Plongeuses de l’extrême : comment les haenyeo coréennes se sont adaptées au froid

Ces plongeuses extraordinaires perpétuent une tradition matrilinéaire de plongée, même enceintes. Dès leur plus jeune âge, elles ont appris à retenir leur souffle pour de longues plongées dans des eaux froides.

De Olivia Ferrari
Publication 28 juil. 2025, 17:42 CEST
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Beaucoup de femmes de l’île Jeju, au large de la pointe sud de la Corée du Sud, plongent depuis leur plus jeune âge et continuent tout au long de leur vie.

PHOTOGRAPHIE DE David Hogsholt

Des femmes septuagénaires rigolent et chantent sur une plage de Jeju, une île au large de la Corée du Sud, en se préparant à passer la journée à pêcher des mollusques. Quelques moments après, elles se jettent dans des eaux glacées, à 10° C, plongeant à des profondeurs de 10 mètres où elles collectent leur butin sur le plancher marin avant de rapidement remonter à la surface. Elles pêchent sans bouteille d’oxygène, plongent et remontent parfois pendant cinq heures par jour.

« À présent, elles portent des combinaisons, mais jusque dans les années 1980, elles ne portaient que des maillots de bain en coton », souligne Melissa Ilardo, généticienne de l’université de l’Utah, qui travaille avec ces femmes.

On les appelle les Haenyeo. Ces plongeuses perpétuent une tradition matrilinéaire de plongée, et ce même enceintes.

Leurs capacités impressionnantes sont, en partie, dues à un entraînement de toute une vie : elles ont appris à retenir leur souffle pour de longues plongées dans des eaux froides.

Au fil des générations pratiquant ce type de plongée, les gènes de ces plongeuses et ceux de leurs enfants ont sans doute évolué. Ces adaptations physiologiques leur permettent de plonger en toute sécurité, selon une étude parue récemment dans la revue scientifique Cell Reports.

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Les mutations génétiques observées dans ce groupe de plongeuses de l’île Jeju n’est qu’une autre pièce de ce puzzle qui montre que les humains peuvent s’adapter aux conditions extrêmes.

PHOTOGRAPHIE DE David Hogsholt

 

LES FEMMES DE LA MER

Les Haenyeo, un nom qui signifie « femmes de la mer » en coréen, plongent en groupe tout au long de l’année et pêchent des mollusques, comme des ormeaux ou des oursins, pour nourrir leur communauté.

C’est souvent jeunes et avec leur mère que ces femmes apprennent à plonger. Elles commencent cependant leur entraînement officiel à l’âge de quinze ans, un entraînement qui durera toute leur vie, explique Melissa Ilardo.

« Elles entretiennent une relation impressionnante avec la mer ; elles en sont les gardiennes. Elles prennent un grand soin de l’environnement marin », souligne la généticienne, admirative. Elle ajoute que les plongeuses ne récoltent pas les mêmes mollusques selon les saisons, laissant le temps aux populations végétales et animales de se regénérer.

Cette tradition matrilinéaire n’est pas aussi populaire chez les plus jeunes femmes. Les plongeuses ont en moyenne soixante-dix ans et sont peut-être la dernière génération de Haenyeo. Cela signifie que la fenêtre pour étudier ces traits génétiques pourrait être en train de se refermer. Melissa Ilardo explique que la tradition de plonger sur l’île Jeju remonte à des milliers d’années, bien que l’on ignore à quel moment elle est devenue exclusivement féminine.

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    Gauche: Supérieur:

    Une plongeuse de l’île Jeju, une Haenyeo (femme de la mer), photographiée en 1954. Certains historiens pensent que les habitants de l’île Jeju plongent depuis 1 700 ans.

    PHOTOGRAPHIE DE Universal History Archive, Universal Images Group, Getty Images
    Droite: Fond:

    Une statue honore l’ancienne tradition coréenne. En 1950, on comptait près de 30 000 Haenyeo sur l’île. En 2003, il n’y avait que 5 650 femmes enregistrées en tant que plongeuses, et 85 % d’entre elles avaient plus de 50 ans. Il pourrait s’agir de la dernière génération d’Haenyeo en Corée.

    PHOTOGRAPHIE DE Giulio Di Sturco, CONTRASTO, Redux

     

    L’ADAPTATION AUX EXTRÊMES

    Les corps humains sont capables de s’adapter et de s’acclimater pour tolérer des conditions extrêmes, comme les hautes altitudes et les températures glaciales.

    « Les humains s'adaptent, nous vivons partout », s’émerveille Joshua Tremblay, chercheur cardiovasculaire de l’université de Colombie Britannique, qui n’a pas pris part à la récente étude. 

    Cara Ocobock a travaillé auprès d’éleveurs de rennes en Finlande, fréquemment exposés au froid extrême. L’anthropologue de l’université de Notre Dame, qui n’a pas pris part à la récente étude, a découvert que leur corps tendait à avoir une plus grande quantité d’un type de graisse spécialisée dans la conservation de la chaleur.

    Certaines populations des hautes altitudes se sont adaptées, tant au niveau physiologique que génétique, aux niveaux relativement faibles d’oxygène atmosphérique, explique Joshua Tremblay. Cependant, ces adaptations varient. Les personnes habitant la cordillère des Andes produisent plus de cellules de globules rouges, tandis qu’au Tibet, les adaptations relèveraient plus de la concentration en hémoglobine. Toutes deux permettent au sang de ces personnes de transporter plus d’oxygène.

    Les plongeurs Bajau, les « nomades de la mer », d’Indonésie, ont développé de plus grandes rates, ce qui augmente la circulation des globules rouges et de l’oxygène au cours des plongées. C’est ce qu'a montré une étude menée par Melissa Ilardo, publiée en 2018. Cette découverte l’a conduite à étudier les Haenyeo afin de voir si elles présentaient des adaptations évolutives similaires. Elle mène cette recherche de concert avec Joo Young Lee, de l’université nationale de Séoul, qui travaille auprès des Haenyeo depuis plus de dix ans.

     

    TESTER UN SUPER-POUVOIR DE LA PLONGÉE

    Melissa Ilardo et son équipe ont comparé trente génomes de plongeuses Haenyeo à celui de trente personnes de l’île Jeju, qui n’étaient pas des Haenyeo, ainsi qu’à trente-et-un habitants de la Corée continentale. L’âge moyen des participants était de soixante-cinq ans. Tous les participants ont également participé à des simulations de plongée, lors desquelles ils ont submergé leur visage dans des baignoires remplies d’eau froide, tout en retenant leur respiration.

    Durant ces simulations, le rythme cardiaque des Haenyeo a diminué de plus de 50 % comparé aux autres groupes, ce qui les a aidées à retenir plus longtemps leur souffle, en limitant les besoins en oxygène du corps et réduisant le travail du cœur. Les chercheurs ont émis l’hypothèse que cette capacité était un résultat de l’entraînement de longue vie des plongeuses.

    « La différence de rythme cardiaque était vraiment spectaculaire », confie Melissa Ilardo. « Nous avons observé une plongeuse dont le rythme cardiaque est descendu à 40 battements par minute, en 15 secondes. »

    Les analyses de génome ont montré que les habitants de Jeju, plongeuses ou non, se distinguaient génétiquement des participants venant de Corée continentale. Les résidents de Jeju descendent probablement d’une petite population ancestrale, selon Melissa Ilardo, et ont été isolés du continent durant de longues années. La généticienne remarque que, au cours de l’Histoire, les personnes n’avaient parfois pas le droit de pénétrer sur l’île ou d’en quitter les côtes.

    Des participants de Jeju, 33 % étaient porteurs de deux variants génétiques qui pouvaient aider le corps à tolérer les pressions de la plongée. À titre de comparaison, seuls 7 % des participants du continent présentaient ces gènes. L’un des variants est associé à la tolérance au froid, ce qui rendrait les plongeuses moins sensibles à l’hypothermie. L’autre variant concerne la diminution de la tension artérielle diastolique.

    Ce variant génétique de la pression artérielle peut protéger les Haenyeo lorsqu’elles plongent alors qu’elles sont enceintes. Traditionnellement, les plongeuses continuent leur activité jusqu’à leur accouchement, s’impressionne Melissa Ilardo. Les chercheurs suggèrent que la baisse de la pression artérielle qu’engendre cette mutation pourrait prévenir les complications comme la prééclampsie, un risque pour la santé des femmes enceintes que la plongée peut exacerber.

    « C’est une activité qui génère un stress énorme sur le corps », explique Melissa Ilardo en parlant de la plongée en eau froide, « et nous pensons que ce variant génétique pourrait les protéger grâce à son action sur les vaisseaux sanguins, réduisant à la fois le risque pour la mère et pour l’enfant. »

     

     

    S’ADAPTER À UN MONDE QUI CHANGE

    Cette étude fait des Haenyeo la deuxième population connue qui semble avoir évolué pour la plongée, en plus des Bajau.

    « C’est une démonstration incroyable de la variation humaine, de son évolution et de sa souplesse », affirme Cara Ocoblock.

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    Une fois sous l’eau, les femmes fouillent le plancher marin à la recherche de crustacées. Elles travaillent parfois à des profondeurs de dix mètres sous la surface, repoussant les limites de l’endurance humaine.

    PHOTOGRAPHIE DE David Hogsholt

    La mutation génétique que présentent beaucoup des résidents de l’île Jeju pourrait faire plus qu’aider à la plongée, explique Melissa Ilardo. Elle pourrait être aussi expliquer pourquoi l’île a le plus faible taux de mortalité après un AVC de toute la Corée.

    « Ce serait vraiment incroyable si ces femmes, qui plongent enceintes comme les super-héroïnes qu’elles sont, étaient à l’origine de ce phénotype qui affecte la santé de toute l’île », s’exalte Melissa Ilardo. La généticienne ajoute qu’une meilleure compréhension du fonctionnement de ce variant génétique pourrait améliorer les traitements des maladies cardiovasculaires.

    Explorer comment le corps humain s’adapte et s’acclimate à des conditions extrêmes est également important dans ce contexte de changement climatique, déclare Cara Ocoblock. La scientifique se réfère au réchauffement de l’atmosphère et à l’augmentation des événements climatiques extrêmes, comme les tempêtes de neige et les canicules.

    « Mieux comprendre la capacité qu’a le corps humain de s’adapter à ces extrêmes et à en atténuer les effets ne pourra que mieux nous préparer pour ce que nous affrontons dès maintenant », conclut Cara Ocobock.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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