En France, plus de 200 femmes meurent chaque jour d’une maladie cardiovasculaire

En France, plus de la moitié des 140 000 décès annuels liés aux maladies cardiovasculaires concernent des femmes, ce qui en fait leur première cause de mortalité. Plus exposées au risque que les hommes, elles restent néanmoins insuffisamment dépistées.

De Romane Rubion
Publication 17 juin 2025, 11:42 CEST
L'électrocardiogramme est un examen qui montre et enregistre l'activité électrique du cœur pendant un certain temps.

L'électrocardiogramme est un examen qui montre et enregistre l'activité électrique du cœur pendant un certain temps.

PHOTOGRAPHIE DE Dennis Hallinan / Alamy Banque d'Images

Le Ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles définit les maladies cardiovasculaires comme « un ensemble de troubles affectant le cœur et les vaisseaux sanguins » exposant à de nombreuses complications aiguës et chroniques, telles que le syndrome coronarien aigu (SCA) ou l’infarctus du myocarde, l’accident vasculaire cérébral (AVC) et l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI). Hommes et femmes confondus, ces affections sont la première cause de mortalité dans le monde et la deuxième en France, après le cancer

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), depuis 1980, le taux de mortalité cardiovasculaire standardisé sur l’âge a été divisé par trois grâce aux progrès de la prévention, aux avancées techniques et à l’optimisation de l’organisation des soins. Cette diminution n’est pas uniforme selon l’âge et le sexe : elle est moins marquée chez les femmes, notamment chez les sujets de moins de cinquante-cinq ans. Plus préoccupant encore, les taux d’hospitalisation pour infarctus sont en augmentation chez les femmes de moins de soixante-cinq ans depuis plus de vingt ans. La Fondation Recherche Cardio-Vasculaire estime qu'aujourd'hui un infarctus sur quatre chez la femme survient avant soixante-cinq ans contre un sur six en 2003. Encore considéré comme une « maladie d’homme », le syndrome coronarien aigu présente aujourd’hui, à âge égal, une mortalité hospitalière plus élevée chez les femmes que chez les hommes. Les préjugés et le manque de connaissances des spécificités cardiovasculaires féminines, tant dans la société que dans le milieu médical, creusent l’écart entre hommes et femmes en matière de prévention, de diagnostic et de prise en charge. 

« Deux, c'est le nombre de femmes qui, malheureusement, décèdent tous les jours d'un accident de la route en France. Trente-trois, c'est le nombre de femmes qui décèdent tous les jours d'un cancer du sein en France. Et 200, c'est le nombre de femmes qui décèdent tous les jours d'une maladie cardiovasculaire en France ». En rappelant ces chiffres, Thierry Drilhon, cofondateur de la fondation Agir pour le Cœur des Femmes, met en lumière un fait alarmant : le risque cardiovasculaire chez les femmes, encore largement méconnu, révèle une véritable crise sanitaire.

 

LES FEMMES SONT PLUS VULNÉRABLES FACE AUX FACTEURS DE RISQUE COMMUNS

Chez les femmes, cette surmortalité s’explique en partie par une évolution de leur mode de vie, liée à leur émancipation sociale, mais qui les expose à certains facteurs de risque aux effets délétères sur la santé cardiovasculaire. Parmi les facteurs de risque que les femmes partagent avec les hommes, on retrouve : le tabagisme, le diabète, l’hypertension artérielle, le cholestérol, l’obésité et le surpoids, la sédentarité, le stress et le manque de sommeil… 

L’hypertension artérielle est le premier facteur mis en cause dans la survenue d’un AVC, et le deuxième dans celle de l’infarctus. Pour le docteur Stéphane Manzo-Silberman, cardiologue et coordinatrice de l’étude WAMIF, l’hypertension artérielle doit faire l’objet d’une attention particulière « au moment de la première prescription d’une contraception », car elle pourrait en être une conséquence par la suite. De plus, en France, « depuis les années 1980, le tabagisme féminin a doublé alors qu’il est resté stable chez les hommes », poursuit-elle. Selon la cardiologue, cette hausse s’explique en partie par l’image de la femme active et émancipée qui fume, popularisée par les campagnes publicitaires de l’époque. Les femmes, dont le quotidien est souvent tiraillé entre vie professionnelle et vie personnelle, exposent davantage leurs artères au stress, auquel elles sont particulièrement sensibles. Pour Thierry Drilhon, « les femmes qui travaillent aujourd’hui sont à la fois des super professionnelles, des super épouses, des super mamans, mais aussi, on va dire, des super organisatrices du quotidien de la vie familiale. Tout cela crée un niveau de pression et de charge mentale qui est très important ». D'après les travaux du docteur Viola Vaccarino à Atlanta, le docteur Stéphane Manzo-Silberman affirme « qu'en situation de stress induit au décours d'un infarctus, il existe davantage de dysfonction microvasculaire et d'ischémie en scintigraphie chez les femmes ». 

Comprendre : le cœur

Selon elle, le manque de temps a entraîné « une dégradation de la qualité de l’alimentation, avec un recours aux aliments ultra-transformés », associée à une activité physique insuffisante. « On sait que les femmes sont plus sédentaires que les hommes, ont moins d’activités physiques et ce, dès l’école », ajoute le docteur Manzo-Silberman. « Tous ces facteurs surajoutés contribuent à l’explosion des maladies métaboliques », comme le diabète ou la dyslipidémie. Dans l’étude WAMIF portant sur les facteurs de risque, les mécanismes à l'origine de l'infarctus, et leurs pronostics, le docteur estime que « la majorité de ces femmes ont des facteurs de risque modifiables ». Thierry Drilhon ajoute que « dans 80 % des cas, on peut éviter à ces femmes de rentrer dans la maladie », notamment par des campagnes de prévention renforcées.

La cardiologue explique que « ces facteurs de risque vont venir impacter plus lourdement les femmes [que les hommes]. Ceci est vérifié pour le tabac, l’hypertension, la dyslipidémie et le diabète ». Par exemple, « une femme qui fume, au même âge, a plus de risques de faire un infarctus », précise-t-elle. Les mécanismes expliquant cette différence font encore l’objet de recherches, car « pendant longtemps, il n’y avait pas suffisamment de femmes dans les essais pour pouvoir réellement tirer des conclusions fiables, ce qui est encore le cas en cardiologie ». Le docteur Manzo-Silberman souligne « qu’il y a une différence, une injustice, si on peut dire, sur les facteurs délétères qui touchent plus sévèrement les femmes. Mais les facteurs protecteurs [comme l'activité physique modérée] sont encore plus protecteurs chez les femmes ». 

 

DES SPÉCIFICITÉS FÉMININES ENCORE MAL CONNUES

Au-delà des facteurs de risque traditionnels, les femmes présentent également des facteurs spécifiques d’ordre hormonal : la ménopause précoce, le diabète gestationnel, l’hypertension gravidique, les maladies auto-immunes, les migraines avec aura… 

« La vie hormonale des femmes rythme, finalement, leurs facteurs de risque, que ce soit au niveau de la contraception, lors de la grossesse ou en phase de préménopause », explique Thierry Drilhon. Le risque cardiovasculaire est en effet majoré pendant ces trois grandes périodes de la vie féminine. Le docteur Manzo-Silberman alerte notamment sur le fait que « la combinaison de la contraception avec le tabac cause des phlébites, des embolies pulmonaires, des AVC et des infarctus ». Elle souligne également qu’il est important de rappeler « qu’en valeur absolue, le nombre d’infarctus chez la femme est inférieur à celui des hommes », notamment chez les jeunes femmes non ménopausées, grâce à la protection naturelle des œstrogènes. « Mais cette protection des œstrogènes n'est pas suffisante face au tabac, à l'obésité, au diabète », précise-t-elle. Selon la cardiologue, « ces facteurs de risque ne sont pas l'apanage d'un organe, mais vont toucher les autres organes également », comme le poumon. Par exemple, le cancer bronchopulmonaire chez la femme augmente de 5 % par an. « Il y a un effet global et une nécessité politique extrêmement importante pour tenter de remédier à l'évolution observée actuellement », conclut-t-elle.

Le risque cardiovasculaire chez la femme reste encore largement méconnu et sous-estimé, tant par la société que par une partie du corps médical : « 81 % des femmes ne s’occupent pas de leur santé. Elles s’occupent de la santé des autres : de leurs enfants, de leurs conjoints, de leurs maris, de leurs parents », souligne Thierry Drilhon. Il explique que le retard dans la prise en charge des maladies cardiovasculaires chez les femmes est notamment lié à leur tendance à recourir à l’automédication et à négliger les consultations médicales, faute de temps. « Rendre les femmes actrices de leur propre santé » est la mission qu’il porte au sein de sa fondation Agir pour le cœur des femmes. Selon une enquête menée en 2023 par l’IFOP pour la Fédération Française de Cardiologie, les femmes ont de plus en plus conscience du risque cardiovasculaire mais n’appliquent que très peu les mesures de prévention recommandées. 

Le docteur Manzo-Silberman déplore « qu’il n'y ait pas vraiment d’investissement sociétal, politique, pour développer une vraie éducation à cette santé cardiovasculaire ». Thierry Drilhon pointe également le manque d’informations et de sensibilisation mené auprès des femmes, et plus largement de la société. « Quand vous posez la question aux gens, hommes ou femmes : quelle est la première cause de mortalité des femmes ? On vous répond largement le cancer du sein. Le cancer du sein, fort heureusement, et tant mieux, tue six fois moins de femmes que le cœur ». Les maladies cardiovasculaires restent encore majoritairement perçues comme des pathologies masculinesd’où la nécessité de renforcer les campagnes de sensibilisation et d’éducation.

Bien que les jeunes professionnels de santé soient davantage formés à ces problématiques, Thierry Drilhon dénonce une forme de « médecine du genre », qui n’écoute pas réellement les patientes et attribue trop souvent leurs maux, leur angoisse ou leur fatigue au surmenage plutôt qu’à une pathologie. « Les témoignages que nous avons, par des centaines de femmes, sont : "On ne m’a pas écoutée. On ne m’a pas crue. On ne m’a pas entendue" ». Le docteur Manzo-Silberman souligne elle aussi l’importance « de consulter et d’être entendue par un professionnel de santé formé ». Les essais cliniques sont « en grande majorité faits sur des cohortes d’hommes » et « les symptômes [féminins] sont insuffisamment connus », ajoute Thierry Drilhon. Selon lui, certains de ces symptômes, dits atypiques, diffèrent de ceux des hommes. Pour le docteur Manzo-Silberman, « la gêne thoracique reste le symptôme prédominant, hommes ou femmes », lors d’un infarctus. Il existe également des signes associés, partagés par les deux sexes. 

« La particularité des femmes, c'est qu'elles présentent plus fréquemment, dans plus de la moitié des cas, des signes associés et qu'elles en reportent un nombre plus important », précise-t-elle. La cardiologue insiste : « il faut arrêter de dire qu'il y a des infarctus de femmes, des infarctus d'hommes, parce qu'on aboutit après à des aberrations ». « Au moment d’une douleur dans la poitrine, puisque c’est dans 80 % des cas ainsi que se manifeste un infarctus du myocarde, une [femme] va mettre plus de temps à appeler [les urgences] qu’un homme », généralement trente minutes de plus. Et cela, parce que de nombreuses femmes ont intégré, à tort, l’idée véhiculée dans les médias selon laquelle l’infarctus féminin se manifesterait toujours différemment.

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