Le mystère des momies tatouées

L’être humain se tatoue depuis au moins 5 200 ans. Entre symboles culturels et représentations équines complexes, voici quelques-uns des tatouages antiques les plus intrigants.

De Erin Blakemore
Publication 7 juin 2023, 17:35 CEST
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Vestiges du corps finement tatoué d'Apo Annu, un chef de tribu de la province de Benguet, aux Philippines, décédé il y a plus de 500 ans. Les archéologues pensent que les habitants de cette région obtenaient leurs tatouages (qui représentent pour la plupart des formes géométriques ou des animaux) au cours de combats.

PHOTOGRAPHIE DE Gunther Deichmann

Si vous vous faisiez tatouer, quel type d’encre choisiriez-vous et pourquoi ? La réponse pourrait être une décision impulsive ou inversement un hommage à un être cher mûrement réfléchi. Comprenez par-là que les tatouages ont une longue et fascinante histoire.

Le mot « tatouage » vient de l’anglais « tattoo » lui-même importé du mot tahitien « tatau » (littéralement « frapper » ou « marquer ») par James Cook, qui documenta cette pratique polynésienne au 18e siècle. Cependant, les spécialistes s’accordent à dire que la pratique serait bien antérieure au mot lui-même. Une thèse d'ailleurs étayée par la peau de momies antiques.

Qui sont ces momies tatouées et que peuvent-elles nous apprendre sur les cultures antiques ? Voici un aperçu non exhaustif des tatouages les plus intrigants exhumés par les archéologues, et de ce qu’ils nous disent du passé.

Un archéologue inspecte le bras tatoué d’une momie, connue sous le nom de Dame de Cao, de l’ancienne culture Moche du Pérou. Cette jeune femme, dont on pense qu’elle faisait partie de l’élite Moche, est décédée vers l’an 450 de notre ère. Ses tatouages d’araignées et de serpents portent à croire qu’elle était spirituelle.

PHOTOGRAPHIE DE STR New, Reuters, Redux

 

LES TATOUAGES DANS L’EUROPE OCCIDENTALE ANTIQUE

Les plus anciens tatouages connus à ce jour sont ceux du corps d’Ötzi. La momie la plus célèbre d’Europe, Ötzi (également appelé « l’Homme des glaces »), fut découverte par des randonneurs allemands dans les Alpes en 1991. Ötzi vivait au Tyrol, une région montagneuse qui borde l’Italie et la Suisse actuelles, il y a environ 5 200 ans. Après sa mort, son corps et ses tatouages furent préservés par la glace et les éléments.

Soixante-et-un traits tatoués ont depuis été répertoriés sur son corps et étudiés. Les archéologues pensent qu'ils ont été réalisés en perçant la peau et en y appliquant de la poussière de charbon de bois. Certains de ces tatouages se trouvaient sur des zones qui tendent à devenir douloureuses avec l’âge, comme les genoux et les chevilles, ce qui a conduit les archéologues à émettre l’hypothèse qu’ils avaient été réalisés lors d’une sorte de traitement contre la douleur. Cependant, d’autres tatouages géométriques sur la poitrine d’Ötzi suggèrent qu’ils étaient réalisés à des fins rituelles, cérémonielles ou même religieuses, et ce dès le Néolithique.

La signification exacte de ces tatouages restera sûrement sujette à débat pendant les cinq prochains millénaires car en l’absence de nouvelles preuves, il est impossible selon les chercheurs de déterminer quelles ont pu être les motivations d'Ötzi ou d’autres sujets du Néolithique à se faire tatouer.

Les plus vieux tatouage découverts à ce jour se trouvent sur le corps d’Ötzi, l’Homme des glaces. L’un de ces tatouages, localisé près du genou, est en forme de croix.

PHOTOGRAPHIE DE Robert Clark, Nat Geo Image Collection

Ötzi porte également une série de traits tatoués qui, selon les archéologues, pourraient être en lien avec un traitement contre la douleur ou avoir un usage rituel.

PHOTOGRAPHIE DE Robert Clark, Nat Geo Image Collection

 

LES TATOUAGES EN ÉGYPTE ANTIQUE

Les deuxièmes plus anciennes preuves attestant de la pratique du tatouage proviennent de momies dont la mort se situerait entre 3351 et 3017 avant J.-C., soit en Égypte antique. Des tatouages furent identifiées sur ces momies découvertes en 1900 lorsqu’elles furent réexaminées par imagerie infrarouge en 2018. Les chercheurs constatèrent que les sortes de taches sur leur peau étaient en réalité des formes d'art corporel. Cette encre constitue la plus ancienne preuve connue de tatouages figuratifs : un taureau sauvage et un mouton furent dessinés sur le bras de l’homme, et des symboles ressemblant à la lettre « S » et ce qui semble être un bâton, sur le bras et l’épaule de la femme.

Ces représentations, qui reprennent des motifs présents dans d’autres œuvres artistiques d’Égypte antique, constituent les plus vielles preuves de la pratique du tatouage en Afrique. Même si les chercheurs ne peuvent que spéculer sur la signification de ces tatouages pour leurs porteurs, ils estiment qu’ils ont pu être des symboles de statut ou la preuve des compétences de leurs porteurs, comme la bravoure ou la connaissance de pratiques cultuelles ou rituelles. Les différences observées entre les tatouages des momies de sexe masculin et féminin laissent penser qu'il existait une sorte de système social ou de genre.

D’autres tatouages de périodes plus tardives suggèrent que les tatouages finirent par être utilisés comme symboles cultuels en Égypte antique. Les archéologues ont notamment découvert plus de trente représentations visibles et diverses, comme des fleurs de lotus ou encore l’œil d’Horus, sur la peau d’une momie de sexe féminin découverte dans la Vallée des Rois, qui aurait vécu pendant la période ramesside de 1292 à 1189 avant J.-C. Considérant ses tatouages, les chercheurs pensent qu’il s’agissait d’une prêtresse ou d’une magicienne ayant un lien particulier avec l’ancienne déesse céleste Hathor.

 

LES TATOUAGES DANS LES AMÉRIQUES

Selon les spécialistes, le tatouage aurait été pratiqué aux Amériques, du cercle arctique jusqu’au sud. On a longtemps pensé que c’était une momie de la culture Chinchorro, qui vivait dans ce qui correspond aujourd’hui à l’actuel Chili, qui arborait les plus anciens tatouages connus : un ensemble de points noirs dessinés sous son nez, similaire à une moustache. Cette théorie a depuis été réfutée car des recherches plus récentes ont révélé que l’homme Chinchorro était mort entre 2563 et 1972 avant J.-C. Il n’était donc pas plus d'une époque plus ancienne qu’Ötzi, comme on le pensait initialement. Quoi qu’il en soit, les raisons de son tatouage restent inexplicables, car il est la seule momie connue de sa culture à en arborer.

La « momie toltèque », une femme qui aurait vécu vers 250 après J.-C. dans ce qui correspond à l'actuel Mexique, arbore quant à elle des tatouages complexes sur l’avant-bras, lesquels représentent des motifs géométriques ondulants, communs dans toute la région. Bien que les chercheurs n’aient pas pu déterminer la raison exacte de ces tatouages, ils supposent qu’ils servaient à conjurer les maladies ou qu’ils faisaient partie d’une sorte de rite d’initiation.

Des bêtes tatouées sur le bras d’un enfant scythe dont le corps, datant du 5e siècle avant J.-C., a été retrouvé dans la région de l’Altaï, en Russie. Les archéologues pensent que les tatouages de cette culture reflètent l’âge et le statut social de leur porteur.

PHOTOGRAPHIE DE CM Dixon, Print collector, Getty Images

 

LES TATOUAGES DANS L’EUROPE DE L’EST ANTIQUE

Les membres de la culture des catacombes, en Europe de l’Est, entre 2600 et 2400 avant J.-C., portaient également des tatouages. Leurs restes momifiés, découverts près de la mer d’Azov, dans ce qui est aujourd’hui la Russie, portaient des tatouages à l’encre végétale représentant des serpents. Selon les chercheurs, ces tatouages faisaient partie de rites de « magie imitative » et entraient dans le cadre de rôles sociaux.

Des tatouages d’animaux ont également été découverts sur les corps de membres de la culture Pazyryk, apparue pendant la domination des Scythes sur ce qui est aujourd’hui la Russie, entre le 6e et le 2e siècle avant J.-C. Ces nomades de l’âge du fer vivaient dans les montagnes de l’Altaï et dépendaient des chevaux pour vivre, et même pour mourir : ils étaient enterrés à côté de leurs chevaux, comme dans le cas d’une femme conservée dans la glace et découverte en 1993 à côté de six chevaux bridés et sellés. Cette femme de haut rang, comme d’autres personnes enterrées à Pazyryk, était couverte de tatouages représentant des motifs complexes de chevaux.

Certains chercheurs pensent que les tatouages reflétaient l’âge et le statut social de leurs porteurs, ce qui signifie que plus ces derniers vieillissaient, plus ils étaient tatoués. Gala Argent, spécialiste de la psychologie et de l’étude des animaux, pense que les tatouages représentaient un lien personnel avec chaque cheval et qu’ils constituent une preuve importante de l’interaction entre les chevaux et les hommes de leur vivant.

 

LES TATOUAGES DANS L’ASIE ANTIQUE

Malgré la stigmatisation actuelle du tatouage en Chine, diverses cultures asiatiques adoptèrent cette pratique par le passé.

Dans le bassin du Tarim, en Chine, par exemple, la découverte de corps momifiés datés entre 2100 et 800 avant J.-C. fait foi de la prévalence des tatouages dans diverses cultures de la région. La plupart de ces tatouages se concentrent sur les mains des momies, mais l’historienne du tatouage Svetlana Pankova a fait remarquer que certaines d’entre elles en avaient sur le visage. Elle a demandé à ce que les recherches sur les tatouages du Tarim soient approfondies, affirmant que de l'on pourrait faire de nouvelles découvertes si l’on réexaminait ces corps.

Une momie scythe exposée dans la salle d’exposition du Martin-Gropius-Bau à Berlin. La momification a préservé l'impressionnant tatouage sur l’épaule droite de l’homme.

PHOTOGRAPHIE DE AXEL SCHMIDT, DDP, AFP, Getty Images

 

LES TATOUAGES EN OCÉANIE

Malgré l’origine tahitienne du mot « tatouage », les archéologues ont trouvé relativement peu de preuves de la pratique du tatouage dans la Polynésie ancienne, le climat chaud et humide des tropiques n’étant pas propice à la momification. En 2019, des chercheurs ont découvert dans les Tonga un ensemble d’outils de tatouage en os humains qui dateraient des prémices de la culture polynésienne, soit environ 2 700 ans.

Les chercheurs ne savent néanmoins pas vraiment quels types de motifs privilégiaient les Polynésiens de l’époque ni la signification de ces marques. Ils supposent qu’elles auraient pu indiquer leur appartenance à un groupe social particulier, leur participation à des rites de passage ou leur souhait de se protéger du mal.

Comme l’explique l’historien de l’art français Luc Renaut dans une étude parue dans Ancient Ink : The Archaeology of Tattooing, les représentations de personnages « potentiellement tatoués » dans les œuvres d’art antiques offrent une vision alléchante des pratiques de tatouage encore plus anciennes. Reste que « peu d’entre elles survivent à un examen approfondi » et que l’on ne peut affirmer avec certitude que les styles artistiques de l’époque représentaient de réels tatouages. 

Par ailleurs, en l'absence de momies antérieures à Ötzi, tout porte à croire que la véritable histoire du tatouage restera potentiellement à jamais inaccessible. En attendant, il nous reste encore de nombreux tatouages à découvrir et beaucoup d'encre à faire couler pour approfondir nos connaissances sur cette ancienne pratique indélébile. 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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