Cette comète interstellaire pourrait être l’un des plus vieux objets de notre galaxie
Voici ce que l'on sait au sujet de cette étrange comète qui traverse actuellement le système solaire.

Le télescope spatial Hubble a pris cette image de la comète 3I/ATLAS, qui n’est que le troisième objet interstellaire à avoir jamais été observé dans notre système solaire. Des scientifiques ont également utilisé les données de Hubble pour estimer sa taille et sa vitesse.
Au mois de juillet, des scientifiques d’un observatoire de défense planétaire conçu pour détecter des astéroïdes potentiellement dangereux ont identifié un visiteur en provenance d’un autre système, un objet interstellaire qui n’était que le troisième de son genre à avoir jamais été découvert. Ce voyageur, baptisé 3I/ATLAS, se trouvait à 675 millions de kilomètres de la Terre et n’apparaissait encore que comme une tache blanchâtre pixélisée. On n’en savait alors que très peu le concernant, si ce n’est qu’il s’agissait d’une comète.
Mais durant l’été, 3I/ATLAS, a plongé vers le Système solaire interne ; et le feu d’artifice a alors vraiment commencé. Quand une comète se rapproche du Soleil, il se forme derrière elle une traînée scintillante, et autour d’elle une chevelure, ainsi que l’on appelle le halo qui entoure son noyau de glace et apparaît quand celle-ci commence à se sublimer.
« Jusqu’ici, c’est spectaculaire », se réjouit Cristina Thomas, planétologue à l’Université du Nord de l’Arizona qui a pu observer directement la comète.
Malgré certains développements attendus, 3I/ATLAS a également réservé quelques surprises aux observateurs du ciel, notamment en ce qui concerne la composition de sa chevelure brillante. Pour l’instant, les scientifiques ne peuvent que partiellement expliquer ces particularités. « Il y a encore beaucoup de choses que nous ne savons pas », concède Martin Cordinier, astrochimiste à l’Université catholique d’Amérique et lui observateur de l’objet 3I/ATLAS.
Voici les toutes dernières nouvelles concernant 3I/ATLAS, les découvertes réalisées et les énigmes qui subsistent.
LA COMÈTE REJETTE BEAUCOUP DE DIOXYDE DE CARBONE
Fin août, des astronomes ont utilisé le puissant télescope Gemini South, situé sur la crête du Cerro Pachón, au Chili, pour examiner 3I/ATLAS de près. Les images ont révélé une large chevelure (ou coma) et une traînée de poussière en formation, longue d’au moins 55 000 kilomètres.
Ces observations ont permis d’identifier certains composés chimiques de la chevelure de la comète, dont du cyanure. Pour la plupart d’entre nous, ce nom évoque celui d’un poison à action rapide. Mais « c’est généralement la première molécule que l’on observe sur les comètes lorsqu’elles s’approchent du Soleil », explique Karen Meech, astronome à l’Institut d’astronomie de l’Université d’Hawaï qui a dirigé les observations réalisées avec Gemini South. Les astronomes s’attendaient à ce que le cyanure commence à s’échapper de 3I/ATLAS à peu près à la distance où cela a été constaté. « Donc rien d’inhabituel ici », précise-t-elle.
Mais ensuite, on a examiné 3I/ATLAS à l’aide de deux télescopes spatiaux (l’observatoire SPHEREx de la NASA et le télescope spatial James Webb) et une chose bizarre est apparue : l’objet rejette une quantité considérable de dioxyde de carbone, ce qui lui donne des airs de boisson gazeuse venue de l’espace lointain.

Quand on pense à la glace, on imagine naturellement de l’eau gelée. Et les comètes en contiennent souvent. Mais loin du Soleil, elles peuvent également contenir des glaces plus exotiques, comme du monoxyde de carbone ou du dioxyde de carbone. Ce n’est pas inhabituel. Ce qui est étrange toutefois est que 3I/ATLAS semble enveloppé d’une quantité considérable de dioxyde de carbone.
« L’eau est normalement l’élément dominant dans les comètes », commente Martin Cordinier, qui a utilisé le télescope James Webb (JWST) pour observer l’objet. « Ici, ça n’est pas le cas. Il est assez rare d’observer une comète ayant plus de CO2 que d’eau dans sa chevelure. »
À vrai dire, le ratio dioxyde de carbone / eau dans la chevelure est si extrême que les scientifiques ne savent pas vraiment comment l’expliquer. « Quand nous avons fait ces observations pour la première fois, ça a été frappant. Le flux de [dioxyde de carbone] est tout simplement incroyablement élevé », raconte Cristina Thomas, qui a elle aussi utilisé le télescope James Webb.
Une hypothèse est que le noyau de la comète pourrait très bien contenir beaucoup d’eau sous forme de glace, mais qu’une croûte dominée par d’autres types de glace (du dioxyde de carbone, par exemple) s’est formée à sa surface. Peut-être que, pour l’instant, cette croûte empêche le plus clair de l’eau sous forme de glace d 3I/ATLAS de se dégager dans sa chevelure.
LA CHEVELURE REGORGE DE MÉTAUX ÉTRANGES
L’un des observatoires les plus pointus du monde, le Très Grand Télescope de l’Observatoire européen austral (ESO), qui se situe sur le Cerro Paranal, a également scruté 3I/ATLAS. Et il a détecté des traces de nickel dans la chevelure, un métal généralement associé aux astéroïdes, ainsi qu’à des planètes telluriques comme la Terre et Mars.
On s’imagine souvent les comètes comme des boules de glace, mais il s’agit en fait plutôt de boules de neige boueuses, car elles contiennent également de la matière rocheuse. Il n’est pas étrange en soi d’y découvrir du nickel. Ce qui est étonnant, en revanche, est que la comète rejette du nickel à près de 500 millions de kilomètres du Soleil.
Contrairement aux glaces, les métaux comme le nickel et le fer ont des points de fusion et d’ébullition beaucoup plus élevés, ce qui signifie qu’il faut beaucoup plus de chaleur pour les sublimer, c’est-à-dire les faire passer de l’état solide à l’état gazeux. Toute comète contenant ces métaux devrait donc n’avoir une chevelure imprégnée de métaux que quand elle est extrêmement proche du Soleil.
Et pourtant, en 2021, grâce au Très Grand Télescope, des astronomes ont détecté du nickel (et du fer) dans différentes chevelures de comètes, dont plusieurs se trouvent dans notre système solaire, et sur 2I/Borisov, le deuxième objet interstellaire jamais découvert. Certaines de ces comètes couronnées de métaux traînaient à près de 500 millions de kilomètres du Soleil.
« Ça a été une véritable surprise », se souvient Emmanuel Jehin, astronome à l’Université de Liège ayant contribué à la découverte réalisée en 2021 et ayant observé 3I/Borisov à l’aide du Très Grand Télescope. « Personne n’aurait cru qu’on découvrirait ces atomes métalliques dans la chevelure d’une comète. » En plus d’une grande quantité de nickel visiblement émis prématurément, la chevelure de 3I/Borisov contient également du fer, précise-t-il.
Pourquoi ces comètes lointaines rejettent-elles donc des métaux ? « Nous ne le savons pas encore exactement », concède Cyrielle Opitom, astronome à l’Université d’Édimbourg ayant utilisé le Très Grand Télescope et le JWST pour ses observations. « Une hypothèse est que le nickel pourrait être contenu dans des composés chimiques appelés carbonyles. » Ces molécules sont hautement volatiles, ce qui signifie qu’elles peuvent se sublimer et éventuellement entraîner certains de ces métaux résistants dans la chevelure.
LES ORIGINES DE 3I/ATLAS NE SONT PAS CLAIRES
Les comètes sont généralement anciennes ; celles de notre système solaire sont les vestiges glacés des blocs élémentaires qui ont formé (et hydraté) les planètes il y a 4,6 milliards d’années. Mais au vu de sa trajectoire, certains astronomes soupçonnent 3I/ATLAS de provenir d’un amas d’étoiles qui pourrait avoir huit milliards d’années. « Il pourrait s’agir de l’un des plus anciens objets de la galaxie », affirme Martin Cordinier.
Son fer et son nickel sont également les produits de supernovas, c’est-à-dire de la mort cataclysmique d’étoiles géantes. Cela signifie que la comète contient des indices non seulement concernant son système d’origine, le système qu’elle aurait quitté pour parvenir jusqu’à nous, mais également des empreintes d’étoiles disparues depuis longtemps, mortes pour créer l’étoile hôte au centre de ce système lointain.
AUCUNE CERTITUDE POSSIBLE SUR LA TAILLE DE LA COMÈTE
Le cœur de glace de la comète est actuellement occulté par sa chevelure flamboyante. Il est donc difficile d’estimer sa taille. Le télescope spatial Hubble s’est toutefois prêté à l’exercice. En combinant ses résultats à d’autres observations, les scientifiques sont parvenus à une estimation : son noyau ne ferait pas plus de 5,6 kilomètres de long. Il pourrait d’ailleurs ne mesurer que 440 mètres de diamètre.
Mais qu’importe sa taille, elle se déplaçait à 220 000 km/h environ quand Hubble l’a observée. Ce qui est assez rapide pour relier New York et Pékin en trois minutes. Et elle continuera à accélérer tant qu’elle se rapproche du Soleil.
UNE CHOSE EST CLAIRE : CE N’EST PAS UN VAISSEAU EXTRATERRESTRE
On a pu voir surgir sur Internet quelques spéculations (irresponsables) selon lesquelles 3I/ATLAS pourrait être un vaisseau extraterrestre explorant notre système solaire. « Beaucoup de questions restent en suspens, reconnaît Cristina Thomas. Mais je peux affirmer avec certitude que non, il ne s’agit pas de ça. »
Aucune preuve n’indique qu’il s’agisse d’autre chose que d’une boule de glace en train de se sublimer. « Si c’est un vaisseau extraterrestre, il est très doué pour se déguiser en comète », s’amuse Martin Cordinier.
QUAND EN SAURONS-NOUS PLUS SUR 3I/ATLAS ?
Une grande incertitude demeure autour de 3I/ATLAS. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un objet aussi étrange que la toute première comète interstellaire jamais découverte, ‘Oumuamua, un bolide de glace discret en forme de cigare, le temps nous dira s’il est comparable au moins atypique 2I/Borisov.
« Il est important que nous continuions à l’observer et de voir ce qui se passera ensuite, affirme Martin Cordinier. Les comètes sont pleines de surprises. »
Les scientifiques s’attendent à ce que 3I/ATLAS leur livre davantage d’indices à mesure que va se poursuivre son approche solaire dans les prochaines semaines. Plus la comète se rapproche du Soleil, plus elle est active. Lorsqu’elle passera derrière le Soleil et qu’elle réapparaîtra de l’autre côté en fin d’année, elle pourrait être explosivement effervescente et révéler non seulement la chimie de sa chevelure, mais également de son noyau.
« Il faut que la comète explose un peu, explique Emmanuel Jehin. Ainsi, nous pourrions voir des phénomènes encore plus intéressants jaillir de cette comète. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
