Les rhinocéros blancs du Nord sont au bord de l'extinction. Comment les sauver ?

Les rhinocéros blancs du Nord ne comptent plus que deux individus... deux femelles. Des scientifiques se sont donc alliés avec une société dont la technologie controversée de "dé-extinction" pourrait contribuer à sauver cette espèce précieuse.

De Rene Ebersole
Photographies de Ami Vitale
Publication 19 sept. 2023, 16:23 CEST
Fatu, l’un des deux derniers rhinocéros blancs du Nord, vit dans un vaste enclos à l'Ol ...

Fatu, l’un des deux derniers rhinocéros blancs du Nord, vit dans un vaste enclos à l'Ol Pejeta Conservancy, une réserve naturelle située au Kenya. Les scientifiques ont utilisé ses ovules pour créer une trentaine d’embryons et espèrent transférer certains d’entre eux dans une mère porteuse rhinocéros blanc du Sud.

PHOTOGRAPHIE DE Ami Vitale

Un consortium mondial de scientifiques qui s’efforcent de sauver le rhinocéros blanc du Nord, une espèce qui ne compte plus que deux individus, tous deux des femelles, sollicite désormais l’aide de la société américaine de biotechnologie Colossal, connue pour ses tentatives de résurrection d’espèces disparues telles que le mammouth laineux, le dodo et le tigre de Tasmanie.

Thomas Hildebrandt, chef du consortium BioRescue et expert en reproduction des animaux sauvages à l’Institut Leibniz pour la recherche sur la faune sauvage et de zoo à Berlin, admet qu’il était initialement réticent à l’idée de travailler avec Colossal.

« Je n’aime pas l’idée d’entreprendre une recréation des mammouths et de qualifier ce projet de projet de conservation », confie l’expert, qui a toutefois réalisé que les outils mis au point par Colossal pourraient jouer un rôle déterminant pour reconstruire une population saine de rhinocéros blancs du Nord.

En décembre 2019, des scientifiques ont réussi à extraire des ovocytes immatures des deux femelles rhinocéros blancs du Nord, Najin et Fatu, dans la réserve Ol Pejeta au Kenya. Ce processus a permis d'obtenir vingt-neuf embryons viables, tous stockés dans de l'azote liquide au sein d'un laboratoire en Italie.

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« Nous voulons sauver une espèce clé de voûte, qui a joué un rôle crucial dans un écosystème complexe en Afrique centrale. Nous avons encore le temps de ramener les rhinocéros, et nous espérons vivement parvenir à une première réintroduction du rhinocéros blanc du Nord d’ici dix à vingt ans. »

Le fondateur et PDG de Colossal, Ben Lamm, estime que la participation de son entreprise illustre en quoi son investissement de 225 millions de dollars dans la « dé-extinction » est capable de stimuler la conservation d’espèces vivantes avant leur disparition.

« La grande majorité des actions de conservation se concentrent sur la préservation des terres, la lutte contre le braconnage… mais lorsqu’il ne reste plus que deux femelles, il faut faire appel à des technologies plus avancées », explique-t-il.

Lamm espère que « les groupes de conservation et les gouvernements du monde entier pourront utiliser l’ensemble de [leur] palette d’outils de dé-extinction pour sauver des espèces ».

 

AVANT QU’IL NE SOIT TROP TARD

Les rhinocéros blancs, originaires d’Afrique subsaharienne, sont divisés en deux sous-espèces : les rhinocéros blancs du Sud et les rhinocéros blancs du Nord.

Les braconniers tuent les rhinocéros pour leurs cornes, qu’ils vendent ensuite sur le marché noir pour la médecine traditionnelle et les sculptures, décimant ainsi des populations entières. À la fin du 19e siècle, il ne restait plus qu’une vingtaine de rhinocéros blancs du Sud. Un siècle plus tard, les efforts de conservation ont permis de porter leur nombre à environ 16 000 individus en Afrique de l’Est et en Afrique australe. Le rhinocéros blanc du Nord, quant à lui, s’est éteint à l’état sauvage en 2008, et seule une poignée d’individus ont survécu dans des zoos.

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    L'équipe de BioRescue examine un rhinocéros blanc du Sud mâle stérile, Ouwan, qui a contribué au processus de création d'embryons, sous les yeux d'une équipe de Colossal, à Ol Pejeta Conservancy, au Kenya, en mai 2023.

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    En 2009, les quatre derniers rhinocéros blancs du Nord reproducteurs (deux femelles et deux mâles) ont été transportés par avion du zoo de Dvůr Králové, en Tchécoslovaquie, jusqu’à leur nouveau foyer dans la réserve d’Ol Pejeta Conservancy, une organisation à but non lucratif située au pied du mont Kenya. Certains défenseurs de l’environnement pensaient que les rhinocéros auraient plus de chances de se reproduire dans leur environnement naturel. Sous la protection continue de gardes armés, les animaux se sont accouplés, mais les femelles ne sont pas tombées enceintes. En 2013, l’un des mâles, Suni, a subitement succombé à une crise cardiaque. Peu après, Hildebrandt a fait une triste découverte en examinant la femelle Najin et sa fille Fatu : toutes deux souffraient d’affections qui les empêcheraient de mener à bien une gestation.

    Un autre drame s’est produit en 2018 : Ol Pejeta a dû prendre la décision déchirante d’euthanasier Sudan, le dernier mâle, âgé de 45 ans, qui souffrait d’une infection de la jambe ainsi que d’une maladie liée à l’âge. Son état était tel que l’animal ne pouvait plus se tenir debout.

    Susanne Holtze, à gauche, et Thomas Hildebrandt, spécialiste de la reproduction et directeur de BioRescue, examinent une éventuelle mère porteuse rhinocéros blanc à Ol Pejeta Conservancy, en mai 2023. Sur le plan génétique, les petits nés de mères porteuses seraient toujours des rhinocéros blancs du Nord.

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    LE DERNIER ESPOIR

    À ce moment-là, il était devenu évident que la fécondation in vitro serait le seul espoir de sauver l’espèce, se souvient Samuel Mutisya, responsable de la conservation à Ol Pejeta.

    Le 22 août 2019, Hildebrandt et une équipe de vétérinaires sont parvenus à prélever des ovocytes sur Najin et Fatu ; c’était la première fois qu’une telle procédure était pratiquée sur des rhinocéros blancs du Nord.

    Hildebrandt, à gauche, et Frank Goeritz, vétérinaire en chef de BioRescue, transportent les ovocytes de l'une des deux dernières femelles rhinocéros blancs du Nord vers le laboratoire Avantea, en Italie, en 2019.

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    Ces ovocytes ont été rapidement transportés à Aventea, un laboratoire privé italien spécialisé dans la reproduction animale. Le scientifique Cesare Galli a inséminé artificiellement ces derniers avec du sperme congelé prélevé sur des rhinocéros blancs du Nord mâles avant qu’ils ne meurent dans des zoos. Depuis, d’autres collectes d’ovocytes ont été réalisées, permettant à Galli de créer vingt-neuf embryons de rhinocéros blanc du Nord. 

    L’équipe de BioRescue souhaite implanter prochainement l’un de ces embryons dans une mère porteuse rhinocéros blanc du Sud dans le but de produire un petit en bonne santé d’ici 2025. Génétiquement, cette progéniture serait considérée comme un rhinocéros blanc du Nord.

    « Nous devons produire un bébé assez rapidement parce que nous voulons aussi sauver l’héritage social, c’est-à-dire le langage et le comportement, des deux derniers rhinocéros blancs du Nord. Les nouveau-nés ne peuvent pas apprendre cela de la part des rhinocéros blancs du Sud », détaille Hildebrandt.

    Les ingénieures génétiques (de gauche à droite) Melissa Coquelin, Rui Chen et Jessie Beebe dans leur laboratoire de Colossal Biosciences à Dallas, au Texas, en 2023.

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    LA DÉ-EXTINCTION

    La technologie génomique de Colossal constitue un élément essentiel de ce processus. Dans le cadre de ses efforts pour ramener le mammouth laineux, l’entreprise s’efforce par exemple d’ajouter les gènes des caractéristiques des mammouths, comme la tolérance au froid et la fourrure hirsute, à l’ADN d’éléphants.

    À terme, l’objectif est de produire des embryons d’éléphants ressemblant à des mammouths qui pourront être implantés dans des éléphantes vivantes, qui joueraient ainsi le rôle de mères porteuses.

    En comparaison, selon Lamm, le projet des rhinocéros un « sauvetage génétique ». Plutôt que de reconstituer une espèce, les chercheurs exploitent l’ADN de spécimens de musée de rhinocéros blancs du Nord provenant de toute l’Afrique afin de déterminer la diversité génétique qui a été perdue au sein de la population.

    L’étape suivante consisterait à utiliser des outils d’édition génomique dans le but de réintroduire cette diversité génétique dans les cellules utilisées pour créer des embryons, ce qui pourrait contribuer à protéger un futur troupeau contre des maladies et autres menaces.

    « C’est un projet qui prend du temps », reprend James. « Mais au fur et à mesure que nous développons ces technologies, l’augmentation de la population pourra se faire plus rapidement… Nous verrons les rhinocéros du Nord revenir dans leur aire de répartition de notre vivant. »

    Ben Lamm, fondateur et PDG de Colossal, tient un modèle de dinosaure du genre Brachiosaurus dans ses bureaux de Dallas, au Texas, en 2023. L'entreprise pense pouvoir utiliser la même technologie qu'elle utilise pour essayer de ressusciter des animaux éteints pour empêcher la disparition d'espèces vivantes gravement menacées.

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    IL N’Y A PAS DE SOLUTION MIRACLE

    Selon certains détracteurs, des mesures aussi extrêmes pour sauver une espèce de l’extinction (ou pour la ressusciter) demandent du temps, de l’attention et des ressources donnés au détriment d’autres animaux menacés qui pourraient être sauvés de manière conventionnelle, et avec un budget bien plus limité.

    Stuart Pimm, spécialiste de l’extinction des espèces sauvages et de la gestion de la conservation à l’Université Duke, est un fervent opposant à la dé-extinction, car il craint qu’elle ne « donne une excuse de laisser des espèces s’éteindre pour affirmer ensuite que nous pouvons les maintenir en vie dans des éprouvettes ».

    Bien qu’il soit plus favorable aux efforts déployés pour sauver le rhinocéros blanc du Nord, le spécialiste reste inquiet : « Même si cette technologie fonctionne, comment comptons-nous réintroduire ces animaux dans la nature ? Nous avons perdu le rhinocéros du Nord parce que nous avons détruit ses habitats et parce que les rhinocéros ont été victimes du braconnage. »

    Selon James, le travail réalisé avec les rhinocéros blancs du Nord, ou toute autre espèce menacée à l’avenir, n’est pas une « solution miracle » pour prévenir les extinctions. « Nous fournissons un outil innovant très complet, mais il doit être directement associé à un travail de conservation traditionnel. »

    Stuart Pimm, lui aussi, reconnaît qu’il serait dramatique de perdre le rhinocéros blanc du Nord. « Un combat entre deux rhinocéros constitue l’un des spectacles animaliers les plus extraordinaires que j’aie jamais vus. Ils sont incroyablement grands et rapides, et ils s’attaquent l’un l’autre avec une intensité incroyable. Ils donnent l’impression que la terre tremble sous nos pieds. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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