Grâce aux tailleurs de pierre, nos monuments les plus anciens tiennent debout

Les cathédrales sont des monuments emblématiques de nos patrimoines culturels et ne tiennent que grâce au travail de conservation attentif des tailleurs de pierre, une profession pourtant méconnue et en voie de disparition.

De Rachael Rowe
Publication 11 oct. 2022, 18:15 CEST
Cathedral Restoration

Des ouvriers examinent la croix du pignon de l'extrémité est de la cathédrale de Salisbury, l'une des dernières cathédrales d'Angleterre à être dotée d'une équipe de tailleurs de pierre.

PHOTOGRAPHIE DE Ben Birchall, PA Images, Getty Images

Pour un tailleur de pierre, un travail qui passe inaperçu est un travail bien fait ; tel est l’objectif paradoxal de cette profession. En voie de disparition, cette dernière fut non seulement essentielle à l’essor de l’architecture dans le monde entier, mais demeure également cruciale pour la préservation d’innombrables sites sacrés et emblématiques.

Même les pierres les plus solides s’effritent au fil des siècles. L’Angleterre abrite de nombreux sites historiques qui doivent être régulièrement examinés et entretenus, comme Stonehenge ou les thermes de Bath, qui datent du 1er siècle de notre ère, et d’autres sites de l’époque romaine.

Profondément liée à l’histoire du christianisme, la Grande-Bretagne compte quarante-deux grandes cathédrales, dont seulement dix sont encore dotées de cours réalisées par des tailleurs de pierre. Les artisans qualifiés qui y travaillent permettent de protéger ces sites célèbres de l’érosion progressive et constante du temps.

S'élevant à 123 mètres de haut, la flèche de Salisbury est la plus haute du Royaume-Uni, et ce depuis le 16e siècle.

PHOTOGRAPHIE DE Gavin Hellier, Robert Harding, Getty Images

« Il y a tellement de patrimoine. Nous devons en prendre soin », affirme Joe O’Connell, apprenti tailleur de pierre à la cathédrale de Salisbury. « La taille de la pierre est un art en voie de disparition, donc je ressens la responsabilité de l’apprendre et de la transmettre. »

L’apprentissage de cet art demande beaucoup de temps, et n’est généralement pas reconnu. Cependant, à la suite de l’incendie qui a ravagé Notre-Dame de Paris en 2019, il est devenu clair que le travail de restauration était crucial pour protéger les sites les plus célèbres de nos patrimoines culturels.

La plupart des méthodes qu’utilisent les tailleurs de pierre sont les mêmes depuis plus de 800 ans. Certains des défis qui existent depuis des siècles se retrouvent néanmoins aggravés par de nouveaux problèmes, comme les dégâts des eaux et les pluies acides que nous connaissons aujourd’hui. Les tailleurs travaillent encore avec un marteau et un ciseau, et continuent à se former à des pratiques vieilles de plusieurs siècles, telles que la préparation de la pierre brute provenant de carrière, ou encore l’utilisation de mortier de chaux.

À la cathédrale de Salisbury, l’une des plus importantes structures gothiques d’Europe, les voyageurs et voyageuses peuvent soutenir ce travail tout en découvrant les coulisses de la taille de la pierre. Grâce à un cours de deux jours sur la sculpture ou encore à des visites organisées le long des échafaudages pour observer les restaurations en cours, les visiteur.ses peuvent assister de près à ce travail essentiel.

 

LA TAILLE DE LA PIERRE, UNE ACTIVITÉ ARTISTIQUE

À environ 145 kilomètres au sud-ouest de Londres, Gary Price, maître d’œuvre de la cathédrale de Salisbury, est dans le bureau d’études, le centre du département des travaux du bâtiment, où il nous montre la méthode qu’il utilise pour examiner les vieilles pierres de la cathédrale : il tape sur chacune d’elles avec une cheville métallique, et écoute le son sourd caractéristique de la dégradation. Après l’évaluation, chaque pierre reçoit une fiche de travaux qui détaille son état ainsi qu’une couleur en fonction du niveau de priorité.

« Il faut respecter un équilibre délicat entre conservation et remplacement. Plutôt que de remplacer la pierre, nous essayons de conserver le patrimoine. Mais parfois, malheureusement, ce n’est pas possible », explique Price, qui a rejoint Salisbury en tant qu’apprenti en 1986. « Dans quelques centaines d’années, les prochaines générations conserveront les pierres que nous avons remplacées et remplaceront celles que nous avons conservées. De nouvelles pierres sont donc constamment ajoutées dans la cathédrale. »

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    La cathédrale de Salisbury ayant été construite relativement rapidement (en à peine plus de 40 ans), sa conception constante est considérée comme un exemple majeur du style gothique anglais précoce.

    PHOTOGRAPHIE DE Julian Elliott, Getty Images

    Comment les tailleurs de pierre décident-ils de ce qu’il faut réparer ? Avant toute chose, ils installent un échafaudage, et y montent pour une inspection visuelle des lieux. Puis, en tapant sur une tige métallique comme Price l’a démontré dans le bureau d’études, ils prennent une décision importante : si la pierre est complète à 60 %, ils essaieront de la conserver sans la retirer. En revanche, si c’est moins, ils la remplaceront.

    Il faut au moins six ans pour devenir maître tailleur. Au début des années 2000, un cursus en taille de pierre de deux ans a été mis en place dans le cadre des programmes de travaux de la cathédrale, avec des modules spécialisés tels que l’archéologie, la sculpture et la sélection des pierres. Cette année, dans tout le pays, quatorze maçons ont rejoint le programme.

    « Il faut comprendre de quelle manière ces bâtiments ont été construits à l’origine. Nous devons avoir une connaissance intime des mêmes compétences qu’ils utilisaient pour donner un sens à ce qu’ils faisaient », explique Pascal Mychalysin, maître tailleur de la cathédrale de Gloucester. Il ajoute que l’intelligence artificielle pourrait un jour remplacer les artisans tels que lui, mais que ce serait « une perte pour l’humanité. »

    « Il est très important de conserver ces compétences traditionnelles. Si nous disparaissons, ce sera aussi grave que de perdre une langue. C’est ça qui est en jeu. C’est pourquoi nous nous sommes consacrés au Cathedral Workshop Fellowship [Groupe des ateliers de la cathédrale] : pour que ces compétences puissent être conservées. »

     

    LES TAILLEURS DE SALISBURY

    La flèche de Salisbury, la plus haute d’Angleterre, est visible depuis la ville entière. À l’intérieur, les visiteur.ses peuvent inspecter le maçonnage de la grande structure médiévale, ornée de sculptures et de vitraux élaborés. La cathédrale abrite l’une des quatre copies originales de la Magna Carta, la plus ancienne horloge du monde (datant de 1386) ainsi qu’un cloître médiéval.

    Des tailleurs de pierre de Salisbury travaillent sur un monument aux soldats perdus conçu par des détenus de la prison voisine d'Erlestoke. La pièce terminée sera exposée au centre d'accueil de la prison.

    PHOTOGRAPHIE DE PA Images, Alamy Stock Photos

    La pierre calcaire utilisée à Salisbury provient de la carrière de Chicksgrove, située à 22 kilomètres de là, près de l’endroit où la pierre d’origine utilisée pour construire la cathédrale au 13e siècle fut extraite. « Nous pensons souvent qu’un bâtiment de 800 ans est ancien, mais cette pierre est bien plus ancienne », explique Price, l’un des neuf tailleurs responsables de l’entretien des bâtiments de la cathédrale de Salisbury. « Il s’agit de calcaire du Jurassique supérieur, vieux de 150 millions d’années. Parfois, nous trouvons des fossiles dans la pierre. »

    Le travail d’un tailleur de pierre est loin d’être une mince affaire. Outre l’achat et l’évaluation de la pierre, Price s’occupe également de l’entretien du balisage aérien situé au sommet de la flèche de la cathédrale, qui fait 123 mètres de haut. Pour changer les ampoules et entretenir la flèche, il sort par une petite porte située à 10 mètres du sommet, grimpe sur une échelle extérieure, enjambe la pierre de faîte, et s’attache à la croix au sommet pour effectuer les réparations.

    Des faucons pèlerins nichent dans la flèche, et Price est chargé de nettoyer régulièrement leurs déchets afin que ces derniers n’endommagent pas la cathédrale. Parfois, il trouve des bagues de pigeons du club de course local parmi les débris, preuve que les faucons ont bien mangé.

    L’apprenti O’Connell tient un blog sur son travail à Salisbury. Il a passé ses six premiers mois à apprendre la technique de base pour équarrir et réaliser un cube parfait à partir d’un bloc de pierre. Cette compétence fondamentale est comme « le permis de conduire d’un tailleur de pierre », plaisante-t-il.

    « J’aime les bâtiments médiévaux et j’aime travailler de mes mains », ajoute l’apprenti, qui a étudié l’histoire médiévale et a postulé pour la formation de tailleur de pierre pendant la pandémie. « J’aime le calme, la concentration, et c’est un travail pratique. »

    Après avoir maîtrisé la technique pour fabriquer un cube parfait de 18 centimètres, il transformera ce dernier en sphère, une autre compétence importante. À terme, O’Connell envisage de sculpter un bassin pour oiseaux. « On apprend vraiment de ses erreurs. J’ai dû faire chaque côté trois fois. Certains ici réalisent des choses en quelques jours. Mais avant la vitesse vient la précision. »

    Le tailleur de pierre en chef Lee Green guide les visiteur.ses sur un échafaudage pour leur permettre de voir de près une restauration complexe de la partie orientale de la cathédrale, qui a débuté en 1987 et qui touche aujourd’hui à sa fin. La partie orientale d’une église est considérée comme la plus sacrée, car elle contient traditionnellement l’autel pour que la congrégation puisse faire face à la direction du soleil levant, symbole du Christ et de sa seconde venue. Cependant, l’attention est souvent portée sur le côté ouest de l’édifice, où les visiteur.ses entrent et sont accueillis par des motifs élaborés.

    Price a taillé la première pierre de remplacement de la flèche en 1987 et supervise désormais les dernières étapes des travaux de restauration. « La taille de la première pierre de la flèche a été une affaire très importante. Le prince [aujourd’hui roi] Charles est venu et a réparé lui-même cette pierre en 1987 avec une truelle en argent », raconte-t-il. « Mais c’était agréable de le voir venir et visiter, et je l’ai rencontré deux fois maintenant. C’était très tôt dans ma carrière, ce que je n’ai vraiment apprécié que plus tard. »

    Chaque tailleur laisse sa marque, une signature gravée dans la pierre, généralement un dessin en lien avec ses initiales. Green montre une petite sculpture de dragon qui a été restaurée sur un chaperon, une pierre installée sur le briquetage en tant que touche finale, ainsi que pour dévier l’eau du bâtiment. Il travaille actuellement sur une pièce similaire avec un motif de furet.

    « C’est un petit détail décalé que personne ne peut voir depuis le sol. Mais le tailleur de pierre sait qu’il est là, il s’agit de laisser sa marque sur la cathédrale. Le design doit être gothique, mais on peut y ajouter sa patte. »

    Toute la cathédrale est en réalité le témoignage artistique d’un métier hautement qualifié, mais qui reste souvent méconnu. « Lorsque nous retirons l’échafaudage, les gens nous demandent ce que nous avons fait, car ils ne voient pas de différence », poursuit Green. « Mais c’est justement ce que nous aimons faire. Nous aimons que notre nouveau travail se fonde dans l’ancien. »

     

    RENDRE VISITE AUX TAILLEURS DE SALISBURY

    Le mardi de 10 h 30 à 12 h 30, les visiteurs peuvent voir les tailleurs de pierre au travail et leur poser des questions. À la cathédrale, la visite payante Works Yard vous guidera depuis la cour, où les blocs sont sélectionnés, jusqu’au bureau d’études, en passant par une démonstration du travail de sculpture. La visite des parapets de la cathédrale vous permettra de monter dans les échafaudages du côté est de la structure, et de pénétrer dans l’atelier caché que les tailleurs utilisent depuis des siècles.

    Vous pouvez également parrainer une pierre à Salisbury qui sera sculptée par les tailleurs, et portera ainsi vos initiales. Vous recevrez une carte indiquant l’emplacement exact de la pierre et, dans certains cas, pourrez assister à son installation dans la cathédrale.

    Pour en savoir plus sur l’activité des tailleurs de pierre, vous pouvez visiter les cathédrales de Canterbury, Exeter, Durham, Worcester, Lincoln, York et Gloucester.

    Rachel Rowe est une rédactrice établie au sud-ouest de l’Angleterre.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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