Quand commence vraiment le "grand âge" ?

Les sexagénaires d’aujourd’hui ne se sentent pas aussi vieux que ceux de la génération passée. Des données tout juste publiées suggèrent que le troisième âge est davantage une construction sociale qu’une réalité objective.

De Ali Pattillo
Publication 2 mai 2024, 15:33 CEST
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Un triathlète sénior s’entraîne dans une piscine de Chiba, au Japon, en 2022.

PHOTOGRAPHIE DE Noriko Hayashi, Nat Geo Image Collection

Vous souhaitez rester jeune éternellement ? C’est un objectif populaire : le marché de la lutte contre le vieillissement, évalué aujourd’hui à 37 milliards d’euros, devrait atteindre la barre des 56 milliards d’euros d’ici à 2032. Pour combattre le vieillissement, l’on n’hésite pas à se badigeonner de crème anti-rides, à avaler des compléments alimentaires et à soulever de la fonte, entre autres choses.

Bien que l’on présente souvent le vieillissement comme un problème à résoudre, celui-ci est bien plus malléable qu’on pourrait le penser. D’après Eric Verdin, président et P-DG de l’Institut Buck de recherche sur le vieillissement, les toutes dernières études en date indiquent qu’il n’existe pas de point de bascule biologique clair marquant la transition de l’âge mûr vers le troisième âge.

« Cela varie énormément selon les personnes », explique ce Californien qui préfère se référer à l’âge biologique d’une personne, c’est-à-dire à l’âge des cellules et des tissus, plutôt qu’à son âge chronologique, soit le nombre d’années écoulées depuis la naissance. 

Cette opinion commence déjà à renverser le statu quo : une récente étude parue dans la revue Psychology and Aging montre que l’âge à partir duquel on considère qu’une personne est âgée augmente.

Selon une étude dirigée par Markus Wettstein, chercheur à l’Université Humboldt de Berlin, de nos jours, les adultes d’âge mûr et ceux qui sont un peu plus âgés se sentent plus jeunes que ceux qui avaient le même âge il y a dix à vingt ans.

Cette tendance s’explique en partie par le fait que nous vivons plus longtemps. Mais ces résultats trahissent peut-être également le regard sinistre que nous portons sur le vieillissement, en particulier en Occident.

« Nous remettons le grand âge à plus tard afin de ne pas entamer cette phase indésirable de la vie », ainsi que Markus Wettstein et ses collègues le font observer dans un e-mail envoyé à la rédaction de National Geographic.

 

HISTOIRE DE LA VIEILLESSE

Pendant le plus clair de l’histoire humaine, la capacité d’une personne à effectuer des tâches ou à pourvoir aux besoins de sa famille ou de son groupe a façonné la perception que l’on avait de la vieillesse.

À la fin du 19e et au début du 20e siècle, dans l’ensemble de l’hémisphère occidental, la retraite marquait le moment où l’âge chronologique d’une personne venait à compter davantage que ses capacités.

L’Américain moyen prend sa retraite à soixante-deux ans, âge que la plupart des représentants et gouvernements considèrent approximativement comme le seuil de la vieillesse. La fourchette de soixante à soixante-cinq ans est demeurée relativement constante au fil du temps, alors même que la durée de vie s’allongeait et que les humains connaissaient des changements sociaux et économiques.

À tous les égards, le vieillissement est le principal facteur de risque de maladies non transmissibles, comme le cancer, le diabète et la maladie d’Alzheimer. La plupart des personnes devront vivre une part non négligeable de leur existence avec l’une de ces maladies. Selon certaines estimations, près de 95 % des adultes américains de plus de soixante ans souffrent d’une maladie chronique au moins, et près de 80 % en ont deux ou plus. 

Malgré tout, selon l’étude, l’âge chronologique pourrait ne pas être un indicateur fiable pour définir la vieillesse. Bien plutôt, les individus pourraient entrer dans le troisième âge à des moments différents, qui dépendent de leurs propres perceptions.

En outre, il est vrai que personne ne veut être vieux, d’autant plus que les stéréotypes sur la vieillesse sont devenus plus négatifs au cours des 200 dernières années, stéréotypes qui ont nourri ce que certains appellent une crise mondiale de l’âgisme. L’âgisme, qui peut s’exprimer de manière aussi sournoise que le fait de recruter un candidat plus jeune ou de manière aussi directe que la profération d’une insulte, favorise l’isolement social, la mauvaise santé et même la mort prématurée, selon l’Organisation mondiale de la santé.

Becca Levy, professeure d’épidémiologie et de psychologie à l’Université Yale n’ayant pas pris part aux présentes recherches, a passé une grande partie de sa carrière à tirer au clair les conséquences des stéréotypes sur l’âge, qu’elle détaille dans un ouvrage intitulé Breaking the Age Code.

« Des opinions négatives sur l’âge peuvent empirer la santé physique, mentale et cognitive », prévient-elle, tandis que les conceptions positives favorisent une meilleure santé. D’après l’une de ses analyses, sur une année donnée, le coût de l’âgisme aux États-Unis atteindrait 59 milliards d’euros.

« La culture influence le vieillissement, indique Eric Verdin. Dans le monde occidental, on valorise la jeunesse, mais dans les cultures orientales, en Chine et en Corée par exemple, on associe l’âge à la sagesse et l’on considère que c’est une vertu. »

 

QUAND COMMENCE LA VIEILLESSE ?

Au cours du siècle passé, l’intérêt scientifique pour le vieillissement a fait un bond. Investisseurs privés et publics ont versé des milliards d’euros dans la recherche sur la longévité, ce qui a conduit à de nouvelles perspectives sur le processus de vieillissement.

On est désormais capables de reprogrammer des cellules pour restaurer leur fonction juvénile. De nouveaux traitements parviennent à éliminer les cellules sénescentes qui attisent l’inflammation. Des interventions alimentaires telles que le jeûne intermittent et les restrictions caloriques montrent un certain potentiel pour prolonger la vie.

En dépit de ces avancées, les scientifiques continuent de se demander ce qu’est le vieillissement et à quel moment il commence.

Tout d’abord, il n’existe pas de moyen de le mesurer qui fasse autorité. Notre corps peut vieillir plus ou moins rapidement selon ce qui s’est passé au cours de notre vie. Certains événements importants, certains facteurs de stress et maladies chroniques par exemple, peuvent nous faire vieillir « plus vite », et ainsi accélérer notre âge biologique.

Tandis que certains phénomènes biologiques, comme la puberté et la ménopause, marquent des jalons au cours de la vie, le troisième âge n’est pas défini par des marqueurs universels. Le vieillissement est un processus multifactoriel caractérisé par l’accumulation de dégâts et de dégradations dans l’ensemble des chemins physiologiques. Ces détériorations en cascade finissent par perturber la fonction cellulaire et tissulaire normale.

Ces trente dernières années, des scientifiques se sont mis en quête d’indicateurs distincts représentant correctement l’âge biologique d’une personne. Certains facteurs comme la capacité physique, les profils lipidiques et les dégâts subis par l’ADN ont été identifiés comme des biomarqueurs potentiels. Mais actuellement, il n’existe aucun outil de référence pour évaluer le vieillissement en bonne santé. 

« L’âge n’est pas une chose qui survient abruptement, explique Eric Verdin. C’est un continuum, et pour cette raison il est difficile à définir. »

 

LES SECRETS DES SUPER-VIEILLISSEURS

Pourtant, chacun vieillit différemment, et certaines personnes vivent longtemps et s’épanouissent dans le troisième âge. Ces super-vieillisseurs (ou superagers en anglais), qui restent relativement jeunes et en bonne santé après soixante-dix ans, fascinent les scientifiques.

En les étudiant, Eric Verdin et d’autres chercheurs sur le vieillissement espèrent accroître la durée de vie en bonne santé des personnes qui ne le sont pas, c’est-à-dire le temps passé sans souffrir de maladies chroniques.

En 2050, une personne sur trois dans le monde aura soixante ans ou plus, un changement démographique qui rend ces recherches plus urgentes que jamais.

« J’espère que notre travail nous permettra d’offrir aux gens quelques années de vie en bonne santé supplémentaires, conclut Eric Verdin. Et ainsi de faire évoluer les perceptions du public et de faire en sorte que les gens aient une moins mauvaise opinion de leur propre vieillissement. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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