service postal indonésien, Mustofa (à gauche) et Alfian sont en train de distribuer les indemnités gouvernementales aux résidents éligibles du sous-district de Kenari, à Jakarta-Centre. Entre janvier et avril 2021, 10 millions de personnes ont reçu chaque mois environ 21 $ (~18 €).

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« Ils sont nombreux à faire la queue au laboratoire pour un test, mais après avoir vu le prix du test, la plupart décident de ne pas le faire, » raconte Eusebius Pantja, économiste au MINDSET Institute en Indonésie.

« Ils veulent faire le test, mais s'ils sont positifs ils doivent arrêter de travailler. Comment vont-ils vivre après ? Cela freine beaucoup de monde, » ajoute Aloysius Gunadi Brata, économiste à l'université Atma Jaya Yogyakarta en Indonésie.

Le gouvernement fédéral rapporte 84 766 décès de la COVID-19 en Indonésie depuis le début de la pandémie. Cependant, pour Irma Hidayana, cofondatrice de Lapor Covid, un collectif qui rassemble et partage des informations sur la pandémie en Indonésie, le bilan serait largement sous-estimé. Aidée par plus de 150 bénévoles, elle compile régulièrement les données municipales sur la COVID-19 à travers 180 villes et 34 provinces. Le collectif affirme que le gouvernement fédéral aurait « ommis » plus de 20 000 décès dans le décompte national, lui-même bien inférieur à ce que déclarent les gouvernements inférieurs.

« À l'heure actuelle, le nombre de cas grimpe en flèche à cause de ces informations erronées, » déclare Hidayana. « La population ne mesure pas la propagation réelle du virus et sa dangerosité. Par conséquent, elle ne respecte pas les mesures sanitaires. » 

 

AU BORD DU GOUFFRE

Depuis le début de la pandémie, plus de 1,12 million d'Indonésiens ont basculé dans la pauvreté alors qu'ils travaillent plus longtemps et risquent l'infection. Plus de deux millions de personnes ont fui les villes surpeuplées pour travailler dans l'agriculture.

« Le chômage n'a pas dramatiquement augmenté, il est passé de 6 à 7 % seulement. Cependant, les emplois à haute productivité se sont transformés en emplois à faible productivité, » explique Faisal Basri, économiste à l'université d'Indonésie.

Les résidents de Kampung Starling, à Senen, Jarkarta-Centre, attendent les provisions distribuées par l'organisation à but non lucratif Foodbank of Indonesia en décembre 2020. À travers le pays, 31 % des familles ont subi des pénuries alimentaires au cours de l'année qui vient de s'écouler.

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Bon nombre de ceux restés en ville pendant la pandémie font face à de grandes difficultés financières.

« Je veux que tout revienne à la normale, comme avant la pandémie. Il y a trop de restrictions aujourd'hui, comment je fais pour gagner de l'argent ? Je ne vois plus la plupart de mes habitués, peut-être qu'ils ont fait faillite eux aussi, » se désole Yani, vendeuse de germes de haricots au marché Kebayoran Lama à Jakarta. Même si elle travaille plus longtemps, elle gagne désormais la moitié de son revenu avant la pandémie.

Les affaires vont mal pour Ahmad Afwan également, livreur de repas à qui il arrive parfois d'attendre des heures entre les commandes. « Si je ne gagne pas assez d'argent pour acheter à manger, j'espère que ma femme comprendra, » soupire-t-il.

À travers le pays, 31 % des familles ont subi des pénuries alimentaires au cours de l'année qui vient de s'écouler, d'après un rapport de l'ONU. Avant la pandémie déjà, plus de sept millions d'enfants en Indonésie souffraient de retard de croissance à cause de la malnutrition.

Roozmalinie (à gauche) et sa fille de 3 ans, Aquilla (au centre), ici mesurée par Kris Wati (à droite), dans sa maison de Pondok Melati, à Bekasi, dans la banlieue est de Jakarta. Wati est bénévole pour Posyandu, un service de santé communautaire dédié aux femmes enceintes et aux enfants. Avant la pandémie, plus de sept millions d'enfants en Indonésie souffraient déjà de retard de croissance à cause de la malnutrition.

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Des pêcheurs et des ouvriers du port de Muara Angke, une zone densément peuplée de Jakarta-Nord, reçoivent un repas distribué gratuitement par Wonder Food Indonesia en décembre 2020. L'organisation à but non lucratif, créée en mars 2019, fournit chaque semaine 3 500 repas aux communautés à faibles revenus essentiellement. À cause des restrictions récentes liées à la pandémie, Wonder Food Indonesia a dû stopper sa distribution pendant près de trois semaines le mois dernier.

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Les bénévoles de la Foodbank of Indonesia déchargent et entreposent 20 tonnes de sacs de riz dans une salle de classe à Cipulir, Jakarta-Sud, en décembre 2020. Aujourd'hui, l'organisation à but non lucratif a beaucoup de mal à récupérer des dons alimentaires auprès de commerçants en proie à des difficultés financières et à protéger ses bénévoles de la récente flambée épidémique. Sur le mois de juillet seulement, quatre membres de l'équipe sont morts de la COVID-19.

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« Au terme de la pandémie, nous aurons probablement perdu une génération, les enfants ne mangent pas suffisamment dans cette situation, » déclare Hendro Utomo, fondateur de la Foodbank of Indonesia, une organisation à but non lucratif qui supervise les programmes d'égalité alimentaire et les banques alimentaires à travers le pays. Aujourd'hui, l'organisme a beaucoup de mal à récupérer des dons alimentaires auprès de commerçants en proie à des difficultés financières et à protéger ses bénévoles de la récente flambée épidémique. Sur le mois de juillet seulement, quatre membres de l'équipe sont morts de la COVID-19.

D'autres organisations de lutte contre la faim comme Wonderfood Indonesia, qui redistribue des invendus et des dons alimentaires à Jakarta, ont dû suspendre leur distribution hebdomadaire de 3 500 repas gratuits à des communautés défavorisées pendant près d'un mois en raison des récentes mesures de distanciation sociale.

 

DERRIÈRE LE PIB 

Malgré les tensions, l'économie indonésienne, la plus puissante du Sud-Est asiatique, n'a reculé que de 2,1 % l'année dernière. À titre de comparaison, le PIB des États-Unis a chuté de 3,5 % en 2020 et de 8,3 % en France.

Les 10 % d'Indonésiens les plus riches se sont enrichis pendant la pandémie, indique Basri, l'économiste à l'université d'Indonésie. Le seul impact économique qu'il ait constaté sur les riches citoyens de Bali provient de la perte d'activité touristique.

Des fossoyeurs descendent le cercueil d'une victime de la COVID-19 dans sa tombe du cimetière public Rorotan, le 21 juillet 2021. Au pic de la dernière vague, les employés du cimetière devaient travailler sans interruption pour faire face à la file interminable d'ambulances et de corbillards qui contenaient parfois jusqu'à quatre corps.

PHOTOGRAPHIE DE Muhammad Fadli, National Geographic

D'après Basri, si le gouvernement se montre peu disposé à imposer des mesures strictes de confinement comme celles mises en place à Wuhan ou en France, c'est avant tout parce que le fonds de secours national ne pourra pas soutenir ceux qui en auront le plus besoin en cas de gel de l'activité. Parallèlement, le gouvernement a offert un allégement fiscal à l'industrie automobile en supprimant temporairement la taxe de luxe. « Comme vous pouvez le voir, certaines politiques favorisent les plus riches, » constate Basri.

Pendant ce temps, d'autres mesures liées à la pandémie menacent de creuser durablement le fossé entre les riches et les pauvres. Les enfants des travailleurs pauvres ont plus de mal à suivre les cours à distance, ce qui pourrait entraîner une cascade de problèmes au long terme, prévient l'économiste Susan Olivia de l'université de Waikato en Nouvelle-Zélande. Avec l'actuelle pression subie par le système de santé, les soins des personnes souffrant d'une maladie sans lien avec la COVID-19 seront différés. Les autres vaccins ou les visites médicales des enfants pourraient ne pas être effectués à temps. En outre, le stress et les pénuries alimentaires pourraient avoir des effets au long terme sur la santé, particulièrement chez les plus jeunes.

« [Le gouvernement] devrait utiliser cette crise pour engager des réformes, » affirme Olivia.

Desti Firdamayanti se repose dans sa maison du sous-district de Kenari, à Jakarta-Centre, en janvier 2021. Son mari, livreur de journaux, a vu son salaire passer de 100 $ (~ 85 €) par mois à seulement 30 $ (~ 25 €) pendant la pandémie. À quelques semaines de la naissance de leur premier enfant, le couple s'inquiète de cette situation financière malgré l'allocation sociale versée par le gouvernement.

PHOTOGRAPHIE DE Muhammad Fadli, National Geographic

Muhammad Fadli est un photographe documentaire et de portrait basé à Jakarta. Son premier livre, Rebel Riders, s'intéresse à la surprenante sous-culture indonésienne des scooters de l'extrême. Pour découvrir son travail, retrouvez-le sur Instagram ou son site Web.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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