Après le pangolin, l'industrie du cuir s'attaque à un poisson d'eau douce

Suite à la disparition du cuir de pangolin, les selliers se sont tournés vers le cuir d’un poisson géant du Brésil, une espèce qui pourrait bientôt connaître le même déclin.

De Rachel Nuwer
Parmi les mammifères, les plus grandes victimes du commerce illégal sont les pangolins. Généralement convoités pour ...
Parmi les mammifères, les plus grandes victimes du commerce illégal sont les pangolins. Généralement convoités pour leurs écailles, un nombre ahurissant de pangolins est tué chaque année à travers leur aire de répartition en Afrique et en Asie.
PHOTOGRAPHIE DE Brent Stirton, Getty, National Geographic

Les pangolins sont les seuls mammifères à écailles et cette distinction notable a contribué à leur statut de mammifère le plus braconné au monde. Les braconniers ciblent les pangolins à travers l’Asie et l’Afrique principalement pour leurs écailles qui sont utilisées comme ingrédient dans la médecine traditionnelle chinoise. Les études montrent que des centaines de milliers de pangolins sont tués chaque année, voire même des millions.

Cependant, d’après une nouvelle étude parue dans Conservation Science and Practice, les écailles de ce fourmilier ne sont pas l’unique élément que le monde lui envie et la demande pour ces animaux n'a pas toujours été concentrée en Asie. Avant l’an 2000, les États-Unis figuraient parmi les plus gros importateurs de peaux de pangolins, utilisées pour fabriquer des bottes de cowboy, des ceintures ou des portefeuilles en cuir exotique.

Évoluant dans les eaux du bassin amazonien, l’arapaïma est l’un des plus grands poissons d’eau douce. Il est aujourd’hui menacé par la surpêche pour sa viande et potentiellement pour sa peau transformée en articles de maroquinerie à destination des consommateurs américains.
PHOTOGRAPHIE DE Stephen Álvarez, Nat Geo Image Collection

Depuis 2017, le commerce international de l’ensemble des huit espèces de pangolin est interdit. Comme le font remarquer les auteurs de l’étude, à mesure que les pangolins disparaissaient, les importateurs américains remplaçaient leur cuir par celui de l'arapaïma, une espèce menacée de poisson d’Amazonie dont la longueur peut atteindre les 2,70 m. Malgré leurs différences biologiques, les peaux des deux espèces présentent après tannage des motifs similaires en forme de diamant. (À lire : Menacé par le braconnage, incapable de vivre en captivité, la dure vie du pangolin.)


D'après la mise en garde des auteurs, si ce transfert de la demande en cuir de pangolin reste incontrôlé, la surexploitation des arapaïmas pourrait s’aggraver, sachant que ce poisson rencontre déjà d’importantes difficultés sur une grande partie de son aire de répartition amazonienne.

Avant l’interdiction visant le commerce international des pangolins, les bottes en cuir comme celles-ci, fabriquées au Mexique puis saisies par le Fish and Wildlife Service des États-Unis, ont contribué au déclin de l’espèce.
PHOTOGRAPHIE DE Brent Stirton, Getty, National Geographic

« Étant donné l’énorme popularité du pangolin aux États-Unis, le marché pour le cuir d’arapaïma sera vraisemblablement très lucratif, » indique Sarah Heinrich, candidate au doctorat en science de la conservation à l’université d’Adelaïde, en Australie, et auteure principale du nouveau rapport. « Ce commerce pourrait rapidement devenir hors de contrôle. »

De nombreux conservationnistes affirment que le commerce du cuir n’a eu qu’un impact négligeable sur le déclin des pangolins et ajoutent qu’il est aujourd’hui inutile de s’y intéresser. Spécialiste des pangolins, Dan Challender adopte quant à lui un tout autre point de vue. Ce chercheur postdoctoral à l’université d’Oxford, non impliqué dans l’étude, indique « être convaincu que le commerce du cuir de pangolin a réellement constitué une menace pour l’espèce. »

La quantification du rôle joué par le commerce du cuir dans le déclin historique des pangolins est entravée par le manque de données fiables sur le commerce international. Heinrich a tenté de combler cette lacune en examinant les registres du U.S. Fish and Wildlife Service concernant le commerce légal et illégal pour la période allant de 1999 à 2015. Selon ses estimations, 21 411 pangolins seraient impliqués dans 163 importations de peaux de pangolins dont la plupart ont eu lieu avant l’an 2000, date à laquelle la communauté internationale a instauré un quota zéro d’exportation pour les pangolins asiatiques. D'un autre côté, le commerce d'arapaïma a suivi la tendance inverse : sur les 130 entrées au registre impliquant 5 524 arapaïmas, la quasi-totalité ont eu lieu après 2011 et depuis cette date, le commerce du cuir d’arapaïma n’a fait que s’intensifier.

Sur une période de neuf mois en 2017 et 2018, Heinrich a également recensé 478 annonces eBay proposant du cuir de pangolin et d’arapaïma en provenance de selliers américains, la plupart d’entre elles allaient même jusqu’à proposer une expédition à l’international. D’après l’examen visuel réalisé par Heinrich et les descriptions des selliers, plus de 65 % des annonces semblaient authentiques. Les estimations établies par Heinrich sont les suivantes : 168 annonces impliqueraient 476 pangolins et 154 autres annonces porteraient sur 2 873 arapaïmas. Trois quarts des annonces apparemment authentiques postées sur eBay violaient soit la politique du site vis-à-vis du commerce de pangolins, soit la législation propres aux États-Unis, soit les réglementations internationales, ou tout simplement les trois. Contrairement aux pangolins, les arapaïmas peuvent faire l’objet d’échanges internationaux si les documents administratifs associés sont en règle et si leur pêche ne nuit pas à leur population. En revanche, eBay interdit leur commerce international. En 2018, eBay avait rejoint la coalition formée par les géants du Web visant à réduire de 80 % la vente illégale en ligne de produits issus des espèces sauvages, à l’horizon 2020.

L’intégralité du cuir d’arapaïma découvert sur eBay par Heinrich provenait du Brésil. Non impliqué dans l’étude, Leandro Castello est écologiste en pêches pour Virginia Tech à Blacksburg, en Virginie, il nous fait part de ses inquiétudes quant à l’exploitation durable des arapaïmas expédiés aux États-Unis. Certes, on constate actuellement un nombre grandissant de populations d’arapaïmas du Brésil gérées de façon durable par les communautés locales, ajoute-t-il, mais à ce jour, cette pratique fait office d'exception.

« Nous avons de nombreuses raisons de croire que les populations d’arapaïmas sont surpêchées et en danger sur la majorité du bassin amazonien, » révèle-t-il. « Je pense que les États-Unis devraient réfléchir plus longuement aux produits dont ils autorisent l’importation. »

Reportage : le pangolin, mammifère le plus braconné au monde

Les écologistes tirent généralement la sonnette d’alarme lorsque le déclin d’une espèce devient dramatique voire même lorsque celle-ci est déjà menacée d’extinction, mais Heinrich et ses collègues espèrent que leurs travaux permettront d’attirer l’attention sur les arapaimas avant que l’espèce ne soit poussé dans ses derniers retranchements. « On ne dit pas qu’il faut mettre fin au commerce des arapaimas, » précise-t-elle. « On souhaite simplement informer de l’existence d’un marché pour cette espèce. Si nous n’intervenons pas et ne prenons pas position pour contrôler ce marché, les arapaimas pourraient devenir une espèce menacée d'extinction. »

Ce phénomène s’est d’ailleurs déjà produit. Au milieu des années 1990, des écologistes avaient incité les praticiens de la médecine traditionnelle chinoise à remplacer les cornes de rhinocéros par des cornes de saïgas et avaient au passage provoqué une recrudescence du braconnage qui avait entraîné une réduction de 97 % des populations de saïgas, selon les chercheurs. De la même façon à l’heure actuelle, les os, mâchoires et dents de tigres sont remplacés par des parties du lion, ce qui amène certains experts à faire le lien entre la récente hausse du braconnage des lions d’Afrique et l’augmentation de la demande en parties corporelles de cet animal en Asie.

« Le pire scénario serait que les populations sauvages d’arapaïmas soient affectées par les mesures prises pour protéger les pangolins, » souligne Challender. « Cette étude de cas montre à quel point il est difficile de contrôler le commerce des espèces sauvages, surtout lorsqu’il a lieu dans différents continents, sur des géographies étendues et à long terme. »

 

Wildlife Watch est un projet d'articles d'investigation commun à la National Geographic Society et à National Geographic Partners. Ce projet s'intéresse à l'exploitation et à la criminalité liées aux espèces sauvages. Retrouvez d'autres articles de Wildlife Watch à cette adresse et découvrez les missions à but non lucratif de la National Geographic Society ici. N'hésitez pas à nous envoyer vos conseils et vos idées d'articles et à nous faire part de vos impressions à l'adresse ngwildlife@natgeo.com.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
loading

Découvrez National Geographic

  • Animaux
  • Environnement
  • Histoire
  • Sciences
  • Voyage® & Adventure
  • Photographie
  • Espace
  • Vidéos

À propos de National Geographic

S'Abonner

  • Magazines
  • Livres
  • Disney+

Nous suivre

Copyright © 1996-2015 National Geographic Society. Copyright © 2015-2024 National Geographic Partners, LLC. Tous droits réservés.