Et si la vitamine D nous permettait de lutter contre le cancer ?

C'est ce que suggère cette nouvelle étude intrigante, menée sur des souris.

De Tim Vernimmen
Publication 3 mai 2024, 15:50 CEST
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La photographie ci-dessus représente un type de souris génétiquement modifiée, souvent utilisée pour tester la croissance de diverses cellules cancéreuses implantées.

PHOTOGRAPHIE DE MASSIMO BREGA, SCIENCE PHOTO LIBRARY

Notre système immunitaire est l'un de nos plus grands alliés quand il est question de freiner le développement d'un cancer, mais il a souvent besoin d'un coup de pouce. L'un des moyens de l'aider est d'utiliser une classe de médicaments appelés « inhibiteurs de points de contrôle ». Ces médicaments libèrent des lymphocytes T cytotoxiques, qui tentent alors de tuer les cellules cancéreuses. Cela peut être un traitement très efficace pour certains genres de cancers de la peau, du poumon et du rein notamment, mais malheureusement, il ne fonctionne pas chez tous les patients.

Une avalanche d'études publiées en 2018 ont démontré que le microbiote des patients aurait quelque chose à voir avec ça. Les personnes qui réagissent ou non au traitement par inhibiteurs de points de contrôle ont présenté des différences constantes au niveau des bactéries présentes dans leur intestin. En 2021, deux études ont montré que le transfert de microbes provenant de la matière fécale des personnes ayant réagi au traitement vers les intestins des personnes n'y ayant pas réagi pouvait améliorer les bénéfices thérapeutiques chez ces dernières.

Une découverte inattendue chez la souris, publiée dans la revue Science, laisse entrevoir un facteur qui pourrait expliquer pourquoi les personnes réagissent différemment à la chimiothérapie anticancéreuse : le niveau de vitamine D dans leurs tissus intestinaux pourrait favoriser la présence et la croissance de certaines bactéries qui stimulent les lymphocytes T cytotoxiques pour attaquer le cancer.

La vitamine D, que nous pouvons trouver dans nos aliments si on mange, par exemple, du poisson gras ou du jaune d’œuf, ou que nous pouvons produire lorsque nous sommes exposés à la lumière du soleil, joue un rôle crucial dans notre métabolisme et dans la santé de nos os, de nos muscles, de nos nerfs et de notre système immunitaire. Il y avait déjà des preuves démontrant que la vitamine D pouvait jouer un rôle protecteur dans la lutte contre le cancer, mais les nouvelles découvertes chez les souris restent surprenantes.

Caetano Reis e Sousa, immunologue à l'Institut Francis Crick de Londres, en Angleterre, et auteur principal de l'étude, estime que la question de savoir si les mêmes mécanismes fonctionnent chez l'Homme devra faire l'objet d'études approfondies, mais qu'elle mérite d'être étudiée.

« La vitamine D a un impact sur l'activité de centaines de gènes, donc c'est compliqué », explique Reis e Sousa. Mais dans plusieurs ensembles de données analysés par ses collègues et lui, les patients ayant un apport en vitamine D plus élevé avaient plus de chances de survivre à divers cancers et répondaient mieux à l'immunothérapie.

Les chercheurs ont également prouvé qu'au Danemark, où le soleil se fait rare plusieurs mois par an, des dossiers médicaux détaillés révèlent que les personnes qui manquaient de vitamine D avaient un risque élevé de développer un cancer au cours de la décennie suivante. « Il s'agit probablement d'une sous-estimation », déclare Reis e Sousa, « car certaines de ces personnes ont sans doute décidé de prendre des compléments en vitamine D après avoir appris qu'elles souffraient d'une carence. »

Selon Carsten Carlberg, biochimiste à l'Académie polonaise des sciences d'Olsztyn, qui étudie les effets de la vitamine D depuis des décennies et n'a pas participé à l'étude en question, celle-ci constitue une raison supplémentaire de veiller à produire ou à consommer une quantité suffisante de vitamine D. Il prévient toutefois qu'il serait imprudent de tirer des conclusions hâtives sur les effets chez l'Homme en se basant sur des résultats obtenus sur des souris. « Il y a 75 millions d'années d'évolution entre la souris et l'Homme. »

 

UNE OBSERVATION FASCINANTE

Reis e Sousa porte depuis longtemps un certain intérêt pour les gènes affectant les capacités du système immunitaire à attaquer les cellules cancéreuses. Pour identifier ces gènes, les chercheurs de son laboratoire travaillent avec des souris chez lesquelles ils ont découvert qu'un gène avait été désactivé. Ils soupçonnent précisément ce gène d'être impliqué dans la prolifération ou la suppression du cancer. En transplantant des cellules cancéreuses chez ces souris à l'ADN modifié, ils avaient la possibilité de documenter le temps qu'il fallait à ces cellules pour devenir une tumeur.

Lorsque son collègue Evangelos Giampazolias, qui travaille aujourd'hui à l'institut Cancer Research UK Manchester, a découvert la désactivation du gène, qui fournit des instructions pour la fabrication de la protéine de liaison à la vitamine D, réduisait la croissance des cellules cancéreuses de la peau chez les souris, Reis e Sousa a été intrigué. Mais, c'est l'expérience suivante, dit-il, « qui [lui] a vraiment mis la puce à l'oreille. »

Afin de s'assurer que leurs découvertes n'étaient pas dues à une anomalie environnementale propre au laboratoire, l'équipe de Reis e Sousa a élevé des souris porteuses du gène désactivé dans la même cage que des souris non modifiées.

À leur grande surprise, il s'est avéré que les tumeurs de leurs compagnes de cage se développaient plus lentement. Mais pourquoi la proximité d'un animal plus résistant au cancer ralentirait-elle la croissance des tumeurs chez des souris normales ?

 

LE POUVOIR DE LA MATIÈRE FÉCALE

Giampazolias et Reis e Sousa ont rapidement compris que l'une des explications était que les souris mangent les crottes de leurs congénères et que quelque chose à l'intérieur devait avoir été transféré aux souris porteuses du gène désactivé aux souris normales avec lesquelles elles étaient en cage.

Pour vérifier si l'effet avait quelque chose à voir avec les microbes intestinaux des souris génétiquement modifiées, l'équipe a administré des antibiotiques à certaines des souris dont le gène était désactivé. Lorsque la résistance au cancer ainsi que la capacité des souris à la transmettre à leurs compagnes ont disparu, il est devenu clair que les bactéries intestinales présentes dans les excréments des souris ralentissaient d'une manière ou d'une autre la croissance de la tumeur.

La protéine de liaison à la vitamine D maintient la majeure partie de la vitamine dans le sang, explique Reis e Sousa. « Cela réduit la quantité de vitamine D qui atteint les tissus de l'organisme, y compris les tissus intestinaux. »

Les niveaux plus élevés de vitamine D obtenus lorsque son équipe a désactivé le gène contenant la protéine de liaison ont favorisé la croissance et la présence d'une bactérie particulière, également présente dans le côlon humain : les bactéroïdes. Ces bactéries, explique Reis e Sousa, stimulent probablement le système immunitaire.

La désactivation du gène, l'augmentation de la quantité de vitamine D dans la nourriture de souris lambdas ou l'ajout des bactéroïdes dans leur intestin, chacun de ces traitements a eu le même effet : plus de lymphocytes T cytotoxiques attaquant la tumeur et ralentissant sa croissance.

Grâce à ces niveaux élevés de vitamine D, les souris ont également mieux réagi à l'immunothérapie. « On ne sait pas encore comment agit cette bactérie », déclare Reis e Sousa. « Mais l'effet est incontestablement présent. »

 

DE NOUVELLES THÉRAPIES

Reis e Sousa, qui est d'origine portugaise et dont le teint plus foncé signifie qu'il produit moins de vitamine D à Londres, moins ensoleillée, a découvert qu'il avait une carence en vitamine D il y a une dizaine d'années et prend depuis une supplémentation. « En règle générale », déclare-t-il, « si l'on vous diagnostique une carence en vitamine D, il semble raisonnable d'essayer d'y remédier. Mais cela ne dépend pas de cette étude, bien sûr. »

Il ajoute que l'on devrait toujours consulter son médecin traitant avant de prendre des compléments vitaminiques, même s'il s'agit d'une carence en vitamine D. « Il pourrait y avoir des effets néfastes que nous n'avons pas encore découverts, comme un risque accru de maladie auto-immune. »

Il met également en garde contre le fait de passer trop de temps au soleil pour faire le plein de vitamine D. « Nous ne préconisons pas d'augmenter l'exposition au soleil, qui peut également accroître le risque de cancer de la peau, annulant ainsi tout bénéfice. Vous n'avez pas besoin de prendre un bain de soleil pour absorber de la vitamine D, le simple fait de se promener dehors suffit. »

Plus important encore, selon Reis e Sousa, l'étude devrait inspirer de nouvelles recherches visant à déterminer si des suppléments en vitamine D ou en bactéroïdes pourraient améliorer les perspectives des patients cancéreux soumis à une immunothérapie ou à d'autres traitements.

Walter Willett, médecin et chercheur en nutrition à l'école de santé publique Harvard T.H. Chan, et qui n'a pas participé à l'étude actuelle, reconnait que les données de la nouvelle étude de Reis e Sousa suggèrent des avantages probables de la vitamine D pour les patients atteints de cancer. « Cela correspond à certaines de nos propres conclusions. Nous avons constaté que le risque de cancer du côlon était plus faible chez les femmes ayant des taux sanguins élevés en vitamine D. J'ai également participé à une étude montrant que la mortalité due au cancer était plus faible chez les personnes recevant des suppléments en vitamine D. »

Willett pense que les suppléments en vitamine D sont probablement une bonne idée. « Il est logique que la plupart des personnes vivant dans des climats nordiques prennent des suppléments en vitamine D et ne s'embarrassent pas de dépenses liées à l'analyse de leur taux de vitamine D. La meilleure façon de procéder est de prendre un supplément standard de multi-vitamines / multi-minéraux contenant 800 à 1 000 unités internationales de vitamine D, ce qui coûtent moins de dix centimes par jour. »

La question de savoir si les bienfaits de la vitamine D chez l'Homme sont véhiculés par le microbiote doit être confirmée, ajoute Willet. « Cela nécessitera de nouvelles études de grande envergure s'étalant sur plusieurs années. »

De nombreux spécialistes étudient actuellement la possibilité de manipuler le microbiote afin d'améliorer la thérapie anticancéreuse, explique Reis e Sousa. « Ils peuvent être remarquablement efficaces pour améliorer les résultats thérapeutiques, mais ils peuvent aussi s'avérer dangereux, en particulier lorsque les personnes sont immunodéprimées. Nous espérons que nos découvertes mèneront à des utilisations thérapeutiques plus fines. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglais.

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