Manger des os serait bon pour la santé
Source de collagène, de calcium et de minéraux, les os sont même plus nutritifs que la viande, mais comment les intégrer à votre alimentation ?

Le collagène et la moelle ne sont pas les seules vertus que les os ont à offrir. Alors, pourquoi ne pas en manger plus ?
Il y a quelques années, une amie m'a parlé d'un repas qu'elle avait partagé avec des locaux alors qu'elle travaillait en Afrique subsaharienne. Au départ, rien d'extraordinaire : le village qui l'accueillait avait tué un poulet pour en faire un ragoût. Puis, après avoir mangé la viande, ses compagnons s'étaient ensuite attaqués aux os, pas uniquement en les rongeant pour ne laisser aucune trace de cartilage ou de tendons, comme le font de nombreuses cultures à travers le monde, mais bien en croquant l'os en lui-même.
Son histoire a piqué ma curiosité. Grâce à la récente obsession de l'Amérique pour les régimes carnivore et paléo, bon nombre de mes concitoyens sont désormais familiers avec la pratique qui consiste à bouillir des os pour élaborer bouillons et gélatines riches en collagène, une protéine qui représente 25 à 33 % de la masse protéique d'un animal, en majorité contenue dans les os, la peau et les tissus conjonctifs. Nous sommes également nombreux à découper ces os pour accéder à leur moelle riche et savoureuse, mais ni moi ni les autres inconditionnels des abats de mon entourage n'avions encore jamais entendu parler d'une personne qui dévorait les os tout entiers.
J'ai toujours faim de nouvelles techniques, textures et saveurs culinaires. Je me suis donc donné comme mission d'en apprendre plus sur les os comestibles. Au cours de mes recherches, j'ai découvert que de nombreuses cultures cuisinaient et mangeaient les os, pour une multitude de raisons convaincantes. La pratique est simplement moins visible dans les pays occidentaux.
ENTRE PÉRILS ET PROMESSES
D'après Joe Regenstein, nutritionniste à l'université Cornell, les os ont bien plus à offrir que le collagène et la moelle. Ils sont avant tout composés de calcium et de phosphate, mais aussi riches en minéraux comme le fer, le magnésium et le potassium. Leur profil nutritionnel varie selon l'espèce, le type d'os, l'âge et la santé de l'animal ou encore la façon dont ils sont préparés.
Le nombre restreint d'études sur le sujet ne permet pas d'identifier l'os le plus susceptible de combler un besoin alimentaire donné. Les os constituent entre 10 et 20 % de la masse d'un animal et ce sont souvent les tissus les plus denses en nutriments. Pourtant, comme le fait remarquer Jogeir Toppe, chercheur au sein de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, le secteur agroalimentaire relègue souvent cette matière nutritive au rang des déchets.
Contrairement aux chiens, notre mâchoire et nos dents ne sont pas conçues pour broyer des os solides et accéder à cette abondance de minéraux. Si nous essayons de mâcher un os rigide, nous risquons de créer des échardes qui pourraient bien érafler ou percer notre appareil digestif. Aïe. C'est peut-être la raison qui a poussé nos ancêtres à se concentrer sur l'extraction de graisse et de protéines de la moelle de certains os, en réservant le reste du squelette d'un animal à la fabrication d'objets plutôt qu'à l'alimentation. Comme nous l'explique Jennifer McLagan, auteure et chef spécialiste des abats, l'os est facile à sculpter, c'est pourquoi il était traditionnellement utilisé pour fabriquer toutes sortes d'objets du quotidien, des boutons aux patins à glace de certains peuples autochtones.
Néanmoins, l'analyse des coprolithes, les excréments fossilisés de nos ancêtres, suggère que certains peuples préhistoriques consommaient de petits animaux entiers, avec leurs os. La pratique était encore présente il y a peu dans certains pays, notamment la France avec la consommation de l'ortolan, interdite depuis 1999. De nos jours, il nous arrive encore de rogner l'extrémité des petits os de poulet bien cuits ou de manger entiers les poissons frits, sans se soucier de leurs arêtes. Ces pratiques sont particulièrement répandues en Afrique et en Asie, mais il n'est pas rare de voir les Occidentaux s'y essayer.
« Je pense que c'est arrivé naturellement », explique Regenstein de sa propre inclination à grignoter les os de poulet. « Sur le poulet frit, ils sont très faciles à manger. »
Cela dit, tout le monde ne se limite pas aux petits os. Divers témoignages suggèrent que dans les régions frappées par l'insécurité alimentaire, comme le Zimbabwe rural, certaines communautés consomment également des os longs, comme les fémurs. À l'instar de nombreuses traditions nées en temps de pénurie, la pratique semble persister comme habitude culturelle, même lorsque les communautés ont de nouveau accès à une nourriture abondante. Cependant, compte tenu des risques pour la santé dentaire et des dangers associés aux éclats d'os, l'habitude dépasse rarement les frontières de la zone où elle a vu le jour.
COMMENT MIEUX MANGER LES OS ?
Comme nous l'explique Regenstein, ces pratiques de consommation des os nous montrent que, même s'il nous est impossible de manger tel quel ce tissu dur en toute sécurité, nous pouvons le rendre plus sûr à consommer en l'attendrissant ou en le réduisant en poudre, ce qui nécessite également quelques précautions.
Selon des témoignages historiques, pour utiliser les os sans se soucier de leur taille, certains peuples les broyaient pour en faire une fine poudre. En Amérique, l'utilisation de poudre d'os comme complément alimentaire s'est poursuivie jusqu'à la fin du 20e siècle, jusqu'au décès de l'actrice Allison Hayes par empoisonnement au plomb lié à la consommation de pilules contenant de la poudre d'os. Au cours de leur vie, les grands animaux accumulent et concentrent dans leur organisme les métaux lourds issus de leur environnement, c'est pourquoi il est préférable de ne pas consommer trop de poudre d'os, un peu comme le thon avec le mercure.
En Occident, la prévalence des aliments riches et fortifiés en vitamine, associée à ce risque de contamination, a diminué l'intérêt pour le potentiel nutritionnel de la poudre d'os.
Si vous avez déjà utilisé des os pour confectionner un bouillon, vous savez que la chaleur et la pression suffisent à elles seules à ramollir ces tissus durs. Utilisez les mêmes os à plusieurs reprises et vous les verrez passer d'une matière solide comme la roche à une véritable bouillie. Dans certaines recettes modernes, les auteurs recommandent même de mixer cette bouillie d'os dans votre brouillon, puis d'en filtrer les morceaux pour créer une sauce ou une pâte riche en nutriments. C'est aussi pour cette raison que vous pouvez manger de petits poissons, comme les sardines qui subissent une chauffe extrême pendant le processus de mise en conserve, sans même remarquer que vous venez d'avaler leur squelette ramolli, indique Regenstein.
Grâce en partie aux scientifiques qui ont consenti à avaler des musaraignes entières pour la recherche, nous savons également que si un os est suffisamment petit et malléable, notre appareil digestif est capable de le digérer, ce qui nous permet d'extraire tant de calcium et de phosphore du poisson en conserve.
Plus l'os est grand et épais, plus il est difficile de le ramollir, ou de le croquer sans créer de dangereuses échardes. C'est là que le broyage de l'os en un repas dénué d'éclats entre en jeu.
L'exposition au plomb et à d'autres métaux lourds est un risque réellement associé à la consommation d'os, mais ce risque n'est pas nécessairement plus élevé que ceux associés à d'autres aliments communs. Pour Regenstein, les quelques pays qui ont restreint les possibilités de préparation des os pour la consommation humaine en s'appuyant sur les risques pour santé « sont allés un peu loin. »
Quoi qu'il en soit, il faut du temps et un certain coup de main pour ramollir ou réduire en poudre des os jusqu'à les rendre comestibles. Dans les pays développés où tout n'est que commodité, c'est peut-être dans cette dépense de temps et d'énergie plus que dans les enjeux sanitaires, suggère McLagan, qu'il faut chercher la véritable raison à la disparition de l'intérêt pour l'utilisation culinaire des os.
« Nous ne voyons plus l'utilité des os », insiste-t-elle. « Nous les voyons plutôt comme un désagrément, quelque chose dont il faut se débarrasser. »
VAINCRE LES TABOUS
Ces dernières années, un éventail d'universitaires et de start-ups ont commencé à explorer de nouvelles techniques pour transformer les os en ingrédient prêt à utiliser. J'ai notamment trouvé des sources attestant de l'utilisation des os dans les saucisses et le pâté, les nuggets ou les croquettes de poisson et même dans certains pains.
En Europe et en Asie, une poignée d'acteurs de l'agroalimentaire ont déjà commercialisé des produits contenant des os attendris, indique Toppe, sans que cela semble perturber les consommateurs. McLagan se montre sceptique face à ces start-ups qui vendent les os comme une pâte ou une poudre fortifiante invisible plutôt qu'un ingrédient nutritif à part entière. Cependant, comme le souligne Toppe, à grande échelle et pour le confort des consommateurs, une poudre stable est tout simplement plus facile d'utilisation.
Toujours est-il qu'en passant suffisamment de temps sur les forums dédiés à la cuisine, vous ne manquerez pas de croiser des âmes intrépides qui s'essaient à la cuisson des os entiers, que ce soit par éthique anti-gaspillage ou simple curiosité. Certains s'inspirent des traditions de leurs propres cultures, alors que d'autres – comme moi – improvisent avec un nouvel ingrédient juste pour l'amour du jeu.
À tous ceux qui souhaitent mettre un pied dans l'univers gastronomique du squelette, je recommande de commencer par les os de poissons frits. Ils sont faciles à préparer, gorgés de saveurs et se dégustent aussi bien à l'apéritif qu'au repas, seuls ou en accompagnement. Les grands amateurs de croquant pourront ensuite explorer d'autres options d'os comestibles plus chronophages.
À force de temps, de persistance et d'éducation, Toppe espère un jour assister au retour triomphal de la consommation des os à travers le monde.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
