Le mystère de la mort de centaines d'éléphants s'élucide

Depuis 2020, une extinction massive frappe cette espèce en danger critique d'extinction en Afrique subsaharienne. Jusqu’à présent, personne n’en connaissait la cause.

De Laurel Neme
Publication 8 déc. 2023, 18:31 CET
Des éléphants de savane d'Afrique se déplacent dans la zone de la concession d'Abu, dans le ...

Des éléphants de savane d'Afrique se déplacent dans la zone de la concession d'Abu, dans le delta de l'Okavango, au Botswana. Le pays abrite l'une des dernières populations de cette espèce menacée.

PHOTOGRAPHIE DE Cory Richards

En 2020, la mort subite de centaines d’éléphants de savane d’Afrique dans le delta de l’Okavango au Botswana a alarmé les défenseurs de l’environnement. Le nombre de morts, passé de dizaines en mars à plus de 350 en juillet renforçait leurs inquiétudes, notamment parce que personne n’en connaissait la cause. 

Peu de temps après, le mystère s’est épaissi lorsque trente-quatre autres individus de cette espèce en danger critique d'extinction sont décédés à la frontière du nord-ouest du Zimbabwe en l’espace de trois semaines, puis un de plus en novembre. 

« Tout est allé très vite », dit Chris Foggin, vétérinaire pour la réserve naturelle Victoria Falls Wildlife Trust ayant examiné les carcasses d’éléphants au Zimbabwe. « C’était d’autant plus dramatique. »

Selon Steve Osofsky, directeur du Cornell Wildlife Health Center à Ithaca, dans l’État de New York, les éléphants de savane d’Afrique de la zone de conservation transfrontalière du Kavango-Zambève (KAZA), qui regroupe cinq pays, représentent la majorité de l’espèce encore en vie. Il ne reste que 350 000 individus sur Terre et compte tenu de l’ensemble déjà important d’éléments menaçant leur survie, « une nouvelle maladie pourrait bien être le dernier domino vers l’extinction », explique Osofsky, qui n'a pas participé aux nouvelles recherches. 

En septembre 2020, le gouvernement du Botswana a imputé la mort des éléphants du delta de l’Okavango à des cyanobactéries présentes dans l’eau qu’ils buvaient. Cependant, l’absence de données appuyant cette conclusion a amené les scientifiques à la remettre en cause. Les carcasses retrouvées au Zimbabwe ne montraient de leur côté aucun signe d’une mort due à ces algues toxiques. 

La cause de cette extinction a donc continué d’échapper aux experts. Le braconnage était rayé des hypothèses étant donné que les défenses des animaux étaient intactes et qu’ils ne présentaient aucune blessure par balle, et la piste de l’empoisonnement était peu probable car aucun autre animal, comme les vautours se nourrissant des carcasses, n'avait été touché. 

Cet éléphant fait partie des dizaines d'individus de son espèce à être morts mystérieusement au Zimbabwe.

PHOTOGRAPHIE DE Chris Foggin

Aujourd’hui, des recherches publiées récemment dans Nature Communications pointent du doigt un nouveau coupable, du moins pour les éléphants du Zimbabwe : une bactérie, la Bisgaard taxon 45, qui n’avait jusqu’alors jamais été retrouvée chez des éléphants d’aucune espèce et qui entraîne une grave infection sanguine générale appelée septicémie. 

La Bisgaard taxon 45 est liée à une autre bactérie appelée Pasteurella multocida, à l’origine de septicémies chez le bétail et qui a causé la mort de 200 000 antilopes saïgas, une autre espèce menacée, au Kazakhstan en 2015. Malgré leurs nombreux gènes léthaux en commun, la Bisgaard taxon 45 en est distincte. 

« Nous savons que cette maladie peut tuer un nombre raisonnable d’éléphants en peu de temps, » affirme Foggin, qui co-dirige l’étude, et « si les circonstances lui sont propices elle peut en tuer bien davantage. »

On ne sait cependant toujours pas ce que sont ces circonstances, et il est urgent de le découvrir. Les études aériennes de la population de KAZA en 2022 ont révélé un nombre élevé de nouvelles carcasses d'éléphants.

 

EN QUÊTE DE RÉPONSES

Arriver à la bactérie Bisgaard taxon 45 n’a pas été une mince affaire. Les scientifiques ont d’abord examiné un maximum de carcasses et effectué des frottis sanguins pour vérifier la présence d’anthrax, une bactérie hautement transmissible, avant de mener des autopsies sur cinq éléphants dont la mort était récente. 

Cette analyse a révélé que les éléphants avaient la rate et le foie hypertrophiés et des hémorragies internes dans plusieurs organes, deux signes de septicémie. Alors que l'on soupçonnait la présence de P. multocida, des anomalies dans le dépistage des échantillons de sang et de tissus ont incité les scientifiques à procéder à des analyses génétiques supplémentaires, ce qui a conduit à la découverte d’autres bactéries.

« Réaliser une autopsie sur un éléphant est toujours compliqué. Lorsque ces éléphants se situent dans des zones reculées auxquelles il est difficile d’accéder et en période de fortes chaleurs, obtenir les échantillons diagnostiques permettant d’accéder à ce type de données, relève de l’héroïsme, » souligne Osofsky. 

Les scientifiques ne savent pas encore à quel point la Bisgaard taxon 45 est répandue ou si elle fait partie de la flore ordinaire des éléphants et d’autres animaux. Des personnes ayant été mordues par des lions et des tigres en captivité aux États-Unis et en Angleterre l’ont contractée. Des scientifiques l’ont également retrouvée chez un tamia apprivoisé en Allemagne et chez des perroquets captifs en bonne santé. 

« Nous supposons qu’elle est probablement présente plus fréquemment que nous ne le croyions, sans pour autant causer de maladie, mais nous n’en avons pas la preuve » déclare Chris Foggin. 

Cette bactérie ne devient mortelle que « s’il se passe quelque chose de particulier » comme lorsque le système immunitaire de son hôte est affaibli ou si elle passe par une plaie et finit dans le système sanguin, explique Arnoud van Vliet, microbiologiste, co-auteur de l’étude et maître de conférences à la faculté de médecine vétérinaire de l’université de Surrey. 

Selon Foggin, les facteurs de stress environnementaux comme la chaleur ou le manque de nourriture ont peut-être conduit la Bisgaard taxon 45 à proliférer, entraînant une septicémie chez les éléphants du Zimbabwe. 

 

ET APRÈS ?

L’Afrique va devenir plus chaude et plus sèche, et la bactérie « pourrait provoquer une mortalité bien plus importante à terme », explique Foggin. C'est pourquoi, dit-il, « il est important de continuer à surveiller les décès d'éléphants pour voir si la bactérie en est responsable. »

Il sera néanmoins compliqué de comprendre où la Bisgaard taxon 45 est produite et ce qui la déclenche. Si d’autres incidents ont lieu, les scientifiques pourront chercher des tendances relatives aux conditions environnementales ou autres facteurs, déclare Laura Rosen, épidémiologiste pour l’Animal Health Sub Working Group de la Kaza, qui réunit des vétérinaires spécialisés dans le bétail et la faune sauvage afin de gérer les maladies animales transfrontalières. Ils peuvent également étudier son parent, la P. multocida, pour trouver des pistes. 

Malheureusement, de nombreux laboratoires de la région n’ont pas assez de ressources pour discerner la P. multocida de la Bisgaard taxon 45, dit-elle. 

« Ce n’est pas quelque chose que l’on cherchait à faire jusqu’ici », justifie-t-elle. 

Foggin, de son côté, a déjà commencé à faire des analyses opportunistes d’éléphants morts ou anesthésiés, de lions et d’autres carnivores afin de détecter la présence de Bisgaard taxon 45. Il encourage ses collègues à faire de même. 

« Il nous revient à nous tous, » ajoute Osofsky, « d’alimenter cette étude pour en combler les failles. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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