Le cannabis a-t-il un effet sur la fertilité ?
Une nouvelle étude établit un lien entre la consommation de cannabis et les problèmes de fertilité chez les femmes participant à un programme de FIV.

Bien qu'il demeure beaucoup d'inconnues concernant la consommation de cannabis et ses effets sur la fertilité, les chercheurs estiment qu'il est important que les patients soient informés des risques.
Pour de nombreuses femmes, tomber enceinte peut être un parcours frustrant et stressant, rempli de questions sans réponse. Certaines se tournent vers le cannabis pour les aider à gérer ce stress, mais une nouvelle étude suggère que la consommation de cette drogue douce pourrait en réalité aggraver les problèmes d'infertilité.
« Certaines personnes pensent que c’est une plante, que c’est naturel, et donc que ce n’est pas aussi risqué que d’autres drogues », explique Cyntia Duval, embryologiste clinique au CReATE Fertility Center de Toronto et autrice principale de l’étude. « Je pense qu'elles doivent savoir comment cela peut potentiellement affecter leurs ovocytes », c’est-à-dire les cellules immatures destinées à devenir des ovules.
Publiée le 9 septembre dans Nature Communications, l’étude fait partie des premières à examiner les liens entre cannabis et fertilité féminine. On ne sait pas encore exactement comment cela se manifeste dans le corps, si les diverses formes de cannabis présentent des risques différents, ni à quel point la substance est nocive dans un contexte de grossesse, comparée à d’autres drogues connues pour leur dangerosité, comme l’alcool.
THC ET FÉCONDATION IN VITRO
L’équipe de Cyntia Duval a suivi des patientes en parcours de fécondation in vitro (FIV) : des donneuses d'ovocytes et des femmes recevant leurs propres ovocytes. Les chercheurs ont utilisé les sous-produits du processus pour comprendre comment la maturation des ovocytes était affectée en présence de tétrahydrocannabinol (THC), le principal composé psychoactif du cannabis responsable de l’effet planant.
Ils ont d’abord examiné le liquide folliculaire, qui entoure les ovocytes. Plus la concentration de THC (et de ses métabolites) était élevée, plus vite les ovocytes arrivaient à maturité. Or, si tous les ovocytes doivent atteindre la maturité pour devenir des ovules, un rythme de maturation perturbé peut provoquer des anomalies de développement : moins d’embryons présentaient le bon nombre de chromosomes chez les patientes ayant du THC dans leur liquide folliculaire. Ces embryons sont rarement implantés lors d’une FIV, et lorsqu’ils le sont, ils aboutissent souvent à une fausse couche ou une mortinaissance.
Les chercheurs ont aussi étudié directement des ovocytes immatures, habituellement écartés au cours du processus de FIV. Exposés à des niveaux de THC équivalents aux taux moyens et élevés observés chez les participantes, les résultats étaient similaires : les chromosomes se divisaient plus difficilement.
Cependant, il reste impossible de prouver un lien direct entre THC et anomalies de maturation. Bien que de nombreuses participantes à l'étude clinique soient de jeunes donneuses, certaines patientes de FIV étaient plus âgées, ce qui peut aussi influencer les taux de maturation.
Cyntia Duval insiste sur le fait que ces résultats ne signifient pas qu’il est impossible de tomber enceinte quand on fume ou prend du cannabis : « Si les années 1970 nous ont appris quelque chose, c’est qu’on peut tomber enceinte en étant défoncée », relève-t-elle avec humour. « La vraie question, c’est comment le cannabis impacte directement l’ovocyte. C’est l’une des cellules les plus précieuses et uniques du corps, et aussi la plus difficile à étudier, à mon avis. »
CE QUE L'ON SAIT
Malgré ses limites, l’étude enrichit un domaine d'études où les données sont rares. Très peu de recherches ont été menées sur les ovocytes exposés au cannabis, et encore moins sur des ovocytes humains. Les études réalisées sur des ovocytes de vache ou de souris ont donné des résultats mitigés, sans examiner les métabolites du THC en plus du composé lui-même.
Chez les hommes, les résultats vont dans le même sens : les consommateurs de cannabis sont généralement moins fertiles. Une étude a montré que les hommes fumant du cannabis plus d’une fois par semaine présentaient une baisse de 29 % du nombre de spermatozoïdes par rapport aux non-consommateurs. D’autres études ont également révélé davantage de spermatozoïdes malformés.
« J’ai trouvé beaucoup d’informations sur l’impact du cannabis sur la fertilité masculine ou sur la grossesse, mais presque rien sur la fertilité féminine, à part dans des modèles animaux », regrette Cyntia Duval.
La raison pour laquelle il existe plus d’études sur le THC et la fertilité masculine est que c’est simplement un domaine plus facile à étudier. Même si les hommes ont des taux d’infertilité légèrement plus bas comparés aux femmes, tester du sperme est bien moins invasif que le prélèvement d'un ovocyte.
POURQUOI EST-CE SI DIFFICILE À ÉTUDIER CHEZ LES FEMMES ?
Lorsque des êtres humains participent à une étude comme celle-ci, les préoccupations éthiques sont plus importantes. C'est pourquoi tout ce qui a été utilisé dans cette étude était un sous-produit d'une FIV non urgente qui aurait autrement été jeté.
Si la FIV offre un cadre propice à l'étude du cannabis et de la fertilité, il s'agit en soi d'un processus intense, et demander aux participantes de s'inscrire à une étude de recherche en plus de cela est beaucoup leur demander. « Il faut passer par le processus de FIV, la stimulation ovarienne, puis le prélèvement d'ovocytes. Il s'agit d'une aiguille qui traverse la paroi vaginale, et il faut perforer les ovaires pour accéder au liquide folliculaire et à l'ovocyte », explique Cyntia Duval. « C’est bien plus invasif que les prélèvements réalisés chez les hommes. »
Le statut de drogue illégale dans de nombreux pays rend également ce type de recherche sur le cannabis plus difficile à mener, et les gens peuvent être réticents à parler de leur consommation personnelle, même quand elle est thérapeutique. « Je pense que, surtout pendant la grossesse, il y a une forte pression sociale pour ne consommer aucune substance, et les patientes sont donc beaucoup moins disposées à divulguer leur consommation, quel que soit le contexte », explique Torri Metz, médecin spécialisée en médecine fœto-maternelle à l'Université de l'Utah Health, qui n'a pas pris part à la récente étude.
De plus, dans environ la moitié des États américains, les professionnels de santé sont tenus de signaler toute consommation de substances pendant la grossesse. « De nombreuses patientes enceintes craignent les conséquences d'un signalement honnête de leur consommation prénatale de substances psychoactives à leurs prestataires de soins de santé », explique Qiana L. Brown, épidémiologiste à l'université Rutgers, qui n'a pas participé à l'étude. « Bien que les lois des États et les politiques associées à cette question varient considérablement, le signalement d'une consommation prénatale de substances psychoactives peut entraîner la séparation de la mère et du bébé peu après la naissance si celui-ci a été exposé à ces substances in utero », ajoute-t-elle.
Dans l'analyse de la FIV, 73 % des participantes dont le test de dépistage du THC et de ses métabolites s'est révélé positif n'ont pas signalé leur consommation de cannabis lorsqu'elles ont rempli leur questionnaire d'admission. L'analyse du liquide folliculaire a permis aux chercheurs d'évaluer avec précision la consommation de marijuana, mais dans de nombreux cas, les chercheurs s'appuient sur les déclarations des participantes, qui peuvent souvent être inexactes.
COMMENT LE CANNABIS PEUT-IL INFLUER SUR LA FERTILITÉ ?
Le corps humain produit ses propres cannabinoïdes, qui déclenchent un réseau de signaux et de récepteurs qui gèrent des fonctions essentielles telles que le traitement des émotions, le sommeil et la mémoire. Pendant la conception et tout au long de la grossesse, ce système est particulièrement actif et facilite le déplacement de l'embryon et l'implantation du placenta.
Ainsi, lorsqu'une personne consomme du THC, celui-ci interfère avec ce système, se lie aux récepteurs et modifie des fonctions telles que la mémoire et l'appétit. « Chaque fois qu'il existe une voie dans le corps qui comporte des récepteurs destinés à accomplir une fonction spécifique, et que vous l'interrompez en introduisant du cannabis qui peut interagir avec ces récepteurs de manière imprévisible et potentiellement perturber ces processus naturels, c'est là que nous nous inquiétons des effets indésirables », explique Torri Metz.
Mais nous ne connaissons pas les mécanismes exacts du THC dans les problèmes de fertilité potentiels, ni l'impact que différentes consommations de cette substance, qu'elle soit fumée ou ingérée sous forme de produits comestibles, peuvent avoir sur les ovocytes.
Néanmoins, « nous savons que le cannabis affecte le sperme. Nous savons que le cannabis affecte la grossesse, et cette étude démontre désormais qu'il affecte également les ovocytes et la fertilité », ajoute Torri Metz.
UN RISQUE SUPPLÉMENTAIRE ?
Certaines personnes se tournent vers le cannabis pour soulager les symptômes de nausée et de douleur qui peuvent accompagner la FIV et la grossesse, bien qu’il ne soit pas clair à quel point il fonctionne bien comparé aux alternatives, et qu’il puisse même aggraver la nausée, rappelle Ilina Pluym, docteur en médecine materno-fœtale à l’UCLA qui n’a pas pris part à la récente étude.
« Il y a beaucoup de désinformation et d'arguments marketing qui disent que cela apaisera vos nausées. J'observe en fait l’inverse », souligne Ilina Pluym. « Il y a certainement d’autres médicaments qui sont plus sûrs que nous pouvons utiliser pour traiter leurs nausées, pour traiter leur anxiété, pour traiter leur sommeil. »
Et, parce que le THC peut prendre plusieurs semaines à se dissiper dans le corps, la meilleure chose à faire est de l’éviter complètement si vous essayez de tomber enceinte, si vous êtes enceinte ou si vous allaitez, conseille-t-elle.
Il y a encore beaucoup de questions sans réponse sur la façon dont la marijuana peut affecter la fertilité, les personnes enceintes, et le développement fœtal, en particulier comparée à d’autres substances comme l’alcool, qui ont des syndromes nommés pour les effets qu'ils induisent. « Nous en sommes vraiment au commencement dans le domaine en termes d’exposition au cannabis et de quels sont ces risques pour la santé », reconnaît Torri Metz.
Le manque de recherche sur la marijuana comparée à ces autres substances ne signifie pas qu’elle est moins dangereuse, même si elle est devenue légale dans certains États. « Je pense qu’elle n’est peut-être pas perçue comme aussi nocive que le tabac, que l’alcool, même si elle peut l’être », souligne Ilina Pluym. « Ce n'est pas parce qu’une substance est légale qu’elle est sans danger pour la santé. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
