Calakmul : les ruines cachées du grand royaume du Serpent ont failli disparaître
De l'exploration de l'univers au séquençage du génome humain, la science a fait de grands bonds en avant depuis le début du 21e siècle.

La Structure II, une pyramide de Calakmul, fut agrandie à plusieurs reprises pour atteindre une hauteur de 60 mètres environ.
Le royaume du Serpent (dynastie Kaanul) était l’un des plus puissants du monde maya. Enfoncé dans les profondeurs de la jungle de la péninsule du Yucatán, près de l’actuelle frontière entre le Mexique et le Guatemala, il fut nommé Oxte’Tun, soit « l’endroit des trois pierres », par les Mayas. Dans la cosmologie maya, les trois pierres renvoient souvent aux trois foyers de la création ; un concept sacré associé à l’origine de l’Univers et à la fondation des cités.
La ville est aujourd’hui connue sous le nom de Calakmul, un terme maya signifiant « deux collines adjacentes » ou « deux tertres voisins », une référence aux deux pyramides jumelles qui se trouvent en son cœur. Structure II, la première à avoir été construite, représenterait la montagne mythique de Witz, sacrée pour les Mayas. Au fil du temps, les rois de Calakmul recouvrirent l’édifice d’autres constructions.
Calakmul atteignit l’apogée de sa splendeur au septième siècle et durant la première moitié du huitième, notamment sous le règne de Yuknoom Cheen II et de son successeur Yuknoom Yich’aak K’ahk, surnommé « Patte de Jaguar », un nom qui symbolisait la royauté et la force. La cité noua d’importantes alliances politiques avec d’autres cités-États secondaires dans le cadre de sa stratégie visant à contrebalancer le pouvoir de son rival, Tikal (dans le nord de l’actuel Guatemala), et à contrôler les routes commerciales qui allaient du nord au sud et de l’est à l’ouest traversant les territoires des actuels Mexique et Guatemala.

Le tombeau reconstitué de Patte de Jaguar exposé au musée archéologique de Campeche, fort de San Miguel.
Calakmul, le grand royaume du Serpent, remporta victoire sur victoire dans ses guerres fratricides contre Tikal. Mais l’équilibre des forces bascula en 695 quand Patte de Jaguar mena son armée contre le roi Jasaw Chan K’awiil Ier de Tikal. La victoire est consignée sur un linteau en bois à Tikal qui annonce que le roi Jasaw a « abattu le silex et le bouclier de Yuknoom Yich’aak K’ahk ».
LA JUNGLE REPREND SES DROITS
Au cours des siècles qui suivirent, le royaume du Serpent et d’autres empires mayas puissants entamèrent une phase de déclin. Des guerres éclatèrent entre eux. Certains chercheurs ont émis l’hypothèse de la survenue de sécheresses dévastatrices. La légitimité des pouvoirs politiques et religieux s’éroda et l’on finit par abandonner ces villes. Parmi les monuments connus, le dernier de Calakmul fut construit en 909 ; quelque temps après cela, la jungle reprit ses droits sur cette cité au passé glorieux. Calakmul demeura cachée pendant dix siècles.
Bien que les cités mayas aient suscité l’intérêt des explorateurs européens et américains au 18e siècle et avant, Calakmul ne parut sur le devant de la scène qu’en 1931 grâce à Cyrus Longworth Lundell, botaniste et archéologue américain. Ce dernier travaillait pour une entreprise de chiclé de la région. La récolte de gomme connaissait un essor considérable dans l’État mexicain de Campeche depuis la fin du 19e siècle. Un groupe de chicleros (des récolteurs de gomme à mâcher) emmena Cyrus Longworth Lundell voir des ruines enfouies dans la jungle. Bien qu’il n’en fût pas conscient, il posa les yeux sur les vestiges de l’un des plus puissants royaumes mayas.

Un vase funéraire.
Cyrus Longworth Lundell transmit sa documentation du site (photos et carte) à Sylvanus G. Morley, directeur d’un projet de recherche de l’Institut Carnegie de Washington à Chichén Itzá, autre site important de la péninsule du Yucatán. Peu après, Sylvanus G. Morley dirigea la première expédition à Calakmul et fut impressionné par l’échelle de la cité et par ses monuments sculptés. En 1934, une autre expédition fut organisée, cette fois-ci par Karl Ruppert et John H. Denison, qui réalisa les premiers plans détaillés du site.
En dépit de l’effet produit initialement par Calakmul sur les explorateurs et les autorités mexicaines, le site ne fut pas fouillé outre mesure et demeura connu des chicleros uniquement. Durant les années 1960 et jusque dans les années 1980, alors que la demande en artefacts mayas bondissait chez les collectionneurs et les organisateurs d’expositions, cette cité isolée au cœur de la jungle subit d’importants pillages. Bon nombre des stèles les mieux préservées, représentant des membres de la famille royale maya vêtus de leurs plus beaux atours le jour de leur intronisation, furent sciées. Ne demeurèrent sur place que les faces vierges ou les côtés moins détaillés des stèles qui, dans certains cas, furent dégradées par des touristes.
TRÉSORS CACHÉS
En 1975, le mayaniste et épigraphiste Eric von Euw commença à cataloguer les inscriptions et les images présentes sur les monuments. Mais les fouilles systématiques ne commencèrent qu’en 1982, sous la direction de l’archéologue William J. Folan.
En 1993, l’archéologue Ramón Carrasco Vargas prit le leadership du Projet archéologique de Calakmul. Sous sa direction, archéologues, restaurateurs et autres spécialistes ont révélé ce à quoi ressemblait la ville à son apogée. Ils ont mis au jour un riche ensemble architectural et artistique, notamment une pyramide peinte, des édifices monumentaux imbriqués les uns dans les autres, des palais, des stèles et des tombeaux de rois et de reines recélant des biens impressionnants.


Deux individus apparaissent accompagnés d’un texte : aj mahy (individu au tabac).
Une personne assise devant une grande marmite porte un grand chapeau à bord large et verse du liquide. La personne en face boit dans un récipient peint en bleu.
Les fouilles réalisées ces dernières décennies ont révélé certains trésors inattendus. Un ensemble de fresques en excellent état a été découvert dans la Structure I dans une salle scellée au sein de sa sous-structure, un ajout ultérieur.
Souvent appelées fresques de Calakmul, elles représentent des scènes vivantes du quotidien ; des femmes préparant de la nourriture, des personnes échangeant des biens. Ce sujet est rare dans l’art maya, qui figure généralement l’élite et les rites. Puisqu’elles furent recouvertes peu de temps après avoir été peintes, elles demeurent en bel état.
LE TOMBEAU DE PATTE DE JAGUAR
En 1997, l’équipe de Ramón Carrasco Vargas a découvert une structure funéraire inhabituelle à l’intérieur de la Structure II. Le sarcophage de bois coloré, couvert d’inscriptions hiéroglyphiques, avait une structure voûtée rappelant les chambres sacrées de la pyramide de Khéops qui devait faire office de portail vers l’au-delà. Les restes squelettiques d’un homme se trouvaient à l’intérieur, enveloppé dans de la peau de bête et divers tissus. Parmi les offrandes, un masque funéraire de jade et plusieurs récipients luxueux, pour certains de style codex, un type d’art céramique maya imitant l’aspect des livres en papier d’écorce couverts de hiéroglyphes et d’illustrations peintes. L’occupant du tombeau était identifié par une plaque portant son nom : Yuknoom Yich’aak K’ahk (Patte de Jaguar).
Calakmul a été inscrite au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 2014 pour son importance culturelle mais aussi environnementale. Avec l’aide de rangers et de caméras de surveillance, l’armée et la police mexicaines surveillent désormais de près le site pour le protéger des pillards et de l’exploitation illégale du bois. Calakmul est cruciale pour comprendre la culture maya. Son ambition architecturale et le raffinement de ses objets funéraires révèlent une société où le pouvoir, les rituels et le cosmos étaient inextricablement liés.

La Structure I, située sur l’Acropole nord de Clakmul, fut érigée en sept étapes. Des fresques à l’intérieur ont permis de mieux comprendre la culture maya.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.