Les sneakers : l'avènement d'un phénomène culturel mondial

Les sneakers n'ont pas toujours été l'accessoire de mode emblématique qu'elles sont aujourd'hui. Avant leur popularisation grâce au partenariat entre Nike et Michael Jordan dans les années 1980, leur fonction était bien plus pratique qu'esthétique.

De Starlight Williams
Publication 5 mai 2023, 15:14 CEST
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Des sneakers portées par la légende du basket-ball Michael Jordan sont exposées pour être vendues aux enchères chez Christie's à New York. Les passionnés sont prêts à payer cher pour des chaussures rares comme celles-ci : un phénomène qui a commencé lorsque Jordan et Nike ont lancé le modèle Air Jordan dans les années 1980.

PHOTOGRAPHIE DE John Angelillo, UPI, Alamy Stock Photo

Depuis leur invention dans les années 1860 pour les joueurs de croquet et de tennis des classes supérieures britanniques, les sneakers ont parcouru un long chemin.

Longtemps portées pour leur aspect pratique plutôt qu’esthétique, ces chaussures sont aujourd’hui de véritables éléments culturels. Elles permettent d’un côté une forme d’expression de soi par la mode vestimentaire, mais peuvent aussi se transformer en œuvres d’art exposées dans des musées et dans les salles d’enchères de créateurs, où une seule paire peut parfois être vendue pour plusieurs millions d’euros.

Comme le montre le film Air réalisé par Ben Affleck, qui sortira le 12 mai prochain au cinéma, l’émergence de la culture sneakers remonte à la collaboration, en 1984, de Nike avec la superstar du basket-ball américain Michael Jordan qui mena à la création des emblématiques Air Jordan.

 

LES AIR JORDAN ET L'AVÈNEMENT D'UNE PASSION

La plupart des amateurs de sneakers attribuent l’avènement de leur sous-culture à la montée en puissance des chaussures sponsorisées par les athlètes à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Les Chuck Taylor All Star de Converse dominaient les terrains de basket depuis des décennies, et des marques comme Puma et Adidas commençaient également à s’intéresser à cette stratégie.

« Ce qui se passait à New York était un mélange de basket-ball, de hip-hop et de breakdance », explique Elizabeth Semmelhack, directrice et conservatrice en chef du Bata Shoe Museum de Toronto, devenu en 2013 le premier musée d’Amérique du Nord à consacrer une exposition à l’histoire des sneakers.

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Les membres du célèbre groupe de hip-hop Run-DMC (de gauche à droite, Joe « Run » Simmons, Darryl « DMC » McDaniels et Jason « Jam Master Jay » Mizell) ont fait du modèle Adidas Superstar une icône culturelle avec leur single My Adidas en 1986.

PHOTOGRAPHIE DE John T. Barr, Getty Images
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Michael Jordan porte ses célèbres Air Jordan 1 durant un match avec les Washington Bullets en janvier 1985. Ces chaussures révolutionnaires arboraient des couleurs vives, défiant ainsi les règles de la ligue qui exigeaient que les chaussures des joueurs soient majoritairement blanches.

PHOTOGRAPHIE DE John Iacono, Sports Illustrated, Getty Images

C'est toutefois la sortie des Air Jordan 1 de Nike qui, en 1985, a fait de la culture sneakers un véritable phénomène mondial. En 1984, Michael Jordan était un débutant talentueux qui n’avait encore jamais participé à un match de basket-ball professionnel. Malgré cela, Nike, encore spécialisé dans les chaussures de course, vit en lui l’avenir de sa marque et lui fit signer un contrat de promotion de cinq ans, d’une valeur de 2,5 millions de dollars.

Les Air Jordan 1 se différenciaient des chaussures de basket classiques. Avec leurs teintes audacieuses de blanc, de noir et de rouge, elles défiaient les directives de la NBA indiquant que les chaussures présentes sur le terrain devaient contenir au moins 51 % de blanc. Souhaitant tenter un coup marketing, Nike s’engagea à payer l’amende de 5 000 dollars que le joueur recevait à chaque fois qu’il se rendait sur le terrain avec ce modèle coloré. Le pari fut gagnant : Jordan se révéla être l’un des meilleurs joueurs de basket-ball de tous les temps, et la popularité des Air Jordan monta en flèche.

La culture sneakers commença également à se populariser en dehors des terrains de basket. Le groupe de hip-hop Run-DMC sortit son single My Adidas en 1986 et obtint un contrat de promotion inédit avec la marque. Peu après, Kurt Cobain, du groupe Nirvana, fit de Converse un véritable symbole de rébellion et de jeunesse.

Pendant ce temps, un tout autre changement culturel était en train de s’opérer dans le monde du travail : les entreprises commençaient à instaurer des « casual Fridays », des vendredis décontractés. « C’est à ce moment-là que la garde-robe masculine a commencé à s’ouvrir un peu », selon Semmelhack. Soudain, les hommes étaient autorisés à ranger leurs costumes « et à porter, un jour par semaine, quelque chose qui exprimer leur vraie personnalité ».

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    Un skateur qui porte des chaussures Vans Sk8-Hi se repose à Venice Beach, à Los Angeles. Ces chaussures emblématiques sont les préférées des skateurs depuis leur lancement en 1978.

    PHOTOGRAPHIE DE Dina Litovsky, Nat Geo Image Collection
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    De jeunes garçons musulmans affichent leur style à la mosquée de Brixton pour la prière du vendredi. Comme l'écrit le photographe Toufic Beyhum, « lorsque l’on porte un vêtement long, la seule façon d’être élégant, c’est de porter des chaussures de sport ».

    PHOTOGRAPHIE DE Toufic Beyhum

     

    UN SYMBOLE DE STATUT SOCIAL

    Les sneakers étant de plus en plus convoitées, les fabricants ont cherché à faire durer cet engouement en collaborant avec des célébrités et des marques de luxe, mais aussi en lançant des modèles aux designs marquants en édition limitée.

    Les sneakers rares devinrent des articles très recherchés par les collectionneurs, et le marché de la revente commença à prendre de l’ampleur. « J’ai les Air Jordan 1, 2, 3 et 5, alors je ferais mieux de trouver la 4 », poursuit Semmelhack pour illustrer l'état d'esprit qui a entraîné l’explosion du nombre de collectionneurs. Les revendeurs commencèrent également à vendre ces chaussures à des prix très élevés, ce qui ne fit que renforcer leur caractère unique.

    Avec leurs collaborations emblématiques avec les marques, des artistes incontournables comme Rihanna, Travis Scott et Kanye West ont dicté la mode des sneakers pendant près d’une décennie. Puis les Kardashian ont pris le relais.

    « L’ère des Kardashian a eu un impact énorme sur cette culture », décrit Jazerai Allen-Lord, stratège, designer et rédactrice spécialisée dans les sneakers. Lorsque Kim Kardashian a épousé Kanye West, rappeur devenu créateur de mode, elle a commencé avec ses sœurs à porter ses créations, ce qui a permis « de cibler un tout nouveau groupe démographique de personnes qui ont découvert la culture sneakers. C’était un mélange de haute couture et de mode classique, que l’industrie de la chaussure n’avait jamais vraiment connu auparavant. »

    Des moines bouddhistes tibétains attendent de recueillir du lait bouillant pour le distribuer aux fidèles qui participent à une prière religieuse sur le site sacré de Bodhgaya, en Inde. Vêtus de la traditionnelle robe monastique marron, les moines portent également des sneakers usées, mais voyantes.

    PHOTOGRAPHIE DE DIBYANGSHU SARKAR, AFP, Getty Images

    Au milieu des années 2010, les sneakers étaient devenues un réel symbole destiné à afficher son statut social. En 2016, l’artiste de hip-hop Drake commanda une paire unique d’Air Jordan en or massif 24 carats. Estimées à 1,9 million d’euros, les sneakers pesaient près de 23 kilogrammes chacune.

    « Le fait de porter des sneakers cool et rares [devint ainsi] une façon de revendiquer son statut social », explique Yuniya Kawamura, professeure de sociologie au Fashion Institute of Technology de New York. « Ils veulent montrer ce qu’ils ont et faire savoir qu’ils valent un peu mieux que les autres. »

    Toutefois, tous les amateurs de sneakers ne vont pas aussi loin. « Le stéréotype veut que nous fassions tous ça pour être dans l’excès et pour revendiquer un statut [social]. Ça fait effectivement partie de la culture, mais toute la culture ne peut se résumer ainsi. »

     

    UNE COMMUNAUTÉ

    Xzaiver Griffin, 29 ans, responsable marketing numérique établi en Floride, confie posséder une centaine de paires de sneakers et de baskets. Selon lui, sa passion pour la collection lui a apporté « une véritable communauté ».

    « J’ai rencontré de vrais amis grâce aux sneakers, aussi bien en campant toute la nuit devant un magasin pour attendre la sortie d’une paire qu’en s’entraidant le jour d’une sortie pour obtenir une paire que l’on veut vraiment obtenir. C’est ce que représente pour moi la culture des sneakerheads », raconte-t-il.

    Les sneakers sont également une manière d’exprimer ses convictions, comme lorsque le joueur de basket-ball américain Dwyane Wade a porté des Li Ning « Black Lives Matter », un modèle sur mesure et en édition limitée, ou que le joueur de football américain Blair Walsh a porté des crampons recouverts des mots « Speak Out » afin de dénoncer le harcèlement scolaire.

    « C’est comme de l’art », affirme Akio Evans, un artiste de Baltimore spécialisé dans la transformation de chaussures en œuvres d’art. « Même si la chaussure est sur une étagère ou dans une boîte en magasin, la toute première chose que l’on fait, c’est d’admirer ce que l’on voit. On regarde tous les modèles et on décide lequel nous ressemble le plus. »

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    Ramone « 12omo » Dawkins est assis dans une pièce décorée avec soin. Plusieurs paires de Nike Air Max 95 identiques sont disposées sur le sol devant lui.

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    Dans le cadre de son projet « Please Don't Touch », le photographe Courtney Salmon célèbre l'héritage des personnes noires britanniques en examinant les parallèles entre la culture sneakers et les « front rooms », une pièce que l'on trouve généralement dans les maisons des migrants caribéens au Royaume-Uni, où tout est conservé dans un état impeccable.

    Photographies de Courtney Salmon

    Aujourd’hui, des décennies après leur première apparition dans l’industrie de la mode, les sneakers sont enfin reconnues comme une part intégrante de notre héritage culturel, et l’importance de la culture noire dans cet héritage est mise en lumière.

    « Le moment le plus marquant pour le secteur des sneakers de ces trois dernières années, ça a été la reconnaissance par Nike, Adidas et Reebok que la culture sneakers n’existerait pas sans la culture noire », révèle Allen-Lord. « Il leur a fallu des décennies pour l’admettre, pour reconnaître que sans ces athlètes ou artistes noirs qui ont défendu leurs produits, il n’y aurait pas de culture sneakers. »

    À commencer, bien sûr, par Michael Jordan. Aujourd’hui, plus de 100 millions de paires d’Air Jordan 1 ont été vendues dans le monde et, en avril 2023, une paire portée par Jordan lors de sa légendaire dernière saison pour la NBA a été vendue pour 2,2 millions de dollars (soit environ 2 millions d’euros), ce qui en fait la paire de sneakers la plus chère jamais vendue aux enchères.

    « Nous sommes en 2023, et Nike vend toujours la même chaussure conçue il y a près de quarante ans », poursuit Allen-Lord. « Du fait de l’omniprésence et de la visibilité des chaussures en tant que symbole de statut social, tous les enfants aspirent à créer une ligne de chaussures. »

    Pourtant, il y a encore du chemin à faire dans ce domaine. Selon NBC, seuls 5 % des détaillants de sneakers américains sont noirs. Allen-Lord explique cependant que cette culture lui a aussi permis de « créer un espace ainsi que des opportunités pour permettre aux artistes noirs, et tout particulièrement aux femmes, de mettre un pied dans cette industrie. » Plus les personnes chargées de leur création seront nombreuses et diverses, plus le récit que racontent les sneakers pourra s’enrichir.

    « La culture sneakers a un fort héritage en matière d’histoire. Tout le monde veut raconter la sienne », conclut-elle.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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