Les ours blancs peuvent-ils s'adapter à une vie sans banquise ?

Les ours polaires peuvent perdre plus de 1 kg par jour lorsqu'ils sont sur la terre ferme, un constat particulièrement préoccupant face à la fonte progressive de leur environnement naturel.

De Stefan Lovgren
Publication 15 févr. 2024, 14:32 CET
Il n'est pas inhabituel de rencontrer des ours polaires dans l'ouest de la baie d'Hudson, dans ...

Il n'est pas inhabituel de rencontrer des ours polaires dans l'ouest de la baie d'Hudson, dans la province canadienne du Manitoba.

PHOTOGRAPHIE DE Roy Toft

Pour les ours blancs du Manitoba, au Canada, la banquise qui enveloppe l’ouest de la baie d’Hudson pendant la majeure partie de l’année constitue un terrain de chasse idéal. Cependant, lorsque les canicules estivales arrivent et que ces étendues de glace commencent à fondre, ces grands mammifères sont contraints d’aller trouver refuge sur la terre ferme, où la vie n’est pas de tout repos.

Là-bas, privés de nourriture adaptée, les ours doivent vivre sur leurs réserves de graisse pendant plusieurs mois, et cette attente devient de plus en plus longue. Face aux conséquences du changement climatique, la banquise fond en effet plus tôt au printemps et se reforme plus tard à l’automne. En outre, les recherches montrant que l’Arctique se réchauffe deux fois plus vite que le reste du monde, une question essentielle se pose : comment les ours blancs s’adapteront-ils à de plus longues périodes de vie sur la terre ferme ?

Selon une nouvelle étude publiée dans la revue Nature, cette adaptation sera difficile. En effet, lorsqu’ils sont sur terre, plutôt que de se reposer comme le pensaient les scientifiques, ces carnivores passent leur temps à chercher de la nourriture, comme des oiseaux et des baies. En agissant ainsi, ils dépensent toutefois autant d’énergie qu’ils en gagnent grâce à la nourriture qu’ils ingèrent ; au cours des trois semaines qu’a duré l’étude, les ours suivis ont perdu en moyenne plus de 1 kilogramme par jour en attendant le retour de la glace.

« Il n’y a pas de bonne stratégie » pour les ours blancs, affirme Anthony Pagano, responsable de l’étude et biologiste spécialisé dans la recherche sur la vie sauvage à l’U.S. Geological Survey à Anchorage, en Alaska. « Ils ne pourront pas trouver la nourriture dont ils ont besoin sur la terre ferme. »

Les scientifiques avertissent qu’en passant de plus longues périodes sur la terre ferme sans une quantité suffisante de nourriture, les individus vulnérables, et tout particulièrement les jeunes ours, risqueront de souffrir de la faim, ce qui pourrait mettre à risque la survie de populations entières.

En outre, selon les chercheurs, les rencontres dangereuses avec les humains pourraient également se multiplier, les ours polaires se déplaçant vers de nouveaux espaces habités à la recherche de nourriture.

 

UNE ACTIVITÉ SURPRENANTE

Les ours blancs sont répartis dans dix-neuf régions à travers l’Arctique, du Canada au Groenland en passant par la Russie. Tandis que certaines populations vivent sur des banquises permanentes, d’autres dépendent des glaces saisonnières. Le changement climatique ayant provoqué une perte plus ou moins importante des étendues de glace dans la totalité de ces régions, entraînant ainsi un déclin considérable des populations, l’Union internationale pour la conservation de la nature considère désormais que les ours blancs sont une espèce vulnérable à l’extinction

D’après l’étude, la période d’absence de banquise dans l’ouest de la baie d’Hudson a augmenté de trois semaines entre 1979 et 2015. Les ours de la région passent donc en moyenne 130 jours sur terre par an, un chiffre qui devrait augmenter de 5 à 10 jours par décennie à l’avenir.

Pour découvrir ce que font les ours blancs lorsqu’ils sont sur la terre ferme, Pagano et son équipe ont placé des traqueurs vidéo équipés de GPS sur vingt individus de la baie d’Hudson pendant des périodes de trois semaines au cours des étés de 2019 à 2022. Les scientifiques ont pu suivre le régime alimentaire, les déplacements et les comportements des ours, ainsi que l’évolution de leur masse corporelle et la quantité d’énergie qu’ils dépensaient chaque jour.

« Auparavant, nous ne disposions que de bribes [d’informations] sur ce que les ours faisaient sur la terre ferme », explique Pagano, qui a mené une étude similaire axée sur l’activité des ours sur la banquise il y a plusieurs années.

La terrible lutte des ours polaires pour se nourrir

Le comportement des ours varie considérablement. Trois d’entre eux ont effectué de longues nages en eau libre, dont une femelle qui a parcouru plus de 150 kilomètres. Des images vidéo ont montré que, pendant sa nage, l’ourse avait trouvé un béluga mort, mais n’avait pas pu s’en nourrir. « Nous avons ainsi découvert que les ours ne sont pas capables de se nourrir en eau libre. »

Le biologiste confie avoir, tout comme ses collègues, été surpris par ses résultats : avant cela, les scientifiques pensaient que les ours blancs réduisaient significativement leur activité lorsqu’ils étaient sur la terre ferme afin de conserver leur énergie.

Si les mâles adultes passaient effectivement presque tout leur temps à se reposer, réduisant ainsi leur dépense énergétique à des niveaux similaires à ceux des ours en hibernation, 70 % des individus se déplaçaient en réalité activement à la recherche de sources de nourriture, notamment de baies, d’herbes et de carcasses d’oiseaux et de caribous. Ces aliments sont beaucoup moins riches en énergie que la graisse des phoques, leurs proies de choix lorsqu’ils sont sur la banquise.

Sur les vingt ours suivis, dix-neuf ont perdu du poids, et ce quels que soient leur âge, leur sexe ou leur taille.

L’étude prévoit qu’un quart des mâles adultes, les individus les plus grands et les plus résistants qui peuvent peser jusqu’à 800 kg, commenceraient à souffrir de famine à partir de 180 jours sur la terre ferme. Pour les plus vulnérables, tels que les jeunes, la famine arriverait encore plus tôt.

 

DE PLUS EN PLUS DE TEMPS SUR TERRE

Selon Andrew Derocher, professeur de biologie à l’Université d’Alberta au Canada qui étudie depuis longtemps les ours blancs, certains individus sont en meilleure forme que d’autres.

« Certains animaux peuvent passer de nombreux mois avant d’avoir des problèmes, tandis que d’autres peuvent commencer à manquer d’énergie après quelques semaines seulement », révèle Derocher, qui n’était pas impliqué dans l’étude publiée dans Nature. Plus un ours est parvenu à faire des réserves de graisse pendant ses mois sur la banquise, plus il pourra faire face à la période qu’il passera sur la terre ferme. « C’est ce que j’appelle la survie des plus gros. »

Les ours blancs passant de plus en de temps sur terre où ils sont contraints de se déplacer activement à la recherche de nourriture, « certains [d’entre eux] font face à un certain désespoir qui les met en conflit potentiel avec les humains ».

Dans le passé, les ours blancs se rassemblaient près de la ville canadienne de Churchill, dans le Manitoba, qui a ainsi pris l’habitude de gérer leur présence, notamment par le biais d’un centre de détention spécialisé connu sous le nom de « prison pour ours polaires », où les ours dangereux sont détenus avant d’être redéplacés plus loin de la ville.

Il semblerait cependant que de plus en plus d’individus migrent vers le nord à la recherche de glace et s’installent ainsi dans des villes qui, contrairement à Churchill, ne se sont pas préparées à leur présence.

« Parfois, ces ours sentent de la nourriture pour chiens et viennent la récupérer », explique Derocher. « Ils n’ont pas envie de venir se nourrir de nos déchets. Ils préfèreraient être sur la banquise et chasser des phoques, mais ils sont de plus en plus souvent coincés sur la terre ferme. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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