Ces chimpanzés soignent leurs blessures avec des insectes

De grands singes au Gabon ont été photographiés alors qu’ils étaient en train d’appliquer une espèce d’insectes inconnue sur leurs blessures et celles des membres de leur famille.

De Roland Hilgartner
Publication 8 nov. 2022, 17:09 CET
La communauté de Rekambo, composée d’environ 40 chimpanzés, vit au sein du Parc national de Loango.

La communauté de Rekambo, composée d’environ 40 chimpanzés, vit au sein du Parc national de Loango.

Le Parc national de Loango au Gabon a récemment permis aux scientifiques d'observer une scène peu commune dans la nature : des chimpanzés apposant des insectes sur leurs blessures.

Ce comportement, démonstration unique d’une activité culturelle potentiellement avancée, suggère que cette espèce de primates a adopté des comportements de soins qui sont partagés entre les membres de groupes soudés. 

Un large espace protégé situé le long de la côte ouest centrafricaine, dans le Loango, représente un véritable paradis naturel : la zone, qui occupe près de 1500 kilomètres carrés, regroupe une mosaïque de différents habitats (forêts humides, lagons, zones humides, savane, forêts humides côtières, plaines inondables, forêts de mangroves) qui ont favorisé l’explosion de la biodiversité. Elle abrite au moins 80 espèces de mammifères dont 11 espèces de primates, des léopards, des éléphants de forêt, des hippopotames, des sitatungas et le timide pangolin géant, ainsi que 272 espèces d’oiseaux.

Tobias Deschner, chercheur à l’Université d’Osnabrück en Allemagne, et sa femme, Simone Pika, responsable du groupe de recherche de cognition comparée à l’Institut des sciences cognitives de l’Université d’Osnabrück, dirigent le Ozouga Chimpanzee Project en collaboration avec l’Agence nationale des parcs nationaux du Gabon (ANPN).

Gauche: Supérieur:

Il retire ensuite l’insecte de sa bouche et l’applique délicatement sur une plaie ouverte obtenue lors d’un combat.

PHOTOGRAPHIE DE Roldan Hilgartner
Droite: Fond:

Thea, un mâle, a coincé un insecte entre ses lèvres et l’écrase doucement.

L’équipe de recherche collecte des données comportementales sur la quarantaine de primates de la communauté de Rekambo (rekambo signifie « où l’on parle anglais » dans la langue locale) depuis maintenant cinq ans. Elle a filmé des scènes incroyables, telles que des chimpanzés qui attaquent des gorilles des plaines et qui mangent leurs petits. L’équipe a également observé les singes travailler en équipe, se servant de branches pour récupérer le miel de ruches souterraines.

En février 2022, les scientifiques ont publié leur plus grande découverte à ce jour : les chimpanzés traitent leurs propres blessures et celles des membres de leur groupe à l’aide d’une espèce d’insectes inconnue. C’est la première fois qu’un tel comportement est observé par des scientifiques chez ce grand singe.

 

LES MÉTHODES DE SOINS CHEZ LES AUTRES ANIMAUX

Michael Huffman, primatologue et professeur à l’Université de Kyoto est l’un des pionniers dans l’étude des comportements d’automédication des animaux, aussi appelée zoopharmacognosie. Il y a plusieurs années, il a observé des chimpanzés parasités par des vers consommer l’intérieur de tiges de Vernonia amygdalina, un arbuste africain. La plante contient des agents antiparasitaires également utilisés par la population locale pour traiter les douleurs intestinales.

Quand ils sont parasités par des ascaris, les bonobos et les gorilles ingèrent des plantes velues et rêches qui peuvent combattre les vers. Les poils de ces plantes augmentent l’activité intestinale et emportent les parasites vers la sortie. Il y a plusieurs années, des scientifiques ont également découvert que les orangs-outans de Borneo se soignaient avec des extraits d’arbre dragon.

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    Chez les grands singes, la toilette est une sorte de service amical qui est signe d’affection. Il en va de même pour les soins.

    PHOTOGRAPHIE DE Photographs By Roldan Hilgartner

    Des mécanismes d’automédication ont été observés chez d’autres ordres d’animaux. Certaines espèces d’oiseaux se « baignent » dans des fourmilières pour se débarrasser d’ectoparasites, comme les mites des plumes, grâce à l’acide formique qu’elles contiennent. Au moins une éléphante en gestation a été observée au Kenya en train de manger des plantes que les naturopathes locaux prescrivent aux femmes enceintes pour provoquer l’accouchement.

    Alessandra Mascaro, biologiste évolutionniste participant au projet Ozouga et responsable de l’étude publiée en février, observa pour la première fois en 2019 que les chimpanzés de la communauté de Rekambo semblaient traiter leurs blessures. Elle visionna une courte vidéo dans laquelle une femelle chimpanzé attrapait un insecte, l’appliquait sur son fils blessé et peu après, retirait avec soin les restes d’insectes. Elle semblait soigner des plaies.

    De retour en Allemagne, Mascaro fit visionner les enregistrements à Deschener et Pika. Ce qu'il virent les surprit. Une vidéo ultérieure prouva que le comportement n’était pas accidentel ou arbitraire puisque d’autres membres de la communauté de Rekambo semblaient eux aussi soigner leurs blessures de cette manière. Dans son étude, Mascaro enregistra 19 animaux en train de se soigner avec des insectes.

    Au cœur de la forêt à Loango, Deschner observait deux mâles s’approcher de César, un chimpanzé, en train de transporter des fruits d’icaquier. À cinq mètres, l'expert remarqua que l’un des mâles présentait une large lacération sur la cuisse gauche et deux plaies ouvertes dans le dos. L’autre mâle était également blessé : son poignet saignait.

     

    Les scientifiques n’ont toujours pas identifié l’espèce d’insectes qu’utilisent les chimpanzés pour soigner leurs blessures.

    PHOTOGRAPHIE DE Roldan Hilgartner

    Une violente bagarre avait apparemment éclaté la nuit précédente, probablement à cause de Pandi, le mâle alpha. Après s’être absenté quelques jours, Pandi avait rejoint le groupe, ce qui dut accroître les tensions au sein des mâles.

    Le lendemain matin, j’observais les chimpanzés se toiletter les uns les autres. Quand les animaux se séparèrent, je suivis Théa, l’un des singes qui était venu voir César la veille et qui était toujours blessé. D’après son expression faciale, sa jambe meurtrie le dérangeait : il tâtait les blessures de ses doigts et scrutait la végétation alentours, comme s’il cherchait quelque chose.

    Les chimpanzés (ici un mâle dénommé César) mangent des aliments très variés dont des fruits, des fruits à coques, des graines et des insectes. Le territoire des chimpanzés de la communauté de Rekambo s’étale sur environ 60 kilomètres carrés et traverse les différentes zones d’habitation du parc national, comme la plage, la savane et la forêt pluviale.

    PHOTOGRAPHIE DE Roldan Hilgartner

    Instinctivement, je sortis ma caméra de mon sac à dos. Deschner avait également préparé la sienne. Et ce fut le moment tant attendu.

    D’un coup sec, Thea plongea la main droite dans un buisson. Il en sortit un insecte, peut-être une mouche, qui était posée sous une feuille. Il mit l’animal dans sa bouche et l’écrasa délicatement avec ses lèvres. Il appliqua ensuite la bouillie d’insecte sur sa plaie, l’étalant de haut en bas du bout des doigts. Il répèta le processus à plusieurs reprises puis finit par nettoyer la plaie avec ses doigts. 

    Ce type de comportement correspond exacatement à ce qu'avait observé Masacaro pour la première fois. Tout s’est passé tellement vite que, si le phénomène n’avait pas été observé auparavant, comprendre la scène aurait été presque impossible. 

    La chercheuse Alessandra Mascaro étudie les chimpanzés de la communauté de Rekambo dans la savane.

    PHOTOGRAPHIE DE Roldan Hilgartner

    Trois jours plus tard, j’observais un autre exemple de médication par les insectes. Cette fois-ci, un autre mâle avait attrapé un insecte et l’appliquait sur l’une des plaies que Thea avait dans le dos. Ce comportement prouve aux scientifiques, qu’en plus de se soigner les uns les autres, les chimpanzés sont conscients du bien-être ou du mal-être de leurs congénères. Il pourrait s’agir d’un comportement prosocial, qui d’après les scientifiques, nécessite des capacités cognitives plus complexes.

    Après que les deux chimpanzés mâles se furent déplacés, Mascaro inspecta la partie du sol où les deux individus se tenaient précédemment. Elle, et les scientifiques en général, adoreraient découvrir quelle espèce d’insectes les chimpanzés utilisent dans l’espoir d’analyser leur composition. Mais les chimpanzés n’avaient rien laissé derrière eux.

    UN COUP DE CHANCE

    Difficile de savoir si certains animaux sont conscients des liens entre certains comportements et des effets pharmacologiques.

    Par ailleurs, les scientifiques ne peuvent jamais savoir avec certitude si un comportement, même intentionnel, a eu les effets escomptés des heures ou même des jours plus tard. Le fait qu'un animal soit malade ou en bonne santé peut souvent s'expliquer de plusieurs façon, en particulier dans la nature. Chez certains animaux, trouver une explication nécessiterait de les ausculter avant et après leur maladie, ce qui est souvent impossible à faire avec des animaux sauvages.

    Fredy (à gauche) toilette Thea, l’un des mâles qui pratiquent l’automédication.

    PHOTOGRAPHIE DE Roldan Hilgartner

    Les observations de Mascaro et de ses collègues de l’équipe de recherche de l’Ozouga sont les premières sur le sujet. Elle sont uniques et constituent un sacré coup de chance explique-t-elle. En effet, les chimpanzés de Rekambo ne semblent utiliser les insectes que lorsqu’ils sont blessés, ce qui limite les chances d’observer la méthode en pratique.

    Reste à savoir si ces découvertes sont basées scientifiquement ou si elles ne sont que le fruit d’une coïncidence. Les humains, bien sûr, sont aussi connus pour faire des choses étranges (certaines scientifiquement prouvées, beaucoup d’autres non) pour avoir une santé de fer et se sentir bien dans leur peau. Si les chimpanzés faisaient de même, nous partagerions alors un autre point commun avec nos plus proches parents vivants.

    Une version de cet article a d’abord été publiée dans le numéro de septembre 2022 de l’édition allemande du magazine National Geographic.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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