COVID-19 : les autorités de santé publique américaines ont-elles tenté d'étouffer un débordement viral animal-homme ?

Des documents officiels du gouvernement américain révèlent que les CDC ont mis plusieurs mois à annoncer publiquement qu’un cas de contamination de COVID-19 entre un animal et un humain avait eu lieu dans le Michigan.

De Dina Fine Maron
Publication 11 avr. 2022, 16:19 CEST
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En 2020, des visons de toute l'Europe, ici dans un élevage d'animaux à fourrure au Danemark, ont été infectés par un variant du COVID-19 qui présente deux mutations distinctes. Le même variant a par la suite été identifié chez des visons dans une élevage du Michigan, et chez quatre personnes vivant aux alentours.

PHOTOGRAPHIE DE Ole Jensen, Getty Images

Des documents du gouvernement américain obtenus par National Geographic fournissent un premier aperçu des coulisses de l’enquête menée par les Centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC) sur un cas suspecté de débordement du COVID-19 de l’animal à l’homme dans le Michigan, à la fin de l’année 2020. Les documents, et les déclarations faites par l’organisme suite à leur divulgation, indiquent que les CDC savaient déjà que des visons d’élevage avaient potentiellement contaminé des humains au moins trois mois avant d’avoir discrètement mis à jour leur site internet, en mars 2021.

Selon des chercheurs spécialisés dans la question du coronavirus, le retard de la divulgation au public de ce cas de débordement présumé pourrait avoir entravé leur capacité à surveiller efficacement la propagation du virus SARS-CoV-2 qui, selon les experts, risquerait de toucher une autre espèce, de muter, puis de revenir à l’homme sous la forme d’un variant plus dangereux ou plus contagieux.

« Cette situation devrait encore nous rappeler que la transparence est importante, et que plus vite nous sommes informés, plus vite nous pouvons agir », déclare Scott Weese, directeur du Centre pour la santé publique et les zoonoses de l’Université de Guelph, au Canada. Selon lui, si les informations sur les cas suspects de débordements avaient été diffusées plus tôt, elles auraient pu aider d’autres pays à mieux surveiller et réagir face à la pandémie.

Ces milliers de pages de documents, divulguées dans le cadre du Freedom of Information Act et dont une grande partie a été censurée, contiennent des e-mails échangés entre les CDC et les autorités de santé publique de l’État du Michigan, qui ont officiellement demandé l’aide de l’organisme le 8 octobre 2020, après avoir eu confirmation que des visons d’un élevage local avaient été contaminés. Les e-mails montrent que, en seulement quelques jours, les CDC ont envoyé quatre vétérinaires épidémiologistes dans le Michigan, qui ont effectué des prélèvements chez les visons de l’élevage, mais aussi chez certaines personnes vivant aux alentours afin d’étudier la propagation du virus.

En fin de compte, l’analyse du génome des échantillons de virus provenant de deux travailleurs de l’élevage et de deux personnes sans lien connu avec les visons a montré qu’ils avaient été infectés par un variant unique de coronavirus précédemment identifié chez ces animaux, et dans des cas de transmission de vison à l’homme recensés en Europe. 

Les CDC ont défendu leur décision de ne pas faire d’annonce publique formelle concernant ces constatations, qui n’ont été que très peu traitées par les médias américains au-delà d’un article paru dans le Detroit Free Press en avril 2021, soit un mois après que les CDC ont mis à jour leur site internet. L’un de leurs porte-paroles, Nick Spinelli, a déclaré à National Geographic par e-mail que toutes les « informations pertinentes » avaient finalement été publiées sur le site internet des CDC et que des cas similaires ayant été recensés en Europe, la nouvelle n’était pas « surprenante ou inattendue ».

Spinelli a ajouté que les génomes de ces quatre échantillons de virus étaient connus du public parce qu’ils avaient été téléchargés dans le GISAID, une base de données publique mondiale spécialisée sur les virus comme le COVID-19, entre le 4 novembre 2020 et le 23 février 2021. La base de données exige cependant que les utilisateurs s’inscrivent pour se créer un compte, sachent comment utiliser le site et comprennent la cartographie des séquences génomiques.

Tout au long de l’enquête des CDC, leurs porte-paroles avaient répété à plusieurs reprises à National Geographic qu’il n’y avait « aucune preuve de propagation du vison à l’homme aux États-Unis », y compris dans un e-mail envoyé début janvier 2021. Des échanges d’e-mails internes et des déclarations de Spinelli indiquent toutefois que ces affirmations étaient fausses : dès le 4 novembre 2020, les génomes viraux des deux travailleurs de l’élevage du Michigan s’étaient avérés présenter les mutations associées au vison et, fin décembre, le génome du troisième cas avait également été séquencé et téléchargé sur le GISAID.

 

LE RISQUE N’ÉTAIT PAS PLUS IMPORTANT

Selon Spinelli, rien n’indique que les visons jouent un rôle important dans la propagation du virus chez les humains, ou que les variants associés aux visons aient circulé à long terme dans les communautés du Michigan. En outre, les résidents de l’État n’avaient pas besoin de prendre de précautions supplémentaires à ce moment-là, d’après Angela Rasmussen, virologue à l’Université de Saskatchewan au Canada, car les recommandations relatives à la protection sanitaire, telles que le port du masque et la distanciation sociale, n’auraient pas changé.

Ces quatre cas observés dans le Michigan sont les seuls cas de débordements suspectés entre un vison et un humain aux États-Unis, d’après les CDC. En plus des visons, les seuls autres animaux qui auraient transmis le virus à des humains seraient un cerf de Virginie au Canada, et un hamster à Hong Kong.

Un nombre croissant d’autres espèces, dont des lions, des tigres, des gorilles, des hyènes, des chiens et des chats, s’avèrent être vulnérables au COVID-19, mais il est peu probable qu’ils jouent un rôle important dans la propagation du virus chez les humains, selon les affirmations des CDC et d’autres experts. 

 

MANQUE D’INFORMATIONS

Les CDC ne peuvent pas affirmer avec certitude que les visons ont transmis le virus à des humains, selon Spinelli. « Comme nous disposons de peu de séquences génétiques provenant des communautés vivant près de l’élevage, il nous est impossible de savoir avec certitude si les mutations proviennent des visons de l’élevage ou si elles circulaient déjà dans la communauté », dit-il.

D’autres experts affirment toutefois que, bien que les mutations se produisent aléatoirement, il est peu probable que le variant ait une autre origine. « Plus il y a de mutations, moins il est probable que cela soit le fruit du hasard », explique Weese.

Selon Rasmussen, l’absence de réponses définitives dans des enquêtes comme celle-ci souligne la nécessité d’investir davantage dans le séquençage du génome du virus, aussi bien chez les humains que chez les animaux infectés. Les épidémiologistes pourraient ainsi mieux combler les lacunes de leur cartographie, et comprendre comment le virus se transmet d’une personne, ou d’un animal, à l’autre.

Nous ne savons que peu de choses sur les quatre personnes du Michigan, mais le fait que deux d’entre elles (qui vivent dans la même maison, selon les CDC) aient contracté le variant associé aux visons alors qu’elles n’avaient aucun lien avec l’élevage suggère que le variant s’est propagé au-delà de l’élevage, dans la communauté, et a continué à circuler pendant des mois.

Les quatre personnes se sont complètement rétablies, précise Spinelli, et les visons survivants de l’élevage concerné se sont révélés négatifs au virus par la suite.

Les e-mails montrent également que l’Illinois était initialement réticent à autoriser l’entrée de peaux de visons provenant de l’élevage du Michigan sur son territoire, mais qu’il en a finalement accepté plus de 17 000 en novembre 2021. Les échanges montrent aussi que les CDC et les responsables de santé publique de plusieurs États s’inquiétaient de la santé mentale des éleveurs de visons, qui ont été témoins d’épidémies généralisées de coronavirus chez leurs animaux et reçoivent de plus en plus d’appels à mettre fin à l’industrie de la fourrure de vison.

En février 2022, la Chambre des représentants des États-Unis a adopté une loi interdisant l’élevage de visons dans tout le pays. Cette loi n’a pas encore été adoptée par le Sénat, mais elle bénéficie d’un fort soutien de la part des groupes de protection des animaux qui accusent cette industrie d’être à la fois inhumaine et trop risquée pour les humains.

L’Irlande a adopté au mois de mars une loi interdisant l’élevage d’animaux à fourrure. En 2020, le Danemark et les Pays-Bas, deux grands éleveurs de visons, ont abattu des millions de visons d’élevage, car ils craignaient des débordements du COVID-19. Les Pays-Bas ont voté l’arrêt immédiat de l’élevage de visons, précipitant ainsi la fin déjà prévue de leur industrie de fourrure de vison.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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