Mélatonine : est-il possible d’en prendre trop ?

L’usage de la mélatonine est très répandu, et très peu compris. Et en prendre ne signifie pas forcément que l’on dormira mieux.

De Alisa Hrustic
Publication 16 août 2025, 11:46 CEST
La mélatonine, l’hormone naturelle du sommeil, peut être synthétisée et consommée pour ses effets sur la ...

La mélatonine, l’hormone naturelle du sommeil, peut être synthétisée et consommée pour ses effets sur la qualité du sommeil. Cependant, les experts avertissent que ses bienfaits ne s’appliquent qu’en certaines situations. En conséquence, elle n’est désormais plus autorisée à la vente sans ordonnance dans plusieurs pays, comme au Royaume-Uni, où elle n’est disponible que sur ordonnance médicale.

PHOTOGRAPHIE DE Rebecca Hale, National Geographic

Si vous vous êtes déjà tourné vers la mélatonine comme solution de dernier recours pour tenter de vous endormir, rassurez-vous : vous n’êtes pas seul. Des études de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) montrent que, en 2018, plus de 1,4 million de boîtes de compléments alimentaires contenant de la mélatonine ont été vendues en France. Et, aux États-Unis, près de deux tiers des adultes ont déjà eu recours aux compléments alimentaires pour rejoindre plus rapidement les bras de Morphée, selon un sondage de l’Académie américaine de médecine du sommeil (AASM, American Academy of Sleep Medicine).

Son attrait est indéniable. Le cerveau produit de façon naturelle cette hormone afin de réguler le cycle circadien. La forme synthétique de la mélatonine que l’on retrouve souvent dans les compléments alimentaires est une substance qui ne pose que peu de risques pour les adultes. De plus, elle est disponible sans ordonnance. Ces petites gélules ou comprimés sont de véritables phares dans la nuit pour les insomniaques chroniques.

« On peut facilement devenir désespéré », déclare Jade Wu, psychologue spécialisée en médecine comportementale du sommeil et autrice de Hello Sleep. « Je ne jette pas la pierre [aux personnes qui consomment de la mélatonine] qui tentent tout ce qu’elles ont à leur disposition. Et beaucoup se démènent pour ne pas abuser des médicaments sur ordonnance. »

Quand une faible dose de ces gélules de mélatonine n’est pas suffisante pour favoriser l’endormissement, certains n’hésitent pas à en prendre plus.

Mais Jade Wu, comme d’autres experts du sommeil, explique que la mélatonine est une hormone que beaucoup ne comprennent pas. La consommer sous forme de compléments alimentaires, nuit après nuit, n’aboutit pas nécessairement à une meilleure qualité de sommeil. Et, pour la plupart des personnes, en prendre d’importantes quantités ne changera rien. Cela conduit à se demander si l’on ne prendrait pas trop souvent de la mélatonine, et à trop haute dose…

 

LES EFFETS DE LA MÉLATONINE SUR LE SOMMEIL

Le corps humain se repose sur deux systèmes pour favoriser l’endormissement, explique Joshua Tal, psychologue clinique spécialiste de thérapie du sommeil, qui exerce à New York. Le premier est la pression homéostatique du sommeil, ou pression du sommeil, un procédé physiologique qui s’enclenche après le réveil. À mesure que passe la journée, il déclenche l’envie de dormir, tout comme la faim déclenche le besoin de manger, continue Joshua Tal.

La mélatonine influence le second système : le rythme circadien, l’horloge interne du corps humain. L’adulte moyen nécessite environ huit heures de sommeil chaque jour. Le rythme circadien détermine le moment où vous bénéficiez de ces heures de repos.

« La pression homéostatique du sommeil est responsable du nombre d’heures dont nous avons besoin et le rythme circadien optimise notre capacité à respecter ce temps de repos la nuit. » C’est l’explication de David Nelson Neubauer, spécialiste en médecine du sommeil et professeur associé de psychiatrie et de sciences comportementales du centre médical de Bayview Johns Hopkins.

Quand se rapproche l’heure à laquelle vous avez l’habitude de vous coucher, une petite partie de votre cerveau, le noyau suprachiasmatique, le « maître du temps » comme l’appelle David Neubauer, régule la production de mélatonine dans le sang via la glande pinéale. Cela vous rend moins alerte, ce qui vous aide indirectement à vous endormir ; le corps reçoit le message qu’il est temps d’être moins actif. Les niveaux de mélatonine restent élevés tout au long de la nuit et commencent à baisser lorsqu’arrive le matin.

 

CE QUE NOUS NE COMPRENONS PAS SUR LA MÉLATONINE

Les somnifères sur ordonnance, dont les benzodiazépines tels que la Valium ou d’autres médicaments comme l’Ambien, sont des sédatifs. Ils ont un effet de tranquillisant fort. Il est aisé d’en abuser et de développer une addiction sur le long terme.

En revanche, les compléments alimentaires contenant de la mélatonine peuvent faciliter le processus d’endormissement, mais ne vous aident pas à rester endormi. « Beaucoup pensent que la mélatonine est un genre de somnifère, mais elle n’a pas d’effet sédatif », explique David Neubauer. « Il s’agit plus d’un signal envoyé à votre rythme circadien. »

James K. Wyatt, directeur du département des troubles du sommeil et de recherches sur le rythme circadien au sein du centre médical de l’université Rush, à Chicago, explique que la prise de mélatonine peut fonctionner et être « formidable » si vous devez vous coucher à des heures incongrues : si vous travaillez de nuit et tentez de dormir la journée ou bien si vous souffrez de jet lag. Elle peut également être efficace pour les personnes dont le rythme circadien est perturbé ou qui souffrent de phases de sommeil décalées, rencontrant donc des troubles de l’endormissement et qui ne parviennent pas à se réveiller à des heures normales de la matinée.

Autrement dit, James Wyatt pense que la mélatonine chez la personne lambda, consommée sous forme de complément alimentaire, n’améliorera pas vraiment la qualité de sommeil. Bien que des études aient produit des résultats variés, Joshua Tal remarque que leurs découvertes suggèrent que la mélatonine ne fonctionnerait pas mieux qu’un placebo prescrit pour traiter l’insomnie. L’AASM ainsi que l’American College of Physicians (l’ordre américain des médecins) maintiennent également qu’il n’existe pas de preuves suffisantes pour recommander la prise de compléments alimentaires contenant de la mélatonine pour traiter de manière sûre l’insomnie dans ses stades initiaux.

 

PEUT-ON PRENDRE « TROP » DE MÉLATONINE ?

La plupart des données que les scientifiques ont recueilli sur la mélatonine sont basées sur une dose faible d’environ 0,3 à 1 milligramme, ce qui se rapproche de la production naturelle de notre corps. Les compléments alimentaires moyens apportent moins de 2 milligrammes de mélatonine par jour en France.

« Presque tous les médicaments ont une “relation dose-effet”. Plus la dose est importante, plus l’effet le sera aussi », explique James Wyatt. Mais la mélatonine est assez imperceptible parce qu’elle ne se comporte pas comme un somnifère typique. Consommer 3 milligrammes de mélatonine au lieu de 0,3 par exemple, « ne servira à rien d’un point de vue médical », remarque David Neubauer. Ainsi, prendre une dose importante n’aidera pas plus à s’endormir rapidement. Il subsiste néanmoins quelques exceptions : les études suggèrent que les hautes doses pourraient avoir des bienfaits pour les enfants autistes et les personnes souffrant de la maladie de Parkinson.

Une dose légèrement plus élevée que recommandée, sans entrer dans des nombres à deux chiffres, ne devrait pas engendrer d’effets néfastes chez l’adulte. Mais la plupart des gens en souffrance ont tendance à adopter une mentalité de « plus, c’est mieux » quand il est question des compléments alimentaires, remarque Jade Wu. Tous les experts du sommeil interviewés dans le cadre de la rédaction de cet article ont confié avoir eu des patients qui venaient les voir après avoir consommé des doses élevées de mélatonine, parfois jusqu’à 30 milligrammes en une nuit. Cela peut provoquer des effets secondaires dérangeants : maux de tête, assoupissement, nausées, étourdissements et des cauchemars. Des effets qui ne sont pas vraiment de tout repos.

Quant à savoir s’il est possible de faire une overdose de mélatonine, aucun consensus scientifique n’a encore été atteint sur la dose qui serait léthale pour l’adulte. Une dose atteignant les 30 milligrammes ne sera pas agréable, mais elle n’engagerait le pronostic vital qu’en de très rares cas. C’est une tout autre histoire pour les enfants, qui peuvent être hospitalisés à cause de risques sérieux d’empoisonnement.

Au vu d’un manque de données longitudinales, on ignore également s’il existe des effets négatifs sur le long terme dus à la prise de mélatonine, déclare James Wyatt. Dans un monde idéal, les scientifiques auraient régulièrement donné à un même groupe de participants à une étude de la mélatonine ou un placebo, les auraient suivis durant des dizaines d’années et auraient documenté les effets. Mais le financement d’une telle recherche est onéreux et complexe à réaliser, même pour des médicaments strictement encadrés. Il le serait donc encore plus pour un complément alimentaire.

 

CE QU’IL FAUT RETENIR

Soutenir la production naturelle de mélatonine de son corps n’est jamais une mauvaise idée, déclare David Neubauer. Pour le faire sans consommer de compléments alimentaires, il suffit d’opter pour un éclairage chaud et tamisé la nuit, d’éviter les écrans avant de se coucher s’ils provoquent une surstimulation et de faire son possible pour obtenir une dose de soleil peu après le réveil et au cours de la journée.

Si la prise de compléments alimentaires est indiquée dans votre cas, soit parce que vous voyagez beaucoup ou parce que vous travaillez de nuit, l’Anses recommande de ne pas dépasser plus de 2 milligrammes de mélatonine par jour.

La bonne nouvelle, c’est que les compléments alimentaires qui contiennent de la mélatonine ne représentent pas le même risque médical que les somnifères, explique Joshua Tal. Il est donc possible de consommer de la mélatonine sans craindre des effets de manque et de dépendance, ou de succomber à l’insomnie dès que l’on n’en prend pas.

Il est cependant nécessaire de savoir que l’on peut développer une dépendance psychologique à la mélatonine si l’on en prend avant de s’endormir, expliquent les experts. C’est d’ailleurs le cas pour tous les rituels qui précèdent l’endormissement. De nombreux troubles du sommeil sont liés à l’anxiété, à la peur de ne pas parvenir à s’endormir, continue Joshua Tal. Alors, en prenant une petite aide qui promet de faciliter ce procédé, qu’il s’agisse de mélatonine ou d'autre chose, on se donne le feu vert pour se détendre et s’endormir, créant une association positive entre ce comportement et l’endormissement.

Cet effet placebo puissant n’est pas forcément néfaste, sauf si derrière se cache un plus gros problème. Si vous souffrez d’apnée du sommeil non diagnostiquée, par exemple, vous pourriez être en train de retarder un traitement plus efficace si vous vous tournez tout de suite vers les compléments alimentaires plutôt que de vous rendre chez votre médecin, affirme David Neubauer. C’est la même chose pour l’insomnie : le traitement standard qui fonctionne le mieux consiste à suivre une thérapie comportementale pour l’insomnie, sans médicaments ou compléments alimentaires, remarque James Wyatt.

« La mélatonine n’est pas la panacée de tous les troubles du sommeil et elle pourrait même se retourner contre vous selon le trouble dont vous souffrez », avertit Jade Wu. « Alors levons le pied sur les réparations faciles et cherchons à découvrir la source du problème d’abord. C’est à ce moment-là qu’un professionnel du sommeil saura vous être utile. »

les plus populaires

    voir plus

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

    les plus populaires

      voir plus
      loading

      Découvrez National Geographic

      • Animaux
      • Environnement
      • Histoire
      • Sciences
      • Voyage® & Adventure
      • Photographie
      • Espace

      À propos de National Geographic

      S'Abonner

      • Magazines
      • Livres
      • Disney+

      Nous suivre

      Copyright © 1996-2015 National Geographic Society. Copyright © 2015-2025 National Geographic Partners, LLC. Tous droits réservés.