Une "naissance vierge" a été observée chez un crocodile américain

Cette capacité étonnante à se reproduire sans s'accoupler, la parthénogenèse, est désormais bien connue des scientifiques. C'est cependant la première fois qu'elle est observée chez une espèce de crocodile.

De Jason Bittel
Publication 16 juin 2023, 17:44 CEST
Un crocodile américain (Crocodyles acutus) se faufile à travers la forêt de mangroves du parc marin ...

Un crocodile américain (Crocodyles acutus) se faufile à travers la forêt de mangroves du parc marin national Jardines de la Reina à Cuba. L'espèce serait capable de se reproduire sans partenaire d'après les récentes observations au Costa Rica.

PHOTOGRAPHIE DE David Doubilet, Nat Geo Image Collection

Une nouvelle découverte scientifique révèle que les crocodiles américains (Crocodylus acutus) femelles peuvent donner naissance à une progéniture sans l’intervention d’un mâle, un phénomène connu sous le nom de parthénogenèse facultative, ou « naissance vierge ».

La parthénogenèse a déjà été observée chez un certain nombre de vertébrés captifs et sauvages, tels que les requins-zèbres, les lézards du genre Aspidoscelis, les crotales, et même les condors de Californie, une espèce en danger critique d’extinction, mais cette stratégie n’avait encore jamais été observée chez une espèce de crocodile. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), bien que son nombre augmente dans certaines régions du continent américain et des Caraïbes, le crocodile américain est vulnérable à l’extinction.

« Au fil du temps, nous nous sommes rendu compte que la parthénogenèse est un phénomène assez répandu et commun », explique Warren Booth, biologiste de l’évolution urbaine à Virginia Tech et auteur principal d’une étude parue récemment dans Biology Letters chargée de décrire la découverte. 

Certaines espèces qui se reproduisent habituellement par voie sexuelle peuvent présenter ce type de reproduction asexuée lorsque certaines des cellules produites avec l’ovule d’une femelle adoptent le comportement des spermatozoïdes et fusionnent avec l’ovule.

Le cas récent qui a mené à la découverte décrite par Booth a été observé chez un crocodile américain âgé de 18 ans, exposé au Parque Reptilandia, au Costa Rica. C’est lorsque l’animal a commencé à agir de manière inhabituellement agressive que ses gardiens, qui le prenaient pour un mâle depuis son arrivée seize ans plus tôt, ont commencé à avoir des doutes.

« Ils se sont alors rendu compte qu’il ne s’agissait pas d’un mâle, mais bien d’une femelle, et qu’elle gardait un nid », raconte Booth.

 

DES PREUVES GÉNÉTIQUES

Sur les quatorze œufs trouvés par les gardiens, sept semblaient fécondés et ont été placés dans un incubateur.

Au bout de trois mois, aucun œuf n’a éclos. Cependant, l’un d’entre eux contenait bel et bien un fœtus entièrement formé, mais finalement non viable.

Même si le crocodile n’avait pas été exposé à un autre individu de son espèce depuis des années, il y avait une petite possibilité que la grossesse résulte d’un cas extrême de diapause embryonnaire (autrement dit, de fécondation tardive).

À l’aide d’un nouveau programme d’analyse génétique conçu par Brenna Levine, co-autrice de l’étude, l’équipe a comparé l’ADN du fœtus à celui de la mère, ce qui a permis de confirmer que le fœtus était un clone partiel et donc le produit d’une naissance vierge.

« Les preuves génétiques parlent d’elles-mêmes », affirme Matthew Fujita, professeur de biologie à l’Université du Texas à Arlington, qui a récemment passé en revue les recherches sur la parthénogenèse.

« Il s’agit d’un cas très convaincant de parthénogenèse facultative », ajoute Fujita, qui n’était pas impliqué dans la nouvelle étude.

 

UNE CARACTÉRISTIQUE ANCIENNE

Ce nouvel exemple de reproduction parthénogénétique revêt une importance particulière du fait de la place qu’occupent les crocodiliens, les reptiles appartenant à l’ordre des Crocodilia qui comprend notamment les crocodiles, les alligators, les caïmans et les gavials, dans l’arbre généalogique de l’ensemble des espèces.

« Les oiseaux et les crocodiles font partie d’une ancienne lignée connue sous le nom d’archosauriens », reprend Booth.

Chez les dragons de Komodo, pas besoin de mâle pour se reproduire

Les crocodiliens constituent le groupe le plus ancien des archosauriens, les ptérosaures et les dinosaures ayant divergé plus tard ; les oiseaux descendent quant à eux des dinosaures. Si les crocodiliens et les oiseaux (qui constituent donc les lignées les plus anciennes et les plus récentes) sont capables de parthénogenèse, alors il est probable que les lignées intermédiaires, telles que les ptérosaures et les dinosaures, aient également présenté cette caractéristique.

« Je pense que cette caractéristique est très ancienne ; elle n’a jamais été perdue au fil des anciennes lignées à partir desquelles d’autres organismes ont évolué », suggère le biologiste.

Les amateurs du premier volet de la saga Jurassic Park se souviendront que l’un des éléments centraux de son intrigue portait sur la capacité des dinosaures à se reproduire seuls. Bien sûr, un tel phénomène n’était pas censé être possible dans le récit, les scientifiques à l’origine du retour des dinosaures ayant fait en sorte que tous les individus soient des femelles. Il est toutefois révélé plus tard dans le film que ces derniers avaient également utilisé de l’ADN de grenouilles pour compléter le « dino-ADN », car certains amphibiens ont la capacité de changer spontanément de sexe, ce qui avait finalement donné aux dinosaures la capacité de se reproduire.

« Ce que cette découverte montre, c’est que si un nouveau film Jurassic Park sortait aujourd’hui, ils n’auraient pas à aller aussi loin dans leurs explications », affirme Booth, qui est un grand fan de la saga.

« Ils pourraient tout simplement dire qu’il est très probable que l’ADN des dinosaures porte la variante génétique qui permet la parthénogenèse. »

 

LA RECHERCHE CONTINUE

La découverte étant limitée à un unique individu en captivité, de nombreuses questions restent en suspens.

« Ce phénomène est-il courant ? Les progénitures peuvent-elles être viables ? Si non, pourquoi ne le sont-elles pas ? Qu’est-ce qui fait qu’une femelle produit une progéniture par parthénogenèse ? Pourquoi la femelle a-t-elle mis dix-huit ans à le faire ? », s’interroge Fujita.

« Toutes ces questions ne trouvent pas encore de réponse, mais il serait très intéressant de les mettre au jour. »

Heureusement, les chances d’identifier les gènes qui permettent la parthénogenèse n’ont jamais été aussi élevées, car davantage de chercheurs se penchent sur le sujet, mais aussi car des millions d’animaux sont aujourd’hui en captivité dans le cadre du commerce d’animaux de compagnie, et car de meilleurs outils existent et peuvent aider à mieux identifier ce phénomène étonnant.

À cette fin, Levine a mis son nouveau programme, baptisé ParthenoGenius, en libre accès dans l’espoir que d’autres scientifiques l’utiliseront pour analyser un plus grand nombre de génomes à la recherche de preuves de parthénogenèse.

Booth espère trouver prochainement des preuves tangibles indiquant que les tortues sont elles aussi capables de se reproduire par parthénogenèse facultative.

« Au fil des ans, j’ai été contacté à plusieurs reprises par des propriétaires d’animaux qui avaient des tortues femelles seules qui, soudainement, avaient produit des œufs qui avaient éclos », raconte Booth. « Mais nous n’avons jamais pu récupérer des tissus. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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