Fonte de la cryosphère : des virus millénaires pourraient s’échapper des glaces

Une simulation inquiétante prédit les dégâts que pourraient causer les virus millénaires qui commencent à s’échapper à mesure que les glaces du pôle Nord et du pôle Sud fondent.

De Marie Zekri
Publication 24 août 2023, 14:48 CEST
Des rennes qui font partie d’un troupeau de 350 têtes se dirigent par -55°C vers la ...

Des rennes qui font partie d’un troupeau de 350 têtes se dirigent par -55°C vers la vallée d’Oïmiakon en Russie, pour rejoindre la base de la communauté tribale indigène « Osikam ». 

PHOTOGRAPHIE DE Natalya Saprunova

Une récente parution dans la revue Plos Computational Biology présente les inquiétants résultats d’une simulation de vie artificielle dans le système microbien actuel dans le cas de la libération d’agents pathogènes avec la fonte de la cryosphère. Cette étude, menée par des chercheurs et biologistes internationaux, a été conçue à partir de la plateforme AVIDA, qui permet de croiser un large éventail d’études sur les dynamiques évolutives. Elle permet notamment de comprendre comment évoluent et se dispersent les infections virales et microbiennes.

Les scientifiques se sont posés la question suivante : comment une communauté microbienne emprisonnée dans les glaces depuis des millénaires, et donc coupée d’un schéma évolutif, pourrait réagir, et potentiellement représenter une menace de contamination, si elle était réintroduite au sein d’un système qui a évolué ? Quel serait le scénario de contamination par les virus millénaires à la sortie des glaces ? « Ces simulations essaient d’apporter quelques évaluations quantitatives quant à un risque potentiel d’émergence d’organismes qui pourraient entrer en contact avec des communautés modernes », explique le Dr. Giovanni Strona, biologiste chercheur pour la Commission Européenne, et auteur principal de l’étude.  

 

DES VIRUS EMPRISONNÉS, MAIS PAS POUR LONGTEMPS

On le sait depuis de nombreuses années, les glaces du globe contiennent de petites bombes à retardement biologiques qui ont été figées au fil du temps. De nombreuses espèces de virus, bactéries, et parfois mêmes de petits organismes, comme certaines espèces de nématodes, capables d’entrer en état de cryptobiose, sont parvenus à stopper leurs signes vitaux sur de longues périodes pour résister à des environnements extrêmes. 

Certaines espèces ont pu être réanimées après de très longues périodes, jusqu’à 750 000 ans, passées dans les glaciers ou le permafrost. C’est le cas de certains « virus géants », mais également d’une espèce de ver récemment découverte, qui a passé 36 000 ans dans le permafrost sibérien. La préoccupation majeure quant à la libération d’agents pathogènes est liée à la perturbation qu’ils pourraient induire sur la biodiversité, et potentiellement sur l’Homme.

Production artistique 2023 basée sur le projet CC-BY-SA d'Oksana Dobrovolska qui représente les virus, bactéries et organismes piégés dans la cryosphère.

PHOTOGRAPHIE DE Giovanni Strona

« Pour la plupart des simulations, le résultat final était que l’ancien virus ne pouvait pas s’établir », explique le Dr. Corey Bradshaw, directeur du centre de recherches en écologie internationale à l’Université Flinders au Sud de l’Australie, et co-auteur de l'étude. « Il n’avait pas le bagage génétique pour entrer en compétition avec la nouvelle communauté ». Il était jusqu’alors communément admis que les virus figés dans les glaces, au moment de leur libération, finiraient d’eux-mêmes par mourir, une fois confrontés à d’autres communautés microbiennes ou bactériennes.

Ce que l’on ne voit pas, c’est qu’aujourd’hui, pour la plupart des espèces envahisseuses contemporaines à échelle macro, « il y a plus de 99 % de tentatives de contaminations dans l’environnement qui échouent ». En d’autres termes, chaque jour se déroulent des interactions invisibles pour nos yeux. Des pathogènes tentent de prendre le dessus sur d’autres communautés bactériennes pour infecter des hôtes. La problématique n’est donc pas liée au nombre de tentatives échouées. 

Une corrélation de facteurs intervient alors, pour les microbes, comme pour les virus. Le succès d’une introduction d’un pathogène ancien dans une nouvelle communauté microbienne ou bactérienne se trouve d’abord à l’échelle de « l’individu » qui sera capable, ou non, d’entrer en compétition et de tenir tête suffisamment longtemps à la communauté récente pour l’emporter. Il faut également qu’il y ait un échantillonnage assez important pour qu’une population puisse s’établir. Or Giovanni Strona souligne qu’un « organisme qui a pu survivre dans la glace a aussi de bonnes chances de pouvoir survivre à des communauté organiques modernes ».

Parmi les milliers de simulations effectuées, « 3 % des établissements ont réussi chez le pathogène issu des glaces », explique Corey Bradshaw. L’étude souligne que le deuxième facteur qui entre en jeu est la capacité à proliférer et à durer dans le temps suffisamment longtemps pour intégrer une nouvelle communauté. « Et, pour environ 1 % des cas, cet établissement a affecté la diversité des hôtes microbiens ». Dans la simulation, ce 1 % a suffi à diminuer le nombre d’espèces déjà existantes. Il ne s’agit pas nécessairement du nombre d’individus, mais plutôt de leur diversité. Le plus grand changement alors constaté dans ces prévisions était « une diminution de 30 % du nombre d’espèces bactériennes hôtes ».

 

LA BIODIVERSITÉ, UN ATOUT MENACÉ

Pourquoi ce 1 % qui peut paraître infime est-il si important ? « Ce chiffre est bien plus grand qu’on ne le pensait », s’inquiète Corey Bradshaw. « On considérait jusqu’à présent que plus un virus était séparé d’autres virus, plus ses chances de réintroduction étaient faibles ». Cette tendance est vérifiée. Toutefois, dans de nombreuses simulations, les virus qui s’échappent des glaces ne parviennent certes pas nécessairement à s’établir, mais causent « d’importants dommages » sur la biodiversité microbienne actuelle.

« Des organismes sont constamment libérés dans l'environnement », explique Giovanni Strona. « On estime à peu près à 4 sextillions le nombre de cellules qui sont libérées à mesure de la fonte des glaces, à l’échelle de la planète, chaque année », ajoute Bradshaw. « C’est une estimation équivalente au nombre d’étoiles dans l’univers ». Donc proportionnellement, 1 % d’éléments pathogènes capables de s’établir représente une menace substantielle pour la biodiversité environnante. Il est donc fort probable qu’une propagation virale libérée par les glaces nous impacte dans les prochaines années. « On ne parle pas ici d’une potentielle apocalypse zombie, mais plutôt d’une autre conséquence du réchauffement climatique sur la biodiversité », explique Bradshaw. 

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    L'anthropocène, ou la sixième extinction de masse

    Des infections ont d’ailleurs déjà impacté la biodiversité par le passé. En 2016, une bactérie, l’anthrax, autrement connue sous le nom de « maladie du charbon », s’est échappée du permafrost sibérien, lequel fond de 30 à 60 centimètres chaque année. Plus de 2 300 rennes ont été décimés par la bactérie. Un petit garçon a également succombé à l’infection pulmonaire que la bactérie provoque, après avoir consommé de la viande de renne, essentielle à la survie des populations nomades de ces régions polaires. Une dizaine de personnes ont contracté la maladie.

    Si l’anthrax se soigne, des virus plus dangereux sont susceptibles de s’échapper des glaces, pour venir contaminer la biodiversité, et potentiellement l’Homme. « On a montré que ce n’est pas juste de la science-fiction », ajoute Bradshaw. « Il est probable que les actions combinées du réchauffement climatique et des processus évolutifs et écologiques mènent à ce type d’événements ». 

    Dans le contexte d’extinction de masse que l’on connaît aujourd’hui, que d'aucuns ont déjà nommée l’anthropocène, « il y a de moins en moins d’espèces et davantage de pathogènes », explique le Corey Bradshaw. Or, il a été prouvé dans plusieurs écosystèmes que « plus il y a d’espèces, plus il y a une résistance importante à des invasions » bactériennes ou microbiennes. C’est cette diversité écologique qui est le meilleur rempart face à l’expansion d’un pathogène, car elle peut bloquer ou du moins ralentir sa propagation.

    « Les pathogènes sont aussi des composants importants de l’écosystème », car ils assurent diversité et complexité, explique le Dr. Strona. Ce fragile équilibre biologique est perturbé par les activités humaines, qui détruisent les espèces les unes après les autres, depuis les débuts de l’anthropocène. La libération des virus anciens avec la fonte des glaces pourrait donner le coup de grâce à cette diversité essentielle à la vie.

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