Pour la première fois, des chercheurs associent les microplastiques aux maladies cardiaques

D'après une nouvelle étude révolutionnaire, la présence de ces particules dans nos artères affecterait notre santé et augmenterait le risque de mortalité.

De Tara Haelle
Publication 17 avr. 2024, 10:50 CEST
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Les microplastiques s'infiltrent partout, même dans notre système sanguin, et leur présence est associée à un risque accru de crise cardiaque et d'accident vasculaire cérébral.

PHOTOGRAPHIE DE Robert Clark, Nat Geo Image Collection

Partout où se pose notre regard, il y a des microplastiques, même dans notre organisme. Selon une nouvelle étude, l'accumulation de ces particules dans nos vaisseaux sanguins serait associée à un risque accru de crise cardiaque, d'accident vasculaire cérébral et de mortalité.

L'athérosclérose est une maladie caractérisée par le dépôt de plaque dans les artères, ce qui épaissit la paroi des vaisseaux et réduit le débit sanguin dans la région affectée, augmentant ainsi le risque d'accident vasculaire cérébral, d'angine de poitrine ou de crise cardiaque. Cette plaque se compose essentiellement de cholestérol, de graisses, de déchets cellulaires, de calcium et de fibrine, une protéine impliquée dans la coagulation sanguine. La nouvelle étude portait sur 300 personnes atteintes d'athérosclérose dont certaines présentaient des microplastiques et des nanoplastiques dans les plaques tapissant leur carotide, une artère majeure qui traverse le cou et distribue le sang dans le cerveau. Chez les sujets dont la plaque contenait des microplastiques, le risque de crise cardiaque, d'AVC ou de décès après trois années de suivi était jusqu'à quatre fois supérieur à celui des sujets dont la plaque ne présentait aucune trace de microplastiques, selon les résultats de l'étude publiés dans la revue New England Journal of Medicine.

Depuis longtemps, les chercheurs ont conscience que les produits chimiques contenus dans les plastiques peuvent se détacher et entraîner des problèmes de santé, notamment en perturbant les hormones ou d'autres parties du système endocrinien.

« En revanche, c'est la première fois que nous observons un effet sur la santé humaine attribué aux particules mêmes », indique Philip Landrigan, pédiatre et épidémiologiste au Boston College qui n'a pas participé à la nouvelle étude mais a consacré la majeure partie de sa carrière aux effets des substances chimiques toxiques sur notre santé. Landrigan a notamment contribué à diriger les recherches sur l'empoisonnement au plomb qui ont incité le gouvernement des États-Unis à ordonner le retrait de la substance du gasoil et de la peinture.

« Jusqu'à présent, le consensus était le suivant : "Les particules sont là, mais nous ne connaissons pas leur impact." Cet article change la donne. » Pour Landrigan, cette étude devrait ouvrir la voie à d'autres travaux sur les dégâts infligés par les plastiques à d'autres organes, comme le cerveau, les reins ou l'appareil génital.

Comprendre : le cœur

Les chercheurs n'ont pas pu déterminer de quelle façon les microplastiques s'étaient introduits dans les vaisseaux sanguins, comme nous l'explique Giuseppe Paolisso, cardiologue à l'université de la Campagnie Luigi-Vanvitelli en Italie et coauteur de l'étude. Ces particules peuvent pénétrer l'organisme de différentes façons, notamment à travers l'air que nous respirons ou dans l'eau et la nourriture que nous consommons.

« Une chose est sûre, ces données doivent nous inviter à limiter l'utilisation du plastique dans notre vie quotidienne en lui préférant le verre », ajoute Paolisso.

Plusieurs études ont déjà montré que les microplastiques et les nanoplastiques étaient « presque omniprésents dans notre organisme », rappelle Kenneth Spaeth, docteur en médecine du travail au centre Northwell Health de New York, non impliqué dans l'étude. « Étant donné la composition de ces particules, il y a bien longtemps que les scientifiques suspectaient un impact sur notre santé. » Les résultats ne sont donc pas réellement surprenants, reconnaît-il, mais ils sont tout de même importants.

La majorité des données relatives aux micro et nanoplastiques (MNP) dont disposent actuellement les scientifiques proviennent d'études sur les animaux, indique Aazon Aday, cardiologue et spécialiste de médecine vasculaire rattaché à l'université Vanderbilt de Nashville, aux États-Unis. « Nous savions que les MNP pouvaient s'introduire dans le système sanguin et dans certains organes, mais cette étude va plus loin en constatant leur présence dans la plaque d'individus atteints de maladies majeures », explique-t-il. « Ce lien avec les maladies humaines fait donc de cette étude une référence. »

 

DES MICROPLASTIQUES AUX MALADIES CARDIAQUES

L'étude a recruté 304 adultes ayant subi une endartériectomie carotidienne, un acte chirurgical qui consiste à retirer la plaque accumulée sur les parois de la carotide. L'accumulation de plaque dans cette artère peut augmenter le risque d'accident vasculaire cérébral lorsqu'un fragment de la plaque se détache et obstrue une artère plus petite en limitant l'afflux sanguin.

Une fois la plaque retirée, les chercheurs l'ont analysée afin d'identifier d'éventuelles traces de plastiques, sans aller jusqu'à distinguer la proportion de microplastiques, particules dont la taille est inférieure à 5 millimètres, et de nanoplastiques, dont la taille est inférieure à 100 nanomètres.

Ils ont identifié du polyéthylène, le plastique le plus produit au monde, chez 58 % des patients. Ils ont également détecté du polychlorure de vinyle, ou PVC, chez 12 % des patients.

Lorsque les chercheurs ont observé les particules de plastique au microscope à balayage électronique, ils ont découvert des corps étrangers aux arêtes vives à l'intérieur des macrophages dans les plaques. Les macrophages sont des globules blancs qui encerclent et éliminent les microorganismes et d'autres intrus dans le corps en les avalant.

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    Sur cette micrographie, les flèches indiquent les particules de microplastiques, reconnaissables à leurs arêtes droites, détectées à l'intérieur d'une cellule macrophage.

    PHOTOGRAPHIE DE Micrograph by Marfella, et al., 2024

    Les chercheurs ont ensuite suivi 257 participants pendant deux à trois ans afin de recenser le nombre de crises cardiaques, d'accidents vasculaires cérébraux ou de décès, toutes causes confondues. Pour les patients dont la plaque contenait des MNP, le risque de crise cardiaque, d'accident vasculaire cérébral ou de décès au cours de la période de suivi était multiplié par 4,5.

    Pour le moment, les chercheurs ne sont pas en mesure de confirmer ou de préciser le rôle joué par les MNP dans les crises cardiaques ou les AVC, mais il est possible que ces particules provoquent une inflammation lorsque les macrophages convergent pour débarrasser notre organisme des corps étrangers. À mesure que l'inflammation augmente dans la plaque, des fragments pourraient s'en détacher plus facilement et pénétrer dans le système sanguin.

    L'hypothèse de l'inflammation est raisonnable puisque nous savons que les macrophages contribuent au développement de la plaque et que cette inflammation est importante dans les maladies cardiovasculaires, déclare Aday.

    « Si ces particules provoquent plus d'inflammation dans la plaque, celle-ci pourrait occasionner davantage de problèmes par la suite », poursuit-il, mais ce processus reste hypothétique à l'heure actuelle.

    De la même façon, personne ne sait si la nocivité provient plutôt des substances chimiques contenues dans les plastiques ou des particules mêmes. Comme nous l'explique Spaeth, ces plastiques se composent d'un grand nombre de produits chimiques, notamment des substances inflammatoires ou des perturbateurs endocriniens qui interfèrent avec la production d'hormones.

    Étant donné la diversité des substances chimiques potentiellement toxiques contenues dans les plastiques, les effets sur notre organisme peuvent être multiples, indique-t-il. À la différence des produits pharmaceutiques, soumis à des essais cliniques, il est contraire à l'éthique d'évaluer l'exposition environnementale aux microplastiques chez les humains dans le cadre d'essais randomisés contrôlés. « Malheureusement, nous sommes tous cobayes de l'expérience de la vie dans laquelle nous pouvons être étudiés. »

    Même si l'exposition générale aux plastiques dans l'environnement est difficilement maîtrisable à l'échelle individuelle, nous pouvons tout de même adopter un mode de vie connu pour réduire les risques de maladie cardiovasculaire, notamment en pratiquant une activité physique régulière, en optant pour une alimentation saine et en ne fumant pas.

    Il est difficile de mesurer la part de responsabilité de la pollution environnementale dans les troubles cardiovasculaires et les autres maladies, mais « des choix simples comme l'alimentation, l'activité physique et le mode de vie ont probablement plus d'impact que de se soucier du nombre de bouteilles en plastique qui défilent dans notre foyer », indique Spaeth.

     

    L'OMNIPRÉSENCE DU PLASTIQUE

    Les déchets plastiques ont plus que doublé depuis les années 2000 et pour la grande majorité d'entre eux, environ 80 %, ces déchets terminent leur cycle de vie dans les décharges où ils se décomposent en particules minuscules qui infiltrent l'eau et le sol avant de rejoindre notre chaîne alimentaire.

    « Aucune catégorie de plastique ne contribue autant aux déchets plastiques, aux micro- et nanoplastiques que le plastique à usage unique », souligne Landrigan. Les plastiques à usage unique représentent 40 % de la production annuelle de plastique ; cette catégorie rassemble notamment les bouteilles d'eau, les sacs, les emballages, les pailles et la vaisselle en plastique.

    « Dans le monde actuel, je ne pense pas que les consommateurs puissent se débarrasser de tous les plastiques, mais ils peuvent tout à fait réduire leur exposition », assure Landrigan. Pour cela, il suffit par exemple d'opter pour des gobelets ou des bouteilles en métal au lieu du plastique, de ne pas réchauffer sa nourriture au micro-ondes dans un contenant en plastique, car la chaleur accélère la décomposition des plastiques, suggère-t-il.

    Il est également possible de réduire son empreinte plastique, notamment en renonçant aux sacs en plastique chez les commerçants. En moyenne, un individu produit 221 kg de déchets plastiques chaque année aux États-Unis, contre 114 kg en Europe, selon les données de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

    « La population peut avoir un petit impact, mais c'est bien au niveau politique que l'effort devra être fait en raison de l'omniprésence des plastiques », indique Landrigan. Depuis 2022, l'Organisation des Nations unies (ONU) négocie le tout premier traité mondial sur le sujet au sein de la Coalition de la Haute Ambition pour mettre fin à la pollution plastique qui devrait se réunir dans quelques semaines pour finaliser le projet. L'étude publiée dans le New England Journal of Medicine devrait ajouter à l'urgence de ces négociations, ajoute Landrigan.

    Spaeth reconnaît que les résultats de l'étude sont « un peu effrayants et intimidants », mais il reste optimiste quant à la capacité de ce type de recherche à provoquer du changement. Comme nous le montre l'histoire de la santé publique, à mesure que les preuves scientifiques attestant du caractère néfaste pour la santé d'une activité humaine donnée s'accumulent, elles atteignent généralement un point de bascule qui incite à la prise de décisions politiques. 

    « À une époque, personne ne se souciait des effets de la pollution atmosphérique sur la santé. Puis, en une dizaine d'années, la science a apporté des preuves incontestables », raconte Spaeth. « Nous avons alors fait des efforts pour assainir notre air et nous avons obtenu des résultats bien réels, mesurables. » Un autre exemple est l'amiante, ajoute-t-il, interdit en France depuis 1997. Aux États-Unis, l'interdiction totale de l'amiante n'a été prononcée que le mois dernier.

    « Je pense que la volonté politique de s'attaquer aux plastiques va également progresser », indique Spaeth. Espérons que cela ouvre la voie à d'autres études permettant aux chercheurs de mieux cerner les risques posés par le plastique, conclut-il, « pour ensuite faire évoluer les politiques. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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