Dormir d’une traite est-il vraiment la "bonne" manière de dormir ?

Les archives historiques révèlent qu’avant la révolution industrielle, les humains dormaient souvent en deux temps : un premier sommeil, une période d’éveil nocturne, puis un second repos. Cette habitude présente-elle des bienfaits pour la santé ?

De Leah Worthington
Publication 7 août 2025, 11:58 CEST
Si la plupart des sociétés modernes dorment d’un seul bloc durant la nuit, certains spécialistes s’interrogent ...

Si la plupart des sociétés modernes dorment d’un seul bloc durant la nuit, certains spécialistes s’interrogent : ce rythme est-il vraiment naturel pour l’être humain ?

PHOTOGRAPHIE DE leungchopan, Shutterstock

Se réveiller au milieu de la nuit chaque jour pendant une semaine pourrait aujourd’hui mener à un diagnostic d’insomnie et à une prescription de somnifères. Mais il y a encore quelques générations, cela n’aurait sans doute suscité ni inquiétude, ni diagnostic médical.

Dans les cultures occidentales préindustrielles, se réveiller en pleine nuit était courant, voire la norme, selon Roger Ekirch, professeur d’histoire à l’université Virginia Tech. Ses recherches sur le sommeil segmenté ont inspiré son livre At Day's Close: Night in Times Past. À une époque où les rythmes de vie étaient dictés par le soleil plutôt que par les horloges et la lumière électrique, les gens se couchaient probablement plus tôt. Au lieu de dormir d’une seule traite pendant huit heures, ils bénéficiaient d’un repos plus long, composé de deux phases de sommeil entrecoupées d’un moment d’éveil.

Mais tout le monde ne s'accorde pas sur ce point. Certaines recherches sur les communautés de chasseurs-cueilleurs suggèrent qu’ils dormaient d’un seul bloc, comme nous le faisons aujourd’hui. Ces données pourraient également indiquer que les sessions de sommeil multiples n’ont jamais été la norme dans les sociétés du monde entier, même avant la révolution industrielle.

Aujourd’hui, l’électricité prolonge nos heures d’éveil et les réveils nous tirent du sommeil : la plupart des gens cherchent à dormir en une seule fois. Mais certains spécialistes débattent encore de la question de savoir si le sommeil interrompu est naturel, et quels pourraient être les bienfaits de différents rythmes de sommeil dans le monde moderne.

 

LE SOMMEIL POLYPHASIQUE

Le sommeil segmenté comprend deux (biphasique) ou plusieurs (polyphasique) périodes de sommeil séparées par des phases d’éveil - les deux pouvant durer de quelques minutes à plusieurs heures selon les espèces. Des études estiment que plus de 86 % des mammifères, y compris les chiens, les rongeurs, les hérissons et même certaines espèces de baleines, dorment en plusieurs sessions.

Jusqu’à récemment, on pensait que les humains faisaient partie de la minorité d’espèces, comme la plupart des primates, qui dorment de manière strictement monophasique. Cette hypothèse est erronée, selon Russell Foster, professeur en neurosciences circadiennes à l’université d’Oxford.

Des documents historiques montrent que le sommeil biphasique était pratiqué par les humains depuis des siècles. Selon Roger Ekirch, les sociétés occidentales préindustrielles dormaient en deux temps. On dormait quelques heures, puis on se réveillait après minuit pendant environ une heure, pour méditer, avoir des relations sexuelles ou socialiser, avant de retourner dormir pour un « second sommeil ».

Une mère baleine à bosse soutient son baleineau près de la surface pendant qu'ils dorment. Les ...

Une mère baleine à bosse soutient son baleineau près de la surface pendant qu'ils dorment. Les scientifiques pensent que la plupart des baleines à bosse dorment en plusieurs phases, soit pendant la journée, soit pendant la nuit.

PHOTOGRAPHIE DE Ben Horton, Nat Geo Image Collection

Mais certains experts pensent que ce comportement pourrait encore faire partie de notre nature. Dans ses travaux pionniers de 1992 sur le sujet, le psychiatre et scientifique émérite de l’Institut national de la santé mentale (National Institute of Mental Health), Thomas Wehr, a observé qu’après plusieurs semaines passées dans une pièce sombre pendant quatorze heures par jour, presque tous les participants adoptaient un cycle de sommeil segmenté.

« En moyenne, pour l’ensemble du groupe, le schéma était bimodal », explique Wehr. Il a constaté que les participants s’endormaient une première fois en début de soirée, puis de nouveau au petit matin. « Le modèle moyen ressemblait beaucoup au sommeil de certains animaux diurnes, actifs le jour, comme les panthères. »

 

LES RAISONS BIOLOGIQUES ET PSYCHOLOGIQUES DU SOMMEIL POLYPHASIQUE

D’un point de vue physiologique, le sommeil biphasique a du sens, explique Daniel Buysse, professeur de psychiatrie, de médecine et de sciences cliniques à l’Université de Pittsburgh. Les deux processus de sommeil (homéostatique et circadien) sont « compressés ensemble » dans notre emploi du temps de sommeil condensé, explique Daniel Buysse. Avec plus de temps, ajoute-t-il, ces processus pourraient se séparer naturellement, nous permettant de nous réveiller entre deux cycles.

En réalité, ces périodes d’éveil entre deux phases de sommeil pourraient même remplir une fonction de survie. Dans son expérience, Thomas Wehr a remarqué que les participants se réveillaient à des moments légèrement différents chaque nuit et qu’en moyenne, il n’y avait jamais de moment où tout le monde dormait en même temps. D’un point de vue évolutif, cela aurait pu avoir une fonction de « sentinelle », en assurant qu’il y ait toujours quelqu’un éveillé pour veiller à la sécurité du groupe.

Certaines personnes ont tenté de promouvoir le sommeil polyphasique comme un moyen de « bio-hacker » le corps et de prolonger le temps d’éveil. Toutefois, les experts le déconseillent vivement. Tromper le corps pour qu’il survive avec de courtes périodes de sommeil n’est pas la même chose que de se réveiller naturellement après un sommeil réparateur, affirme Elizabeth Klerman, qui a coécrit en 2021 un article avec Russel Foster analysant les effets du sommeil polyphasique artificiel. Elle nous demande ainsi : « Est-ce que vous arrêteriez une machine à laver avant la fin de son cycle ? »

Certains sceptiques de la théorie du sommeil polyphasique naturel s’appuient sur des données contradictoires provenant de populations modernes de chasseurs-cueilleurs. Jerome Siegel, professeur de psychiatrie et de sciences comportementales à l’UCLA, a mené des recherches sur des sociétés de chasseurs-cueilleurs en Tanzanie, en Bolivie et en Namibie, révélant des schémas de sommeil similaires à ceux des humains dans les sociétés post-industrielles.

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    PHOTOGRAPHIE DE P. Cinzano, Fabio Falchi, and Chris D. Elvidge, Blackwell Science, Science Source

    Des données sur les habitudes de sommeil, collectées sur plusieurs centaines de jours consécutifs, ont montré que, dans trois groupes distincts et géographiquement isolés, les individus dormaient environ 5,7 à 7,1 heures d’affilée chaque nuit. Pour Siegel et ses collaborateurs, ces résultats indiquent que le sommeil monophasique moderne correspond en réalité à un retour à un schéma traditionnel observé chez les chasseurs-cueilleurs.

    « Ils n’ont ni lumière électrique, ni chauffage… [ils] n’ont pas modifié leur environnement ni leur structure sociale depuis des centaines de milliers d’années », affirme-t-il. « Il y a peut-être eu une période dans l’histoire humaine où les gens se réveillaient au milieu de la nuit, mais dire que c’est le schéma normal contredit toutes ces données. »

     

    PLUS D'UN MILLÉNAIRE DE SOMMEIL POLYPHASIQUE

    Bien que nos sociétés les plus anciennes aient pu dormir selon un schéma monophasique, Roger Ekirch a trouvé des traces de sommeil segmenté remontant à l’Odyssée d’Homère, publiée à la fin du 8ᵉ ou au début du 7ᵉ siècle avant notre ère. En poursuivant ses recherches, il a découvert d’innombrables références à un « premier » et un « second » sommeil dans toutes sortes de documents d’archives, allant de journaux intimes à des textes médicaux.

    « Les références étaient formulées comme si le sommeil segmenté était parfaitement naturel et ne nécessitait aucune explication », dit-il.

    Dans le passé, explique Russell Foster, les gens avaient tendance à se coucher plus tôt, vers la tombée de la nuit, et à dormir, de façon intermittente, jusqu’au lever du soleil. Mais tout a changé avec l’arrivée de sources lumineuses artificielles bon marché, qui ont en quelque sorte mis fin à notre dépendance à la lumière du soleil, ajoute-t-il. « Nous travaillons beaucoup plus tard le soir. Nous contournons ainsi l’obscurité naturelle, réduisant donc nos possibilités de sommeil. »

    Toutefois, cette version de l’histoire ne fait pas consensus. Niall Boyce, professeur d’anglais à l’Université de Londres, soutient que le sommeil polyphasique n’était peut-être pas la norme. Siegel, lui aussi, remet en question l’interprétation d’Ekirch, préférant s’appuyer sur ses données concernant les sociétés de chasseurs-cueilleurs modernes plutôt que sur des preuves anecdotiques issues de textes anciens.

    « Le schéma de sommeil bimodal qui aurait existé en Europe occidentale n’est pas présent chez les groupes traditionnels vivant aujourd’hui sous les tropiques et, par conséquent, n’existait probablement pas avant que les humains ne migrent en Europe de l’Ouest », écrivent les auteurs dans leur article. « Ce schéma pourrait plutôt être une conséquence des longues nuits hivernales aux latitudes élevées. »

    L’existence du sommeil polyphasique chez les humains modernes reste également sujette à débat. Alors que certains défendent une définition stricte du phénomène, d’autres incluent les siestes, les pauses nocturnes brèves ou les siestas comme exemples contemporains de sommeil segmenté.

    Comme le sommeil est influencé par le contexte environnemental et social, Buysse estime que les schémas peuvent fortement varier selon les individus, les régions et les saisons.

    « Je pense surtout qu’il n’existe pas un seul schéma de sommeil propre à l’être humain », conclut-il. « Je pense que l’adaptabilité en est la caractéristique principale. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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