Rome n'a pas été construite pour résister au climat actuel. Peut-elle encore être sauvée ?

La question n'est pas de savoir si la ville sera un jour en proie à une inondation dévastatrice… mais bien quand. Le tout récent Bureau du climat de la commune de Rome s'efforce de trouver une solution.

De Mattia Ferraresi
Publication 15 juin 2023, 16:50 CEST
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Des touristes visitent le Forum romain. Depuis 2008, la fréquence et l’intensité des précipitations extrêmes ont augmenté et provoquent d'importantes inondations dans l’agglomération urbaine de Rome. Le tout nouveau Bureau du climat de la ville a pour projet de présenter une stratégie d'adaptation d'ici à l'automne prochain.

PHOTOGRAPHIE DE Andrea Frazzetta, Nat Geo Image Collection

Rome ne s’est pas faite en un jour. Mais une grande partie de la capitale italienne pourrait disparaître en quelques heures en cas de phénomène météorologique extrême, d’après les experts qui étudient la vulnérabilité de la ville. Les tempêtes sont de plus en plus violentes et fréquentes à l’échelle mondiale en raison de la hausse des températures, mais dans le cas de Rome, la situation est d'autant plus dramatique : la ville est une bombe à retardement climatique en raison de ses infrastructures obsolètes et de décennies de décisions politiques d’aménagement ayant largement fait abstraction de la crise en cours.

Le climat évolue mais pas la ville éternelle. Depuis 2008, les précipitations extrêmes ont gagné en fréquence et en intensité ; environ vingt des événements les plus extrêmes enregistrés entre 2010 et 2020 ont provoqué d'importantes inondations dans l’agglomération selon le Centre euro-méditerranéen pour le changement climatique. Même les précipitations modérées transforment régulièrement certaines rues de la ville, implantée sur des collines, en rivières pavées se déversant vers les quartiers en contrebas, inondant à la même occasion les arrêts de métro et les passages souterrains.

Les intenses vagues de chaleur constituent le revers de la médaille climatique. Ces vingt dernières années, les températures moyennes à Rome ont augmenté de 3,6 degrés Celsius par rapport à la période comprise entre 1971 et 2000. Le nombre de décès liés à la chaleur chez les adultes âgés de 50 ans et plus a lui augmenté de 22 %. Le taux de mortalité chez les personnes âgées atteint des sommets en été à proximité des îlots de chaleur urbains, qui ne cessent de s’étendre. Le climat de Rome est un pendule connu pour osciller entre sécheresse et inondation, mais la ville n’a pas encore de plan d’adaptation et sa structure complexe, vieille de plusieurs siècles, est particulièrement exposée aux variations climatiques.

« Le changement climatique exacerbe des problèmes préexistants », explique Andrea Filpa, architecte et urbaniste à l’université Roma Tre, coauteur de la première carte de vulnérabilité de Rome.

Ses recherches ont mis en évidence certains des principaux obstacles qui empêchent la ville de s’adapter au changement climatique. Plus de 90 % de l’agglomération urbaine est par exemple recouverte d’un sol imperméable qui empêche l’eau de s’écouler. Plusieurs quartiers ne disposent pas de systèmes d’égouts efficaces, ce qui les rend sujets aux inondations. Certains quartiers proches de la côte ont été assainis au 19e siècle et se trouvent aujourd’hui en dessous du niveau de la mer, ce qui oblige la ville à constamment pomper l’eau pour les maintenir au sec. La cité romaine possède également l’une des plus fortes concentrations de bâtiments illégaux parmi les capitales européennes, et forme un mastodonte administratif douze fois plus étendu que la ville de Paris.

« Selon une approche classique, on aurait cherché à déterminer quelles infrastructures construire pour faire face aux défis actuels ; dans le cas d’une ville comme Rome, on ne peut procéder ainsi », explique Filpa. « L’approche la plus sensée nécessite de prendre chacune de nos décisions, de la réparation des routes aux nouvelles constructions, selon un prisme climatique et en testant soigneusement leur impact. C’est l’étape conceptuelle la plus difficile à franchir pour une ville comme celle-ci, exposée à une myriade de défis composites. »

 

L'ULTIME MENACE

L'ultime menace, c'est l’eau. La ville est construite sur un système d’équilibrage hydraulique adapté à un climat préindustriel. Une crue massive du Tibre serait dévastatrice, or la question n’est plus de savoir si elle se produira… mais quand. Les experts s’accordent à dire que le point de rupture des berges du fleuve se situe dans le nord de la ville, au niveau du pont Milvius, où les troupes de Constantin Ier ont vaincu Maxence en 312 après J.-C., faisant de Constantin 1er l'unique souverain de l’Empire romain. Si le fleuve devait à cet endroit sortir de son lit, l’eau s’écoulerait sans embuches vers le centre historique de la ville.

Vue du Tibre à Rome. L'eau est la principale menace de dévastation pesant sur cette ville historique. Rome est construite sur un équilibrage hydraulique adapté à un climat préindustriel. Une inondation massive du Tibre serait désastreuse or, selon les experts, l’heure n’est plus à parier sur l'éventualité d'une crue, mais sur sa date d’arrivée. 

PHOTOGRAPHIE DE Christian Minelli, NurPhoto, Getty Images

Aldo Fiori, ingénieur hydraulique à l’université Roma Tre et grand spécialiste du système hydraulique de Rome, a modélisé les prochaines crues du Tibre à partir des crues les plus récentes, en simulant leur expansion et leur profondeur sur la base de périodes de retour différentes. Pour chaque scénario, le Panthéon finit rempli d’au moins deux mètres d’eau et l’ensemble du centre historique est gravement endommagé.

« Le Tibre a toujours débordé, la première inondation enregistrée remontant au cinquième siècle avant J.-C. Mais ce qui augmente vraiment l’impact durable de ces événements, c’est la quantité de sols imperméables sur le chemin de l’eau », explique Fiori, tout en montrant des simulations 3D d’inondations apocalyptiques, belles et bien fondées sur des scénarios réalistes. L’inondation de 1598, la plus dévastatrice jamais enregistrée à Rome, a tué environ 3 000 personnes, soit environ 3 % de la population de la ville à l’époque.

Des solutions radicales ont été envisagées par le passé. La grande inondation de décembre 1870, survenue quelques mois seulement après la prise de Rome par l’armée italienne et la dissolution des États pontificaux, avait incité Giuseppe Garibaldi, le héros de l’unification de l’Italie, à présenter un projet incroyablement ambitieux visant à détourner le Tibre pour protéger à jamais Rome des inondations et de la malaria.

« Rétrospectivement, ce plan était très intelligent » explique Fiori, qui rappelle que la ville de Valence, en Espagne, a détourné le fleuve Turia dans les années 1960 après une terrible inondation. « Mais une analyse coût-bénéfice a poussé les décisionnaires de l’époque à opter pour l’élévation des digues, ce qui n’était qu’une solution partielle pour contenir le fleuve. »

Aujourd’hui, agir sur la perméabilité du sol est presque l’unique moyen de réduire les risques et de limiter les dommages. « Les règles d’artificialisation des sols imposent le principe d' "invariance hydraulique” : pour chaque centimètre carré de sol imperméabilisé, une quantité égale de sols perméables doit être créée. Toutefois, ce concept est lacunaire car il ne résout pas le problème hydrologique, à savoir ce qu'il se passe sous terre en termes de distribution de l’eau », souligne Fiori.

Les bassins d’infiltration, les jardins pluviaux et autres solutions naturelles qui recueillent de grandes quantités d’eau et les laissent s’infiltrer lentement dans le sol constituent des solutions innovantes pouvant atténuer les risques dans les zones urbaines sujettes aux inondations, comme Rome. Toutefois, Fiori rappelle qu’elles « ne sont pas forcément bénéfiques si elles ne sont pas construites selon une vision d’ensemble et qu’elles peuvent même être contre-productives dans certains cas. Pour que les mécanismes d’infiltration fonctionnent correctement, il faut suivre un plan global soigneusement coordonné. On ne peut pas se contenter de progresser à tâtons. Dans le cas de Rome, l'idée d'un plan global n’est pas qu'une formule inspirante qui serait vide de sens, mais une solution concrète menant à des actions efficaces. »

 

UN PLAN GLOBAL POUR ROME

La personne chargée de concevoir ce plan global pour Rome est Edoardo Zanchini. Architecte et écologiste de longue date, il a été nommé directeur du tout nouveau Bureau du climat de la ville en 2022. En 2021, le conseil municipal de Rome a voté un plan visant à réduire de 51 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Le Bureau du climat a pour projet de présenter une stratégie d’adaptation d’ici à l’automne prochain.

À quoi ressemblera le nouveau plan ? « Il n’aura rien à voir avec ce qui a été fait au niveau national », explique Zanchini. « Il n’y a pas si longtemps, le ministère de l’Environnement et d’autres départements ont produit de longs et nombreux ouvrages et documents de recherche intéressants, mais qui ne proposaient aucune solution concrète aux problèmes mentionnés. J'ai une approche inverse. Mon bureau cherche à identifier les priorités et à élaborer des mesures efficaces pour les problèmes locaux, qui peuvent être radicalement différents d’un quartier à l’autre de la ville. »

Les trois priorités fixées par Zanchini sont les suivantes : empêcher que Rome ne manque d’eau, atténuer les risques de grosses inondations et mettre en place des mesures d’urgence pour contrer les effets des vagues de chaleur estivales meurtrières, qui touchent particulièrement les personnes âgées et les personnes à faible revenu.

Rome est de plus en plus parsemée d’îlots de chaleur urbains, où la mortalité des personnes âgées de plus de 65 ans est deux fois plus élevée que dans les zones vertes. Selon les chercheurs, augmenter la couverture arborée et investir dans des infrastructures urbaines vertes pourraient réduire la mortalité de 200 unités par an.

Élaborer un plan pour préserver Rome et ses plus de 2 800 ans d’histoire pourrait sembler intimidant pour Zanchini. Mais il reste optimiste.

« Si l’on adopte une approche pragmatique, on peut faire beaucoup de choses, dit-il, à commencer par réparer notre système d’aqueducs qui fuit et planter de grands arbres dans les zones les plus cimentées pour apporter un soulagement immédiat aux personnes qui y vivent. »

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    Installé à Rome, Mattia Ferraresi est le directeur de la rédaction du journal italien Domani et collabore avec divers médias américains. Vous pouvez le suivre sur Twitter.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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