On sait enfin ce qui cause l'hyperémèse gravidique

L’hyperémèse gravidique, cette maladie débilitante et parfois mortelle, n’a bénéficié que d’un financement limité et n’est que peu reconnue. De nouvelles recherches pourraient bientôt mener à la mise au point d’un traitement efficace.

De Sam Jones
Publication 15 janv. 2024, 14:38 CET
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Environ 2 % des femmes enceintes souffrent d’hyperémèse gravidique (HG), une maladie caractérisée par de sévères nausées et vomissements persistants pouvant entraîner la mort.

PHOTOGRAPHIE DE Joël Sartore, Nat Geo Image Collection

Lors de sa première grossesse, Marlena Fejzo a souffert de nausées et de vomissements si importants qu’elle a dû se rendre deux fois aux urgences avant son accouchement. Mais sa deuxième grossesse s’est révélée encore plus difficile. « Je ne pensais même pas que ça pouvait être pire, et pourtant », se souvient Marlena Fejzo, aujourd’hui chercheuse spécialisée dans la santé des femmes à l’école de médecine Keck de l’Université de Californie du Sud.

Au cours de sa deuxième grossesse, Marlena Fejzo a été placée sous perfusion, s'est vu prescrire sept traitements différents et a dû être alimentée par sonde. Rien n'a marché. À certains moments, elle était si faible qu’elle ne pouvait plus parler, restait clouée au lit et avait besoin de soins 24 heures sur 24. Selon son médecin, elle essayait simplement d’attirer l’attention de son mari. À 15 semaines, elle a fait une fausse couche.

Marlena Fejzo souffrait d’hyperémèse gravidique (HG), une maladie qui touche environ 2 % des femmes enceintes et qui se caractérise par de sévères nausées et vomissements persistants pouvant causer la mort. Malgré cela, la recherche sur l’HG demeure sous-financée et les personnes qui en souffrent sont rarement prises au sérieux. Marlena Fejzo a fait une fausse couche en 1999. Peu après, elle a repris son poste de chercheuse postdoctorale à l’Université de Californie à Los Angeles, motivée à l’idée d’apprendre tout ce qu’elle pouvait sur l’hyperémèse gravidique.

Le mois dernier, Fejzo et ses collègues ont publié une étude révolutionnaire portant sur la façon dont l’hormone GDF15 influe sur le risque des femmes enceintes de développer une hyperémèse gravidique. Cette étude pourrait déboucher sur plusieurs traitements efficaces qui, selon certains chercheurs, seront bientôt disponibles. Mais le manque de sensibilisation et de reconnaissance de la gravité de l’hyperémèse gravidique pourrait y faire obstacle.

Les nausées matinales sont une expérience désagréable pendant la grossesse. Cependant, lorsque l’HG, bien plus extrême, est assimilée à de simples nausées matinales, les femmes qui en souffrent ont le sentiment d’être dénigrées, explique Kimber Wakefield MacGibbon, l’un des auteurs de l’étude et cofondatrice et directrice exécutive de la Hyperemesis Education and Research (HER) Foundation (Fondation pour l’éducation et la recherche sur l’hyperémèse). L’hyperémèse ressemble à une intoxication alimentaire, à la différence que les vomissements n’apportent aucun soulagement. « On a en permanence l’impression que quelque chose nous reste sur l’estomac », explique MacGibbon, infirmière autorisée qui a souffert d’HG au cours de ses deux grossesses. 

La déshydratation et la perte de poids sont des symptômes courants de l’hyperémèse gravidique, mais les cas les plus graves peuvent entraîner une fausse couche et des troubles chez la mère tels qu’une encéphalopathie de Wernicke, un trouble neurologique provoqué par une carence en vitamine B1 (thiamine) qui peut s’avérer mortelle. Un certain nombre d’études ont montré que les bébés nés de mères souffrant d’hyperémèse gravidique présentaient un risque accru de naissance prématurée, d’insuffisance pondérale à la naissance et de troubles du développement neurologique, comme un retard de la parole et du langage.

« C’est une pathologique de grossesse extrêmement dangereuse, et qu’il faut considérer comme telle », soutient Marlena Fejzo. « Malheureusement, ce n’est pas le cas. »

Les traitements de première intention de l’HG, comme les médicaments antiémétiques, s’avèrent inefficaces chez de nombreuses femmes, explique la médecin Jone Trovik, professeure au département des sciences cliniques de l’université de Bergen, qui n’a pas participé à l’étude de Fejzo et MacGibbon. Et même si une patiente est placée sous perfusion afin de soulager la déshydratation et la déplétion électrolytique voire, dans les cas les plus graves, est branchée à une sonde d’alimentation, elle court tout de même le risque de devoir interrompre sa grossesse pour survivre. 

« En tant que médecin, je me sens incompétente lorsque je ne parviens pas à aider ces femmes à éviter l’interruption d’une grossesse par ailleurs désirée », raconte Trovik.

Malgré sa gravité, l’HG est négligée, y compris par la communauté médicale. Aimee Brecht-Doscher, gynécologue-obstétricienne et conseillère médicale de la HER Foundation, n’oubliera jamais la réunion annuelle du Collège Américain des obstétriciens et des gynécologues à laquelle elle a assisté avec des milliers d’autres médecins en 2017, et où seules deux présentations ont été faites sur l’HG, dont l’une par Fejzo. Alors que Brecht-Doscher et quelques autres participants discutaient de cette maladie très peu étudiée, un médecin s’est joint à la conversation et a déclaré : « Je sais ce qui provoque l’hyperémèse : l’hystérie ». « Et si vous croyez cela », soutient Brecht-Doscher, « alors vous ne pensez pas qu’il faille vraiment faire quoi que ce soit pour traiter les gens ».

Brecht-Doscher, qui n’a pas non plus participé à l’étude de Fejzo et MacGibbon, a souffert d’HG lors de deux grossesses, dont l’une s’est soldée par une fausse couche. « En tant que médecin, le réflexe habituel (en particulier quand les patientes ne répondent pas aux thérapies standards) est de supposer qu’il y a une composante psychologique, ce qui explique pourquoi la patiente ne répond pas au traitement », dit-elle. « J’avais moi-même intégré ce préjugé en tant que médecin avant de souffrir d’hyperémèse ». Brecht-Doscher explique qu’une fois qu’elle a souffert d’HG, elle s’est rendu compte qu’elle ne pouvait rien faire pour se sentir mieux.

 

LA CRÉATION D’UNE COMMUNAUTÉ DE L’HYPERÉMÈSE GRAVIDIQUE

Après sa fausse couche, Fejzo s’est empressée de réaliser un sondage en ligne pour se faire une idée de la prévalence de l’HG et des variables qui l’influençaient. Elle a été impressionnée du nombre de réponses qu’elle a reçues. L’une d’elles avait été écrite par MacGibbon et disait : « Une fois ma grossesse terminée, je compte créer un site web sur l’hyperémèse parce qu’il n’y a rien en ligne sur le sujet ».

Ce qui n’était au départ qu’un site web est devenu en 2002 la HER Foundation, une organisation à but non lucratif qui collabore avec des universités et participe à des études de recherche, offre un soutien aux familles et fournit des ressources sur l’HG aux patients et aux prestataires de soins de santé, comme des informations sur les médicaments et les stratégies de prise en charge. MacGibbon affirme avoir parlé à environ 10 000 familles dans le monde entier depuis qu’elle a créé la fondation. En France, l’association de lutte contre l’hyperémèse gravidique soutient les femmes souffrant d’HG ainsi que leurs proches, notamment à travers un service d’écoute téléphonique.

Comprendre : La grossesse

L’enquête de Fejzo a rapidement été publiée sur le site web de HER et, grâce à ces données, elle, MacGibbon et des collègues ont montré que l’HG était probablement héréditaire. Fejzo a ensuite demandé un financement au National Institute of Health pour étudier le(s) gène(s) qui pourraient être responsable(s) de l’HG, mais sa demande a été rejetée. En 2010, son frère lui a offert un kit de test génétique de la société 23andMe comme cadeau d’anniversaire. En plus d’avoir accès à des informations génétiques, les clients de 23andMe ont la possibilité de répondre à des sondages sur la santé. Fejzo a alors eu une idée. « Je les ai contactés et leur ai demandé s’ils pouvaient inclure des questions sur l’hyperémèse gravidique, ce qu’ils ont fait. »

En 2018, à partir des données génétiques et des données des sondages sur la santé des clients de 23andMe, Fejzo, MacGibbon et leurs collègues ont été les premiers à montrer un lien entre l’hyperémèse gravidique et une hormone appelée GDF15. On savait déjà que les niveaux de GDF15 augmentaient au cours des deux premiers trimestres de la grossesse et qu’ils sont un facteur de cachexie, un syndrome d’amaigrissement souvent observé chez les patients atteints de cancer.

À peu près au même moment, des études ont démontré que le GDF15 se liait aux cellules du tronc cérébral, une structure responsable des fonctions de base comme la respiration et la conscience, mais aussi des vomissements, témoignant de son probable rôle dans l’HG. Mais Fejzo restait perplexe quant à la raison pour laquelle certaines personnes ne souffraient pas nécessairement d’HG à chacune de leurs grossesses.

 

QUELLES SONT LES CAUSES DE L’HYPERÉMÈSE GRAVIDIQUE ?

Dans une récente étude, Fejzo et ses collègues ont découvert que la majorité de l’hormone GDF15 provenait du bébé, et non de la mère, et que la quantité produite pouvait varier d’une grossesse à l’autre en fonction de la génétique du bébé, ce qui explique pourquoi les mères ne souffrent pas nécessairement d’HG à chacune de leurs grossesses. En outre, l’importance des nausées et des vomissements pendant la grossesse est déterminée par la sensibilité de la mère au GDF15.

Les chercheurs ont constaté que les femmes qui produisent des quantités de GDF15 inférieures à la moyenne avant de tomber enceintes couraient un risque plus élevé de développer une HG parce qu’elles sont hypersensibles à l’augmentation typique de la protéine GDF15 au début de la grossesse. À titre de comparaison, les femmes qui produisent des quantités élevées de GDF15 avant leur grossesse n’ont que très peu de nausées ou de vomissements.

Pour tester l’hypothèse selon laquelle la sensibilité au GDF15 influence le risque d’HG, les chercheurs ont exposé des souris soit à une petite dose de GDF15 puis à une forte dose de GDF15 (comparable aux niveaux observés chez les femmes souffrant d’HG) soit à une seule forte dose de GDF15. Les souris ayant reçu une seule dose élevée ont commencé à moins s’alimenter et ont perdu du poids ; à l’inverse, les souris qui ont d’abord reçu une petite dose de GDF15, et qui ont donc été désensibilisées, n’ont pas été affectées lorsqu’elles ont ensuite reçu la forte dose de GDF15.

 

DES MÉDICAMENTS PROMETTEURS EN PRÉPARATION 

Selon Brecht-Doscher, ces découvertes déboucheront bientôt sur des traitements. Mais, selon elle, l’administration de médicaments aux femmes enceintes suscite toujours des inquiétudes fondées. « Il y a beaucoup d’antécédents dans ce domaine puisque des médicaments utilisés spécifiquement pour les nausées et la grossesse se sont avérés nocifs. Je pense notamment à la thalidomide qui, au début des années 1960, a été responsable de graves déformations des membres chez les enfants dont la mère avait consommé ce médicament pour soulager les nausées au cours de la grossesse.

Mais Fejzo et d’autres collègues sont optimistes, car des médicaments prometteurs sont déjà testés, bien que pour d’autres pathologies. Marlena Fejzo espère évaluer des médicaments qui augmentent les niveaux de GDF15 avant la grossesse, prévenant ainsi la maladie, ainsi que des médicaments qui diminuent le GDF15 pendant la grossesse, et qui permettraient ainsi d’éviter ou d’atténuer les symptômes de la maladie.

Marlena Fejzo demande actuellement une subvention pour tester la metformine, un médicament contre le diabète qui augmente les niveaux de GDF15 dans le sang, et qui est déjà utilisé pour augmenter la fertilité chez les patientes souffrant du syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) et dans certains cas de diabète gestationnel. Des médicaments bloquant le GDF15 sont également testés dans des essais cliniques chez des patients cancéreux souffrant de cachexie. Marlena Fejzo espère qu’une fois que la fiabilité de ces médicaments aura été démontrée au cours de ces essais et d’autres menés sur des animaux en gestation, ils pourront aussi être testés chez les femmes enceintes. Le 9 janvier, la société de biotechnologie NGM Bio de San Francisco a annoncé qu’elle était en pourparlers avec l’Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux pour commencer des essais cliniques sur des patients atteints de cancer du sein avec son NGM120, un médicament qui bloque le GDF15. Dans le cadre de ce processus, Marlena Fejzo tiendra le rôle de conseillère auprès de NGM Bio.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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