La quarantaine, une étape différente pour les millenials

Outre l'instabilité du monde du travail, les bouleversements géopolitiques et le coût de la vie, la double tendance des millennials à avoir des enfants plus tard et des parents qui vivent plus longtemps intensifie le phénomène de "génération sandwich".

De Alissa Greenberg
Publication 26 avr. 2024, 15:49 CEST
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Les millenials commencent à fonder leur famille tardivement et ont plus de dettes à rembourser. Impossible pour eux d'acheter une maison. Cependant, bien qu'ils aient perdu leurs points de repère de la vie adulte, ils auraient acquis une forme inédite de liberté.

PHOTOGRAPHIE DE KNSY, Picture Press, Redux

Si vous voulez vous faire une idée de l'évolution de la quarantaine, ne cherchez pas plus loin. La comédie « Le Père de la mariée », sortie en 1991 aux États-Unis est un exemple parfait : les acteurs Steve Martin et Diane Keaton jouent le rôle de parents quarantenaires dépassés qui apprennent que leur fille de vingt-deux ans va se marier. La manière dont le film représente les quarantenaires fait question, tant elle semble éloignée des personnes atteignant aujourd'hui ce cap de la quarantaine.

Oui, les quarantenaires des années 2020 ne ressemblent pas aux quarantenaires des années 1990, et ce quel que soit l'angle que l'on choisit d'adopter pour les comparer. La plupart du temps, puisque je n'ai ni enfant, ni mari, ni emprunt immobilier, je ne me considère pas comme une « vraie » adulte malgré mes trente-sept ans ou, du moins, pas de la trempe des parents joués par ces deux acteurs. Bien sûr, la majorité des gens de ma génération aura bientôt des enfants assez vieux pour se marier. Mais beaucoup viennent à peine d'avoir leur premier enfant, sachant que l'âge moyen des mères à l'accouchement en France est passé de vingt-quatre ans en 1967 à trente-et-un ans en 2023. Une autre partie, représentant un cinquième des adultes, ne prévoient pas du tout d'en avoir.

Lorsque les millennials arrivent à la quarantaine, les réalités financières et culturelles suscitent chez beaucoup d'entre eux le même sentiment de ne pas être à la hauteur des normes de l'âge adulte moderne. Cependant, la façon dont nous considérons le vieillissement influence notre comportement à la quarantaine de manière nouvelle, laissant plus de place à la vie professionnelle et à l'aventure.

 

LA PRESSION FINANCIÈRE REPOUSSE LA POSSIBILITÉ DE FONDER UNE FAMILLE ET DE DEVENIR PROPRIÉTAIRE

Réécrire les règles n'a rien de nouveau pour les millennials. Même au début des années 2000, les sociologues avaient remarqué que les premiers millennials (ceux nés aux alentours de 1981, bien que l'on débatte encore du seuil exact) n'atteignaient pas les objectifs habituels que sont la réussite des études, l'obtention d'un emploi, le mariage et la naissance d'un enfant, révèle Karen Fingerman, professeure dans le domaine du développement humain à l'UT Austin et directrice du Texas Aging and Longevity Consortium.

Vingt-quatre ans plus tard, on continue de repousser l'âge auquel l'on se marie ou l'on devient parent, souligne Carolina Aragão, qui étudie les tendances sociales et démographiques au Centre de Recherche Pew. Ses recherches démontrent que le pourcentage d'adultes ayant aujourd'hui entre trente et trente-quatre ans qui sont mariés n'a pas dépassé les 10 % durant ces deux dernières décennies. En France, l'âge moyen pour la première maternité en 2021 était de vingt-neuf ans, l'âge le plus élevé jamais atteint. Un autre sondage Pew récent explique que 44 % des adultes âgés de dix-huit à quarante-neuf ans n'ayant pas encore d'enfants ont prévu de ne pas en avoir.

Il apparaît par ailleurs que les pressions financières influent sur ces décisions. Entre les emprunts immobiliers, les frais de garde des enfants et la prise en charge des ascendants, la quarantaine a toujours été coûteuse mais pour les millenials, les coûts sont exhorbitants. Selon un article publié par des chercheurs du Center for Household Financial Stability, les économies moyennes des millennials en 2016 s'élevait à 23 200$ (environ 21 700€), soit 34 % de moins que les tendances historiques.

 

DES ATTENTES D'UNE ÉPOQUE RÉVOLUE

La théorie concernant la fameuse « crise de la quarantaine » a été discréditée il y a longtemps, explique Margie Lachman, professeure en psychologie à l'Université de Brandeis qui s'est spécialisée sur la quarantaine. En réalité, seulement un petit pourcentage de personnes a avoué avoir expérimenté cette crise, qui peut d'ailleurs arriver à n'importe quel âge. Au contraire, la quarantaine a toujours été une période où l'on se recentre sur les autres, où l'on trouve un sens à sa vie par le biais du mentorat ou de l'activisme.

Se recentrer sur les autres signifie aussi jongler avec les priorités et augmenter le stress, explique Margie Lachman. Pendant cette période, une personne est susceptible de jouer une multitude de rôles : parent, conjoint, frère ou sœur, collègue de travail ou patron, bénévole dans une association, ami, et parfois même grand-parent. « Les gens dépendent vraiment de vous et vous tirent parfois dans différentes directions. » 

Mais la double tendance des millennials à avoir des enfants plus tard et des parents qui vivent plus longtemps intensifie le phénomène de « génération sandwich ». Selon Margie Lachman, si le sentiment de contrôle de sa vie atteint généralement son apogée à la quarantaine, les générations nées plus récemment se sentent progressivement moins maîtresses de leur destin que les générations précédentes.

De plus, ajoute-t-elle, les millennials ne doivent pas seulement équilibrer ces rôles, ils doivent aussi gérer l'instabilité du monde du travail, les bouleversements géopolitiques, le coût de la vie et l'inflation, sans compter sur la place toujours plus grande des réseaux sociaux.

Comment se fait-il que les millennials continuent à mesurer notre croissance à l'aune de critères datant d'un autre siècle ? Karen Fingerman et d'autres sociologues appellent ça le « décalage culturel ». « Ce n'est pas que vous avez "échoué" ou n'avez pas saisi d'opportunité », explique-t-elle. « C'est juste que ces points de repère ont disparu et le monde est devenu moins structuré. »

Sans structure pour nous soutenir, en plus d'avoir ces normes décalées, de nombreux millennials ont le sentiment de vivre une adolescence prolongée. Prenons Anna Schumann. Elle a trente-huit ans et est frustrée car sa vie n'est pas assez stable pour, de son point de vue, avoir des enfants. Le fait de ne pas pouvoir atteindre des objectifs financiers « me donne l'impression que mon développement personnel s'est également arrêté », dit-elle. « À bien des égards, je me sens encore comme une enfant ; je me demande si cela changera un jour. »

 

CHANGER LES NORMES DE LA QUARANTAINE POURRAIT ÊTRE BÉNÉFIQUE

Cependant, avec le manque de structure vient aussi une flexibilité naissante. Certains millennials sont enthousiastes à l'idée de rester « jeunes » plus longtemps. Les progrès de la biotechnologie ont permis d'augmenter le taux de fécondité des mères âgées de quarante à quarante-cinq ans de 132 % entre 1990 et 2019, ce qui donne aux femmes plus de temps que jamais avant la maternité. Les récentes données nationales sur les tendances en matière de santé montrent que l'autonomie des personnes âgées est en hausse, avec moins d'adultes de plus de soixante-douze ans déclarant des besoins non satisfaits en matière d'autonomie et de mobilité et ayant une « capacité physique élevée » dans ce groupe d'âge pour atteindre près d'un tiers entre 2011 et 2019. Il en résulte un vaste paysage que les millennials remplissent d'une multitude de nouvelles manières.

L'une d'entre elles étant le voyage. Radha Vyas, PDG et cofondatrice de Flash Pack, une société de voyages en groupe pour les personnes quarantenaires et cinquantenaires, estime que la popularité de son entreprise s'explique en partie par le fait que les millennials utilisent l'argent qu'ils ont économisé pour se consacrer à de nouvelles priorités. Les Flash Packers sont souvent célibataires et sans enfants ; beaucoup voyagent après un licenciement. « La société est un peu décalée », déclare-t-elle. « Il n'y a plus d'emploi sûr ; peut-être ne voudront-ils jamais s'installer et peut-être ne voudront-ils jamais avoir d'enfants ». Ils se demandent alors : « Et maintenant ? »

En perdant les structures traditionnelles de l'âge adulte, les millennials ont également acquis une nouvelle liberté, explique Karen Fingerman. Ils laissent place à une version de l'âge adulte où « il n'est pas nécessaire de quitter le domicile parental pour être adulte ; il n'est pas nécessaire de se marier pour être adulte ». Prenons l'exemple de la popularité croissante de la colocation, des nouvelles tendances en matière de polyamour ou de l'essor du nomadisme numérique. « Si votre identité est moins contrainte par la nécessité d'atteindre un objectif sociétal spécifique, vous êtes plus libre de donner du sens à d'autres expériences », explique-t-elle.

Et si la maturité était synonyme de renouveau ? demande Karen Fingerman. Plutôt que de poursuivre des objectifs qui peuvent sembler impossibles à atteindre, il s'agit peut-être de « voir les contraintes qui pèsent sur notre vie et de s'y adapter », utiliser ces limites pour déclencher un processus d’auto-définition et d'exploration.

« Si le scénario n'est plus aussi clair qu'avant, autant en profiter, non ? » relève Margie Lachman. « Cela pourrait être excitant. C'est à vous de déterminer à quoi ressemblera votre quarantaine. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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