Homo naledi aurait été le premier humain à enterrer ses morts

Si l'hypothèse est confirmée, le comportement adopté par cet homininé au petit cerveau précéderait au bas mot de 100 000 ans les plus anciennes sépultures connues à ce jour.

De Kristin Romey
Publication 7 juin 2023, 16:15 CEST
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Un groupe d'Homo naledi transporte un mort dans la grotte de Rising Star dans cette représentation d'artiste. De nouvelles preuves que ces homininés au petit cerveau auraient pratiqué l'inhumation délibérée remettent en question l'idée que nous pouvions nous faire de l'évolution de l'humanité.

ILLUSTRATION DE JON FOSTER, Nat Geo Image Collection

Une espèce humaine éteinte depuis plusieurs centaines de milliers d'années aurait volontairement enterré ses morts et gravé des symboles significatifs dans les profondeurs d'une grotte sud-africaine, un comportement humain moderne que les théories actuelles attribuaient uniquement à l'Homme de Néandertal et Homo sapiens. Si l'hypothèse est confirmée, le site de sépulture devancerait d'au moins 100 000 ans le plus ancien connu à ce jour.

L'hypothèse en question, introduite dans deux articles de recherche publiés le 5 juin 2023 sur le serveur de prépublication bioRxiv, a également fait l'objet d'une annonce par le paléoanthropologue Lee Berger à l'occasion d'une conférence donnée au sein de l'université d'État de New York à Stony Brook.

Ces publications interviennent huit ans après l'annonce, par ce même spécialiste, de la découverte d'une nouvelle espèce d'homininé dans les galeries du réseau de grottes Rising Star, à environ 40 km de Johannesburg. Baptisée Homo naledi, l'espèce se caractérise par sa petite taille, notamment un cerveau trois fois plus petit que le nôtre, et un mélange étonnant de traits anatomiques très anciens et relativement modernes.

Les ossements ont été découverts dans un seul sous-réseau difficile d'accès et la datation les situe entre -335 000  et -241 000 ans. À cette période, les humains modernes commençaient seulement à émerger en Afrique.

« Nous avons mis au jour l'espace culturel d'une espèce humaine non moderne, » indique Berger. Le projet bénéficie d'une bourse de la National Geographic Society, pour laquelle Berger est explorateur en résidence.

Ce squelette composite d'Homo naledi est entouré d'une partie des fragments découverts par centaines dans la grotte. Les scientifiques ont identifié plus de 18 individus, allant du nouveau-né au sénior.

PHOTOGRAPHIE DE Robert Clark, Nat Geo Image Collection

L'équipe dirigée par Berger a émis l'hypothèse de l'inhumation volontaire en 2015, en même temps que l'annonce de la découverte d'Homo naledi. Cette piste semblait offrir l'explication la plus plausible à la façon dont plus de 1 800 fragments osseux ont bien pu se retrouver dans une grotte souterraine uniquement accessible après une descente verticale de quatre étages, à travers une cheminée de 19 cm de large, surnommée The Chute (le toboggan, ndlr) par les spéléologues.

De plus, la position et l'état intact de certains fragments de squelettes suggèrent que les dépouilles auraient été déposés avec soin sur le sol de la chambre, et non jetées du haut de The Chute, dans quel cas elles auraient formé un amoncellement de restes humains à sa base.

Sceptiques quant à la possibilité pour un homininé au cerveau si petit de s'engager dans un comportement aussi humain, plusieurs experts ont préféré émettre l'hypothèse d'un dépôt des ossements par l'eau ou les prédateurs. Cependant, l'analyse de l'environnement et des sédiments de la grotte a permis d'exclure la première hypothèse et les os ne présentaient aucune trace de morsure.

En s'appuyant sur une probable cohabitation avec Homo naledi en Afrique du Sud pendant au moins 50 000 ans, d'autres sceptiques ont suggéré que les ossements avaient été déposés par des humains modernes passés par la Chute ou un autre passage effondré depuis. Là encore, l'équipe de Rising Star n'a découvert ni trace d'humain moderne ni signe d'éventuelle entrée secondaire.

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    En 2017, les chercheurs sont revenus sonder les galeries de Rising Star. La série de découvertes qui a suivi n'avait pas encore été entièrement révélée, c'est aujourd'hui chose faite. Parmi ces révélations figure notamment la concentration de restes d'Homo naledi appartenant à un ou plusieurs individus dans des cavités peu profondes qui traversent les strates du sol de la grotte et ne suivent pas sa pente naturelle, ce qui suggère que les cavités auraient été creusées. De plus, la composition du remblai des cavités diffère des sédiments présents à proximité. 

    Un ensemble d'os a été exhumé en blocs complets et figé dans le plâtre. Une analyse au scanner a permis de recenser au moins trois individus, notamment un juvénile proche de l'âge adulte. Les restes de ce dernier ont été découverts dans un état de conservation remarquable, notamment 30 dents dans l'ordre correct, deux séries de côtes partielles, le pied droit, la cheville et d'autres os provenant des membres inférieurs. Face à la découverte d'une pierre à proximité d'une main droite partielle, les chercheurs ont émis l'hypothèse d'un artefact ou d'un outil, une idée rapidement rejetée par divers spécialistes externes à l'étude.  

     

    UN PRIMATE PAS COMME LES AUTRES

    Le débat sur l'inhumation volontaire des défunts s'articule souvent autour des différences entre le comportement mortuaire et le comportement funéraire, indique André Gonçalves, qui étudie la façon dont les animaux interagissent avec leurs morts. Par exemple, les chimpanzés et les éléphants adoptent un comportement mortuaire lorsqu'ils veillent sur la dépouille d'un congénère ou interagissent physiquement avec celle-ci en s'attendant à la voir reprendre vie.

    Le comportement funéraire implique quant à lui des actes sociaux exécutés intentionnellement par des êtres dotés d'une pensée complexe qui s'identifient comme étant séparés de la nature et comprennent ce que signifie la mort. Jusqu'à présent, la plus ancienne preuve de comportement funéraire et d'inhumation volontaire chez les espèces d'homininés, incluant à la fois les humains modernes et l'Homme de Néandertal, remontait à 100 000 ans après Homo naledi.

    Surnommés les « astronautes des souterrains », les membres de l'équipe se fraient un chemin à travers un dédale de galeries étroites pour atteindre les salles isolées qui ont livré plus de 1 800 fragments d'os fossilisés. La mission exige un physique mince et des nerfs solides.

    PHOTOGRAPHIE DE Robert Clark, Nat Geo Image Collection

    « L'humain est un primate à part, car il enterre ses morts, » explique Gonçalves. « Aucun autre primate ne fait cela. »

    À la demande de National Geographic, des experts indépendants ont évalué les articles scientifiques et soulevé diverses préoccupations concernant les preuves de l'inhumation volontaire avancées. Certains maintiennent encore que l'eau aurait pu déposer les ossements dans les dépressions naturelles de la grotte, qui se serait ensuite remplie de sédiments au fil du temps. 

    Cependant, comme tient à le rappeler John Hawks, anthropologue membre de l'équipe Rising Star et coauteur de l'un des articles : « Notre preuve la plus solide est le fait que les sépultures perturbent la stratigraphie existante de la grotte. »

    Une autre critique concerne l'état des ossements, pour la plupart dispersés et déconnectés. « Le processus naturel de la décomposition ne suffit pas à expliquer ces déplacements, » assure la paléoanthropologue María Martinón-Torres, qui a étudié le plus ancien lieu de sépulture connu à ce jour en Afrique.

    Cela dit, les récentes découvertes ont tout de même réussi à semer le doute chez l'anthropologue Chris Stringer. « J'étais moi aussi sceptique face à l'idée qu'une créature dotée d'un petit cerveau comme Homo naledi ait pu s'aventurer dans les profondeurs d'une grotte pour y déposer le corps d'un défunt, » reconnaît-il. « Mais je dois dire en toute franchise, avec ce que j'ai pu voir à ce stade, que cela a effectivement changé mon opinion sur la probabilité de cette hypothèse. »

    De son côté, Gonçalves juge la série de découvertes « prometteuse », mais préfère attendre avant de se prononcer davantage. L'idée selon laquelle Homo naledi aurait adopté des comportements sensiblement humains n'est pas particulièrement surprenante à ses yeux, étant donné la proximité temporelle et spatiale entre les petits homininés et les humains modernes. « Six millions d'années nous séparent des chimpanzés et des bonobos, » ajoute-t-il. « Trois cent mille ans, ce n'est rien. »

    Working in tight quarters, Marina Elliott and Ashley Kruger excavate fossil remains in one of the cave's chambers. Out of 60 applicants for the original 2014 expedition, six intrepid women were picked.
    PHOTOGRAPHIE DE Elliot Ross, Nat Geo Image Collection

     

    UN MUR D'EXPRESSION ?

    Dans un second article, les chercheurs présentent une autre de leurs découvertes : un ensemble de formes et de motifs abstraits gravés dans les parois de la grotte, à proximité des potentielles sépultures. La surface marquée semble avoir été préparée avec une substance et lissée. Par ailleurs, certaines inscriptions semblent avoir été effacées puis recouvertes d'autres motifs, ce qui suggère une répétition de la pratique sur une période indéterminée.

    La composition des parois de la grotte, en calcaire dolomitique, constitue un obstacle à la datation et les chercheurs concèdent qu'il sera « difficile de déterminer si les gravures sont contemporaines des potentielles sépultures attribuées à Homo naledi, distantes de quelques mètres. »

    L'archéologue Curtis Marean précise que les motifs en croisillons qui ornent les parois de la grotte sont « très semblables » à ceux découverts sur des sites ultérieurs associés à Homo sapiens dans la région, ainsi qu'à l'imagerie khoïsane. 

    Tout en insistant sur la nécessité d'aller plus loin dans l'identification et l'analyse de l'ensemble des inscriptions, les chercheurs rappellent que la production de motifs, peints ou gravés, sur les parois d'une grotte ou toute autre surface, est considérée « comme une étape cognitive majeure de l'évolution humaine. » 

    Gauche: Supérieur:

    Diverses gravures de formes géométriques parmi lesquelles des carrés, des échelles, des triangles et des croix ont été découvertes sur les parois de la grotte en 2022. Leur lien avec les sépultures voisines doit faire l'objet de plus amples recherches.

    PHOTOGRAPHIE DE Berger et al., 2023b
    Droite: Fond:

    Le filtre polarisant utilisé pour cette photographie a permis de révéler les traces imperceptibles de précédentes gravures, effacées puis recouvertes. Ces inscriptions pourraient contribuer à démontrer que les représentants de l'espèce Homo naledi étaient bien plus évolués que la science ne le pensait jusqu'à présent.

    PHOTOGRAPHIE DE Berger et al., 2023.

    Dans un troisième article, Berger et ses collègues synthétisent leurs données relatives aux sépultures et à l'art rupestre pour s'attaquer à un autre postulat de longue date : plus le cerveau est grand, plus il donne lieu à des comportements complexes, comme la fabrication d'outils, la maîtrise du feu et la création de symboles.

    Le registre fossile montre que la taille relative du cerveau chez les populations d'homininés a augmenté au cours des deux derniers millions d'années, pour atteindre sa valeur maximale avec Homo sapiens. Alors que le cerveau d'un homme moderne atteint un volume moyen de 1 500 centimètres cubes, celui d'Homo naledi ne dépassait pas les 600 centimètres cubes.

    Si cet homininé au petit cerveau se livrait bel et bien à des comportements évolués, comme l'inhumation volontaire et la création de symboles associés à ces sépultures, alors la taille du cerveau ne devrait plus être considérée comme un facteur déterminant de la capacité d'une espèce à jouir d'une cognition complexe.

    Comme le soulignent les chercheurs, les homininés dotés de petits cerveaux sont à l'origine de nombreux développements majeurs de l'évolution humaine, notamment la création d'outils en pierre, les premières migrations hors d'Afrique vers l'Asie et l'utilisation du feu. En outre, une autre espèce au cerveau de petite taille, Homo floresiensis, est connue pour sa maîtrise des outils et du feu. C'est pourquoi les auteurs soutiennent que la structure et les connexions cérébrales auraient pu jouer un rôle plus important que la taille du cerveau.

    Gauche: Supérieur:

    Cette reconstitution du visage d'Homo naledi par un artiste d'après les restes de crâne découverts dans la grotte Rising Star met en lumière le mélange unique de traits primitifs et modernes.

    ILLUSTRATION DE Mark Thiessen, Nat Geo Image Collection
    Droite: Fond:

    Le volume de la boîte crânienne de ce crâne masculin composite d'Homo naledi atteint seulement 560 centimètres cubes, soit moins de la moitié du crâne humain moderne visible en transparence.

    ILLUSTRATION DE STEFAN FICHTEL, Nat Geo Image Collection

    Alors que les articles ne mentionnent pas spécifiquement de preuves attestant de l'utilisation du feu dans la grotte Rising Star, Berger indique que son équipe a relevé des traces de feu contrôlé au sein du réseau souterrain, notamment plusieurs dizaines de foyers. « Le site est recouvert de suie et d'os brûlés. Il y en a partout ! » dit-il. La datation des preuves au radiocarbone est prévue pour la suite des travaux. 

     

    UN ÉCHANGE MONDIAL

    La décision prise par les chercheurs de rendre publiques ces déclarations disruptives avant même leur publication dans une revue évaluée par les pairs est une source de frustration pour certains paléoanthropologues, ce qui n'empêche pas Berger d'assumer ce choix. Les articles paraîtront dans la revue en ligne eLife, aux côtés des évaluations et d'un éditorial, rendant ainsi le processus « transparent », explique le scientifique.

    « Vos lecteurs pourront assister aux interactions entre les auteurs (notre grande équipe), les évaluateurs et les éditeurs grâce à la politique de libre accès, » poursuit Berger. Les auteurs auront ensuite le choix de conserver les articles en l'état ou d'intégrer les commentaires des évaluateurs et d'autres scientifiques. « En fait, nous donnons au public l'occasion d'observer le processus d'évaluation et de comprendre son fonctionnement. »

    Les experts qui ont évalué les articles s'accordent sur un point : la paléoanthropologie entre dans une nouvelle ère, une ère marquée par la prise de conscience de l'existence d'autres espèces humaines capables de comportements encore récemment considérés comme étant le propre de « l'humain moderne ».

    Cet éveil suscite des attentes en matière de découvertes sur la façon dont vivait Homo naledi et son éventuel lien avec notre espèce. « Si cette espèce était adaptée à la vie dans les grottes et à l'exploration de leurs profondeurs, ce que sous-entend Rising Star, alors il doit y avoir d'autres preuves sur de nombreux autres sites en Afrique du Sud, » indique Stringer.

    « Le sujet mérite un échange mondial entre humains, » ajoute Berger. « Où allons-nous ensuite ? Comment donner suite à ces découvertes ? Nous venons de mettre au jour l'espace culturel d'une autre espèce qui n'est pas un humain [moderne], qui n'est pas au même stade que nous. Différente de nous. Comment réagir ? Voilà la réponse que j'attends. »

    L'anthropologue Marina Elliott prend une pause à l'entrée de la grotte Rising Star, qui commence seulement à nous livrer ses secrets. « Nous n'avons fait que gratter la surface, littéralement » témoigne Elliott. 

    PHOTOGRAPHIE DE Robert Clark, Nat Geo Image Collection

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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