Supprimer certains aliments peut favoriser l’apparition de nouvelles allergies
Les régimes alimentaires d’exclusion sont inévitables pour les cœliaques ou les personnes souffrant du syndrome du côlon irritable. Mais attention, si vous n'êtes pas malade, exclure des groupes d'aliments n'est pas recommandé.

Les bagels, qui contiennent du gluten, font partie des aliments souvent exclus dans les régimes d’exclusion. Mais les personnes sensibles aux allergies qui ne consomment pas certains aliments pendant trop longtemps pourraient perturber leur tolérance immunitaire et déclencher de dangereuses réactions.
Les régimes d’exclusion sont partout. Des parents qui tentent de calmer les crises d’eczéma de leurs enfants aux influenceurs qui arrêtent de consommer du gluten et des produits laitiers à la poursuite du « clean eating ».
Mais les chercheurs montrent qu’exclure des aliments de votre régime alimentaire peut subtilement changer votre réponse immunitaire lorsque que vous les consommez à nouveau. Chez certaines personnes, en particulier chez celles souffrant d’eczéma ou ayant eu des allergies alimentaires par le passé, cette perte de tolérance peut engendrer des réactions dangereuses, même des anaphylaxies, manifestations allergiques sévères pouvant être très graves, au moment de la réintroduction de l’aliment banni.
Ce risque est souvent négligé avec la popularité grandissante des régimes d’exclusion. Aux États-Unis par exemple, le Centre national de statistiques de santé des CDC (Centers for Disease Control and Prevention, Centre de contrôle et de prévention des maladies) déclarent que les Américains suivent plus de ces régimes que jamais. Certains le font parce qu’ils sont cœliaques ou souffrent du syndrome du côlon irritable, d’autres pour réduire les ballonnements, la fatigue ou les douleurs articulaires. Les tendance sur les réseaux sociaux comme le #cleaneating, n’ont fait qu’intensifier l’attrait de tels régimes. En 2024, plus de la moitié des Américains ont confié suivre un régime particulier, contre 38 % en 2019.
Cependant, pour le système immunitaire, une exposition régulière aux protéines alimentaires permet de maintenir un état de tolérance. Cet état peut être perturbé lorsque ces aliments disparaissent du menu pendant trop longtemps. Comprendre comment et pourquoi ce changement se produit est essentiel afin de savoir quand les régimes d’exclusion peuvent aider, et quand ils sont dangereux.
LA TOLÉRANCE ORALE ET LES ALLERGIES ALIMENTAIRES
« Le rôle de l’intestin n’est pas enviable », déclare Brian Vickery, responsable du département d’allergies et d’immunologie et directeur du programme sur les allergies alimentaires au sein de l’hôpital pour enfants Emory d’Atlanta. « Il doit identifier et répondre à un déluge constant de stimuli environnementaux qui peuvent être à la fois dangereux et sains. »
Le tube digestif, qui contient plus de lymphocytes immunitaires qu’aucune autre partie du corps, est confronté à des centaines de milliards de microbes et à plus de 30 kilogrammes de protéines alimentaires chaque année. Et pourtant, il parvient à se défendre contre des envahisseurs néfastes tout en ignorant les aliments qui ne présentent aucun danger et les bactéries bénéfiques.
Ce numéro d’équilibriste repose sur la tolérance orale, un procédé durant lequel les réponses immunitaires aux protéines alimentaires ingérées sont activement supprimées, ce qui enclenche les réactions néfastes, telles que les allergies alimentaires. Bien que l’on ne comprenne pas totalement les mécanismes immunitaires sous-jacents, cette dernière étude indique qu’ils commencent avec des cellules présentatrices d’antigène, qui capturent les antigènes alimentaires dans l’intestin et inhibent la réaction des lymphocytes T proches. Ce signal engendre des lymphocytes T régulateurs d’antigènes spécifiques, qui apaisent la réponse du système immunitaire aux protéines alimentaires.
« L’intestin est important à l’établissement initial de la tolérance », explique Michael Pistiner, directeur du département des allergies alimentaires, de leur prévention, explication et traitement au sein de l’hôpital pour enfants MassGeneral. « Si vous n’êtes pas déjà allergique, une introduction précoce aux aliments peut aider à soutenir la tolérance chez les nourrissons et prévenir chez eux le développement d’allergies alimentaires. »
Cette protection ne disparaît pas au sortir de l’enfance. Une exposition continue et régulière aux aliments participe au maintien de la tolérance orale tout au long de la vie. Des recherches récentes ont été menées chez des patients souffrant d’allergies alimentaires suivant un traitement d’immunothérapie orale. Il s’agit d’un traitement au cours duquel des doses toujours plus grandes d'aliments allergènes sont consommées par voie orale. Ces études soulignent que l’ingestion continue est souvent nécessaire au maintien d’un état désensibilisé. Inversement, il existe des preuves que les régimes d’exclusion chez certains peuvent déstabiliser la tolérance orale et encourager le système immunitaire à développer des allergies.
QUAND LES RÉGIMES D’EXCLUSION PROVOQUENT DES ALLERGIES
Pour les parents d’enfants souffrant d’eczéma, il est commun de suspecter que certains aliments empirent les crises. Beaucoup se tournent vers les régimes d’exclusion avec l’espoir de découvrir l’aliment responsable. Mais des études ont révélé un risque caché. Anne Marie Singh, professeure et cheffe de la division des allergies, d’immunologie et de rhumatologie de l’université Wisconsin-Madison, et ses collègues, ont évalué environ 300 enfants souffrant d’eczéma et suivant un régime d’exclusion.
« Nous avons découvert que, si l’on supprimait l’aliment de leur régime, sa réintroduction provoquait une augmentation significative des risques de réactions allergiques, y compris des réactions immédiates et potentiellement sévères », explique la scientifique. Les résultats étaient sans conteste : près d’un enfant sur cinq (soit 19 %) développait de nouvelles réactions allergiques immédiates lorsque les aliments exclus étaient réintroduits, même s’il n’avait aucun historique de telles réponses immunitaires. La plupart étaient bénignes, mais un pourcentage alarmant de 30 % des réactions étaient sévères et classifiées d’anaphylaxies.
Le danger n’est pas restreint aux enfants. Au cours d’une étude séparée menée sur trente adultes qui avaient développé des allergies alimentaires à des aliments qu’ils toléraient par le passé, 70 % suivaient des régimes d’exclusion au préalable. La moitié expérimentait des anaphylaxies, et la grande majorité d’entre eux (80 %) souffrait d’allergies préexistantes : allergies environnementales, asthme ou eczéma. Pour les patients sans historique allergique, le risque était beaucoup plus faible.
CE QU’IL FAUT SAVOIR AVANT DE SUIVRE UN RÉGIME D’EXCLUSION
Si vous pensez commencer un régime d’exclusion, les experts expliquent que l’approche la moins risquée dépend de votre niveau de risque. Si vous êtes une personne rentrant dans une catégorie à risque (enfant ou allergies préexistantes), consultez un professionnel de santé avant de commencer ce régime.
« Plus vous êtes allergique, plus un régime d’exclusion pourrait poser un problème », explique Anne Marie Singh. Michael Pistiner ajoute que « chez les nourrissons souffrant d’eczéma, les régimes d’exclusion peuvent être néfastes, surtout lors de cette période importante de leur vie, au moment de la diversification ». Les experts recommandent également que les enfants suivant des régimes d’exclusion soient suivis de près par des médecins afin d’assurer une adéquation nutritionnelle et une croissance normale.
La durée est également importante. Une phase d’exclusion plus courte laisse moins de temps à la tolérance orale de disparaître. Anne Marie Singh fait remarquer que « deux à quatre semaines d’exclusion pourraient être suffisantes pour observer une réelle différence, tout en étant assez court pour ne pas risquer de réaction allergique à la réintroduction de l’aliment ».
Dans certains cas, exclure totalement un aliment n’est pas nécessaire. Si les symptômes sont modérés, conserver une petite proportion tolérable de l’aliment dans son alimentation peut aider à maintenir la tolérance tout en apaisant l’inconfort, ajoute Anne Marie Singh.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
