Notre organisme serait composé de poussières d'étoiles

Chaque année, 40 000 tonnes de poussières d'étoiles tombent sur notre planète. Ce couple de scientifiques a décidé d'allier médecine et astrophysique dans le but de comprendre le lien qui relie les étoiles et le corps humain.

De Simon Worrall
Publication 6 juil. 2022, 17:46 CEST
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Dans cette image infrarouge, les vents stellaires d'une étoile géante provoquent la formation d'ondulations dans la poussière interstellaire. Ces poussières d'étoiles existent en très grandes quantités, et contiennent de l'oxygène, du carbone, du fer, du nickel et tous les autres éléments. Une partie de cette poussière finit par se retrouver dans notre organisme.

PHOTOGRAPHIE DE NASA, JPL-Caltech

À première vue, l’astrophysique et la pathologie médicale ont peu de choses en commun. Quel pourrait bien être le rapport entre les taches solaires et les taches de vieillesse ? Comment le Big Bang pourrait-il être lié à la fibrose kystique ?

Dans leur livre intitulé Living With the Stars: How the Human Body Is Connected to the Life Cycles of the Earth, the Planets, and the Stars et publié en 2015, Karel Schrijver, astrophysicien alors chercheur principal au laboratoire astrophysique et solaire de Lockheed Martin, et sa femme, Iris Schrijver, professeure de pathologie à l’université de Stanford, ont établi les liens qui unissent le corps humain aux étoiles et aux planètes.

Au moment de la sortie de leur ouvrage, depuis leur domicile de Palo Alto, en Californie, ils nous avaient expliqué que tout ce qui nous compose provient d’explosions cosmiques survenues il y a des milliards d’années, que notre corps est dans un état constant de décomposition et de régénération, et que la chanteuse Joni Mitchell avait tout compris.

 

Dans Woodstock, Joni Mitchell chantait que nous étions des poussières d’étoiles. Avait-elle raison ?

Iris : En effet ! Tout ce que nous sommes et tout ce qui existe dans l’univers et sur Terre provient de la poussière d’étoile, et elle flotte continuellement à travers nous, même aujourd’hui. Elle nous relie directement à l’univers, en reconstruisant nos corps encore et encore au cours de notre vie.

Ça a été l’une de nos plus grandes surprises. Nous n’avions pas vraiment réalisé à quel point nous sommes impermanents, et que nos corps sont faits de restes d’étoiles et d’explosions massives dans les galaxies. Tous les matériaux de notre corps proviennent de cette poussière d’étoile résiduelle, qui se retrouve dans les plantes et, de là, dans les nutriments dont nous avons besoin pour tout ce que nous faisons : penser, bouger, grandir. Et en quelques années, la majeure partie de notre corps est renouvelée.

 

Pouvez-vous me donner quelques exemples pour illustrer la façon dont la poussière d’étoile nous a formés ?

Karel : Quand l’univers a commencé à se former, il n’y avait que de l’hydrogène et un peu d’hélium, et très peu d’autres choses. Nous n’avons pas d’hélium dans notre corps. En revanche, nous avons de l’hydrogène, mais il ne représente pas l’essentiel de notre poids. Les étoiles sont comme des réacteurs nucléaires. Elles prennent un combustible et le transforment en quelque chose d’autre. L’hydrogène se transforme en hélium, et l’hélium se transforme en carbone, en azote et en oxygène, en fer et en soufre : tous les éléments qui nous composent. Lorsque les étoiles arrivent à la fin de leur vie, elles se gonflent et implosent, en se débarrassant de leurs couches externes. Si une étoile est suffisamment lourde, elle explose en supernova.

La plupart des matériaux qui nous composent proviennent donc d’étoiles mourantes, ou d’étoiles qui sont mortes dans des explosions. Et ces explosions stellaires continuent de se produire. Nous avons en nous des éléments aussi vieux que l’univers, et d’autres éléments qui ont atterri ici il y a peut-être une centaine d’années seulement. Et tout cela se mélange dans nos corps.

 

Votre livre fait le lien entre deux sciences perçues comme étant différentes : l’astrophysique et la biologie humaine. Pouvez-vous décrire vos professions respectives et la manière dont vous les avez combinées pour créer ce livre ?

Iris : Je suis médecin, spécialisée en génétique et en pathologies. Les pathologistes sont les spécialistes médicaux qui diagnostiquent les maladies et leurs causes. Nous étudions également les réactions de l’organisme face à ces maladies et aux traitements administrés. Je fais cela au niveau de l’ADN, et je dirige le laboratoire de diagnostic de pathologie moléculaire à l’université de Stanford. Je m’occupe également des patients en diagnostiquant les maladies héréditaires et les cancers, et en suivant les réponses aux traitements chez ces patients atteints de cancer en fonction des changements que nous pouvons détecter dans leur ADN.

Notre livre se base sur de nombreuses conversations que Karel et moi avons eues ensemble, au cours desquelles nous nous sommes entretenus sur des sujets de notre vie professionnelle de tous les jours. Ces domaines sont très différents. Je m’intéresse au code de la vie. Lui, c’est un astrophysicien qui explore les secrets des étoiles. Mais plus nous continuions à nous poser mutuellement nos questions, plus nous découvrions que nos domaines étaient beaucoup plus connectés que nous ne le pensions.

COMPRENDRE : Les étoiles

 

Karel : Je suis astrophysicien. Les astrophysiciens peuvent se spécialiser dans toutes sortes de choses, de la matière noire aux galaxies. J’ai choisi les étoiles parce qu’elles me fascinent. Mais peu importe le nombre d’étoiles que vous regardez, vous ne pouvez jamais voir aucun détail. Ce ne sont que des points minuscules dans le ciel.

J’ai donc porté mon attention sur le Soleil, qui est la seule étoile où l’on peut voir ce qu'il se passe dans tout l’univers. À un moment donné, la NASA m’a demandé de diriger un stage d’été pour des chercheurs débutants afin d’essayer de créer des matériaux permettant de comprendre toutes les choses qui se trouvent sur le chemin qui sépare le Soleil de la Terre. J’ai tellement appris sur ces connexions que j’ai commencé à en parler à Iris. J’ai fini par me dire que ça pourrait être une histoire intéressante à raconter, et nous avons réalisé qu’ensemble, comme elle l’a dit, nous pouvions faire tout le chemin, en partant du plus petit jusqu’au plus grand élément. Et nous avons beaucoup de plaisir à le faire ensemble.

 

Nous avons tendance à penser que notre corps ne change que lentement une fois que nous avons atteint l’âge adulte. J’ai donc été fasciné de découvrir qu’en réalité, nous changeons tout le temps et nous nous reconstruisons constamment. Parlez-nous de notre peau.

Iris : La plupart des gens ne réalisent même pas que la peau est un organe. En fait, c’est notre plus grand organe. Pour rester en vie, nos cellules doivent se diviser et se développer. Nous le savons car nous voyons les enfants grandir. Mais les cellules vieillissent aussi et finissent par mourir, et la peau en est un excellent exemple.

C’est un organe qui est en contact avec tout ce qui nous entoure. Elle est également très exposée et doit se régénérer en permanence. Elle pèse environ 4 kilogrammes et se compose de plusieurs couches. Ces couches vieillissent rapidement, en particulier la couche externe, le derme. Les cellules de cette couche sont remplacées environ une fois tous les mois, ou tous les deux mois. Cela signifie que nous perdons environ 30 000 cellules par minute tout au long de notre vie, et que la totalité de notre couche externe superficielle se renouvelle entièrement environ une fois par an.

Dans notre corps physique, très peu de choses durent plus de quelques années. Bien sûr, cela ne correspond pas à la perception que nous avons de nous-mêmes lorsque nous nous regardons dans le miroir. Mais nous ne sommes pas du tout fixes. Nous sommes plus comme un modèle ou un processus. Et c’est le caractère éphémère du corps, et le flux d’énergie et de matière nécessaire pour contrer cette impermanence, qui nous ont conduits à explorer notre interconnexion avec l’univers.

 

Vous avez une analyse fascinante de l’âge. Décrivez comment les différentes parties du corps humain vieillissent à des vitesses différentes.

Iris : Tous les tissus se recréent, mais ils le font tous à un rythme différent. Grâce à la datation au carbone, nous savons que les cellules du corps humain adulte ont un âge moyen de sept à dix ans. C’est bien moins que l’âge de l’être humain moyen, mais il existe des différences remarquables dans ces âges. Certaines cellules n’existent littéralement que quelques jours. Ce sont celles qui touchent la surface. La peau en est un excellent exemple, mais aussi les surfaces de nos poumons et du tube digestif. Les cellules musculaires du cœur, un organe que nous voyons comme très permanent, fonctionnent généralement pendant plus de dix ans. Mais si vous prenez une personne de 50 ans, environ la moitié de ses cellules cardiaques auront été remplacées.

Notre corps n’est jamais statique. Nous sommes des êtres dynamiques, et nous devons être dynamiques pour rester en vie. Ce n’est pas seulement vrai pour nous, les humains. C’est vrai pour tous les êtres vivants.

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    Il y a un chiffre qui m’a sauté aux yeux : 40 000 tonnes de poussières cosmiques tomberaient sur Terre chaque année. D’où viennent-elles ? Quels effets ont-elles sur nous ?

    Karel : Lorsque le système solaire s’est formé, il a commencé à geler le gaz en particules de glace et de poussière. En entrant en collision, elles ont grandi, encore et encore. Finalement, la gravité les a rassemblées pour former des planètes. Les planètes sont comme de grands aspirateurs, aspirant tout ce qui les entoure. Mais elles n’ont pas fini le travail. Il y a encore beaucoup de poussière qui flotte autour d’elles.

    Quand nous disons cela en tant qu’astronomes, nous pouvons parler non seulement d’objets pesant quelques microgrammes, que l’on ne verrait même pas à moins d’avoir un microscope, mais aussi de ceux qui pèsent plusieurs tonnes, comme les comètes. Toutes ces choses sont toujours là, tirées par la gravité des planètes et du Soleil. La Terre ne peut éviter de rencontrer ces débris, et cette poussière y tombe en permanence, et ce depuis le tout début. C’est comme ça que la planète a été créée en premier lieu. Aujourd’hui, on ne le remarque même pas. Mais finalement, toute cette matière, qui contient de l’oxygène et du carbone, du fer, du nickel et tous les autres éléments, se retrouve dans notre corps.

    Lorsqu’un très gros morceau de poussière, comme une comète géante ou un astéroïde, tombe sur la Terre, on assiste à une explosion massive. C’est l’une des raisons pour lesquelles on pense que les dinosaures se sont éteints il y a environ 70 millions d’années. Heureusement, cela n’arrive pas très souvent. Mais des objets tombent constamment du ciel. [Rires]

     

    De nombreux produits de consommation courante que nous utilisons ont également commencé à exister dans l’espace. Parlez-nous du sel.

    Karel : Peu importe à quoi l’on pense, son histoire a forcément commencé dans l’espace. Prenez le sel, par exemple. Ce que nous entendons généralement par sel, c’est le sel de cuisine. Il est composé de deux éléments chimiques, le sodium et le chlorure. D’où viennent-ils ? Ils se sont formés à l’intérieur d’étoiles qui ont explosé il y a des milliards d’années et qui, à un moment donné, se sont retrouvées sur Terre. Aujourd’hui encore, des explosions stellaires continuent d’avoir lieu dans la galaxie, donc une partie du chlorure que nous consommons dans le sel n’a été fabriquée que récemment.

    Vous étudiez les pathologies, Iris. Les dysfonctionnements physiques font-ils partie de l’ordre cosmique ?

    Iris : Absolument. Il existe des processus sains, comme la croissance, pour lesquels nous avons besoin de la division cellulaire. Et puis il y a des processus où les choses tournent mal. Nous vieillissons parce que l’équilibre entre la mort des cellules et leur régénération s’affaiblit. C’est ce que nous voyons dans le miroir lorsque nous vieillissons au fil du temps. C’est aussi ce que nous voyons lorsque des maladies se développent, comme les cancers. Le cancer est une sorte d’erreur dans l’ADN, et à cause de cette erreur, tout le système peut dérailler. Le vieillissement et le cancer sont en fait des processus très similaires. Ils trouvent tous deux leur origine dans le fait qu’il y a une perte d’équilibre entre la régénération et la perte de cellules.

    La mucoviscidose est une maladie génétique héréditaire. On hérite d’une erreur dans l’ADN. À cause de cela, certains tissus n’ont pas la capacité de fournir leur fonction normale à l’organisme. Mon travail est axé sur la recherche de modifications de l’ADN dans différentes populations afin de mieux comprendre quels types de mutations sont à la base de cette maladie. Sur cette base, nous pouvons établir un pronostic. Il existe aujourd’hui des médicaments qui ciblent des mutations spécifiques, ainsi que des greffes, de sorte que ces patients peuvent avoir une durée de vie bien plus élevée que ce qui était possible il y a dix ou vingt ans.

     

    De quelle manière l’écriture de ce livre a-t-elle changé votre vision de la vie, et la vision que vous avez l’un de l’autre ?

    Karel : Il y a deux choses qui m’ont frappé, et l’une d’elles était une vraie surprise. La première est ce qu’Iris a décrit plus tôt : l’impermanence de nos corps. En tant que physicien, je pensais que le corps était construit dès le départ, qu’il grandissait et était stable. Iris m’a montré, au cours de notre longue série de discussions, que ce n’est pas comme ça que ça marche. Les cellules meurent et se reconstruisent en permanence. Nous ne sommes littéralement plus ce que nous étions il y a quelques années, et pas seulement à cause de notre façon de penser. Tout ce qui nous entoure y contribue. La nature n’est pas extérieure à nous. 

    En ce qui concerne notre relation, j’ai toujours eu beaucoup de respect pour Iris, et pour les médecins en général. Ils doivent savoir des choses dont je ne serais pas capable de me souvenir. Et cela n’a fait que croître avec le temps.

    Iris : La physique n’était pas mon sujet préféré au lycée. [Rires] Grâce à Karel et à nos conversations, j’ai l’impression que l’univers et le monde qui nous entoure sont devenus beaucoup plus accessibles. C’était également notre objectif avec ce livre. Nous voulions qu’il soit accessible et compréhensible pour toute personne ayant fait des études secondaires. C’était un défi de l’écrire de cette façon, de nous expliquer mutuellement les choses avec des termes simples. Mais ce livre a vraiment changé ma vision de la vie. Il a accru mon sens de l’émerveillement et mon appréciation de la vie.

    En ce qui concerne la profession de Karel et notre relation, elle s’est inévitablement approfondie. Nous comprenons beaucoup mieux ce que l’autre fait dans les bacs à sable dans lesquels nous jouons chacun de notre côté. [Rires]

    Simon Worrall est écrivain et journaliste. Retrouvez-le sur Twitter ou sur simonworrallauthor.com.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise, en 2015, au moment de la sortie du livre Living With the Stars: How the Human Body Is Connected to the Life Cycles of the Earth, the Planets, and the Stars.

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