Les virus, ces proies insoupçonnées qui nous réservent bien des surprises

En plus de servir de nourriture à certains microbes, les virus remplissent de nombreuses fonctions qu'il nous reste encore à étudier et découvrir.

De Douglas Main
Publication 26 janv. 2023, 16:29 CET
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Image amplifiée au microscope d’un cilié, microbe unicellulaire, nageant près d’une mousse du genre Sphagnum. Un cilié du genre Halteria peut survivre et prospérer en se nourrissant exclusivement de virus, un phénomène qui n’avait jamais été observé. 

PHOTOGRAPHIE DE Marek Miś, Science Source

Bien que les virus soient souvent considérés comme des agents dangereux, seul un faible pourcentage d’entre eux, parmi les millions d’espèces connues, sont pathogènes. En réalité, les virus sont partout et jouent un rôle bénéfique et complexe dans notre organisme et dans l’environnement. 

Et ce n'est pas tout : de nouvelles recherches indiquent qu’ils peuvent même servir de nourriture à certains microbes.

Une étude publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences, a démontré qu’un petit microbe unicellulaire, un cilié du genre Halteria, peut survivre et atteindre sa maturité en consommant un certain type de virus. Les scientifiques estiment que chacun de ces microbes peut engloutir jusqu’à un million de virus par jour, voire des centaines de billions lorsqu’ils se trouvent dans une mare de leur habitat naturel en Amérique du Nord.

La communauté scientifique savait que certains microbes se nourrissaient occasionnellement de virus, mais pensait que ces derniers ne présentaient qu’un faible intérêt, notamment du point de vue nutritionnel, explique John DeLong, directeur de l’étude et chercheur en écologie évolutive à l’Université du Nebraska, à Lincoln. Les virus sont des paquets d’ADN et d’ARN qui ont besoin de cellules hôtes pour se reproduire et qui seraient capables d’infecter tous les êtres vivants.

« On se disait que [manger des virus] n'était pas très intéressant sur le plan énergétique, compte tenu de leur petite taille », relève DeLong. « Mais on estime que cela se produit tout le temps dans la nature, et à très grande échelle. »

Le fait que des microbes puissent survivre en mangeant des virus change radicalement ce que l’on pensait de la circulation des nutriments et d’éléments comme le carbone dans notre écosystème, explique-t-il.

Et si ce phénomène se produit à grande échelle, comme le pensent les scientifiques, cela implique que ces substances pourraient remonter le réseau trophique bien plus efficacement que ce que nous pensions jusqu’ici.

 

LES VIRUS, UNE NOURRITURE DE SUBSTITUTION

DeLong et ses collègues étudient les chlorovirus, des virus qui infectent les algues symbiotiques trouvées au sein des cellules de certains microbes comme les paramécies. Les chlorovirus prospèrent dans de nombreux écosystèmes d’eau douce : on en trouverait ainsi plusieurs millions dans chaque millimètre d’eau. Ils pénètrent les algues lorsque d’autres virus infectent ces hôtes, leur ouvrant ainsi la voie. 

Face à cette quantité faramineuse de virus, DeLong s’est posé une question : s'il y a autant de virus, serait-il possible que quelque chose d’autre s’en nourrisse ?

Pour tester cette hypothèse en laboratoire, DeLong et ses collègues ont ajouté un chlorovirus purifié dans quelques gouttes d’eau prélevée dans une mare proche de leur laboratoire dans le Nebraska. L’objectif était de découvrir si certains des « volontaires » présents dans l’eau réagiraient positivement à l’introduction du virus dans leur environnement. Certains ont bel et bien réagi.

L’un des plus enthousiastes était un microbe planctonique, Halteria.

DeLong a ensuite introduit des virus dans une boîte de pétri qui contenait de nombreux ciliés. Ces derniers ont vite grandi et se sont reproduits, ne survivant que grâce au virus. Les chercheurs ont ensuite coloré les virus pour s’assurer que les particules virales étaient effectivement digérées par Halteria.

« Ça a été incroyablement rapide », raconte DeLong. « Les cellules se sont mises à briller au bout de cinq à dix minutes. »

Selon lui, de nombreux autres microbes pourraient être capables de consommer des virus, comme d’autres ciliés et flagelles, par exemple. On ne sait pas à quelle fréquence agissent ces organismes mangeurs de virus, ou virovores, dans la vraie vie, en partie car de telles interactions microscopiques sont difficiles à observer dans la nature. 

« Nous sommes contents d'avoir cet exemple pour indiquer que ces virus constituent des ressources nutritives », affirme Kyle Edwards, chercheur qui étudie les virus marins à l’Université de Hawaï, à Manoa, et qui n’a pas participé à l’étude.

« Des études indiquent déjà depuis un certain temps que les virus pouvaient être consommés par des organismes unicellulaires [de manière occasionnelle], mais je n’avais jamais vu aucune étude démontrer qu’ils pouvaient être un substrat pour la croissance. »

 

DES PATHOGÈNES BÉNÉFIQUES 

En plus d’être une potentielle source de nourriture pour les microbes, les virus jouent plusieurs rôles écologiques qui échappent encore à notre compréhension.

Chaque espèce doit faire face à son lot de virus. Ils peuvent se propager largement au sein d’une population et limiter le nombre d’individus (en particulier chez les microbes). Cette dynamique influe sur les cycles de vie des organismes et aide à limiter l’expansion de certains phénomènes comme l'efflorescence algale, qui peut être nocive pour la vie marine, explique Edward.

Les virus peuvent également stimuler l’évolution en insérant un nouveau matériel génétique dans leurs hôtes. Par exemple, 8 % du génome humain est constitué d’anciens restes de rétrovirus endogènes, des virus qui ont infecté nos ancêtres il y a bien longtemps.

Les plus célèbres de ces rétroéléments sont les syncytines, qui encodent les protéines qui servent à de nombreux mammifères, dont les humains, à tomber enceints. D’autres gènes hérités des rétrovirus aident à prévenir le cancer, à assister l’embryon dans son développement, et, paradoxalement, à combattre les infections.

 

VERS UNE RÉVISION DU RÉSEAU ALIMENTAIRE ?

On pense que les virus infectent des microbes puis rejettent leur matériel dans leur environnement, où des bactéries s’en nourrissent. De nombreux nutriments et ressources restent ainsi englués en bas du réseau alimentaire, ou trophique.

Cependant, si suffisamment de microbes consomment des virus, ce « court-circuit viral » pourrait être moins important que ce l’on pensait, affirme DeLong.

« Nous ne savons pas si ce phénomène se produit fréquemment dans la nature, mais si c’est le cas, alors il existe une autre voie par laquelle l’énergie et les nutriments remontent jusqu’au sommet de la chaîne alimentaire, et qui pourrait jouer un rôle majeur dans le cycle du carbone », souligne-t-il.

Une telle découverte pourrait radicalement changer ce que l'on sait du cycle du carbone, de l'écologie des environnements d'eau douce, de certaines complexités du système climatique, et plus encore.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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