Porcie, la seule femme dans le secret du complot contre Jules César

Porcia Catonis, ou Porcie, célèbre stoïcienne de l’Antiquité, était une femme aux convictions politiques fermement ancrées. Elle veilla avec son époux, Brutus, à la bonne exécution du complot qui visait Jules César.

De Juan Luis Posadas
Publication 18 mars 2024, 16:43 CET

Dans le Jules César de Shakespeare, Portia, représentée ici sur une gravure de 1840, décèle la distraction de son époux et le supplie de se confier à elle : Cette anxiété ne vous laisse ni manger, ni parler, ni dormir : et si elle avait autant d’action sur vos traits qu’elle a d’empire sur votre caractère, je ne vous reconnaîtrais pas, Brutus. Mon cher seigneur, apprenez-moi la cause de votre chagrin. (Trad. François-Victor Hugo). 

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Alors que Jules César était sur le point d’adopter un mode de gouvernement autoritaire, deux hommes se posèrent en défenseurs absolus de la République romaine : Caton le Jeune, qui mena la résistance contre César au Sénat, et son neveu, Marcus Junius Brutus, qui organisa le complot pour assassiner César. Mais quelqu’un d’autre joua un rôle clé dans les événements tumultueux qui conduisirent à la fin du pontifex maximus : une femme qui finit par devenir un symbole de résistance face à la pression et de loyauté sans faille. Fille de Caton et épouse de Brutus, Porcie (73-43 av. J.-C. environ) fut « la seule femme dans le secret du complot », ainsi que le formula l’historien romain Dion Cassius.

Le courage de Porcie, son esprit logique et son sens du sacrifice furent célébrés par les historiens romains et, des siècles plus tard, en 1599, immortalisés par William Shakespeare dans une tragédie intitulée Jules César. De nombreuses circonstances façonnèrent cette femme extraordinaire, mais deux se distinguent particulièrement : le climat politique volatile de l’époque et les enseignements qu’elle reçut de son père.

 

ÉDUCATION STOÏCIENNE

On doit la grande majorité de nos connaissances sur Porcie à l’historien grec Plutarque, plus particulièrement à ses ouvrages sur Brutus et Caton, à Dion Cassius, notamment à son Histoire romaine, ainsi qu’à quelques mentions faites dans d’autres œuvres. Selon Judith P. Hallett, professeure émérite de lettres classiques de l’Université du Maryland et autrice de Fathers and Daughters in Roman Society : Women and the Elite Family, toutes les références antiques s’en « souviennent comme d’un membre de la famille de Caton le Jeune dévoué à la cause de son père ».

Comprendre : la Rome antique

Le père de Porcie, Caton le Jeune (ainsi nommé pour qu’on puisse le distinguer de son arrière-grand-père Caton l’Ancien) était un aristocrate et républicain de la vieille garde conservatrice. Inconditionnel de la philosophie stoïcienne, Caton plaçait la vertu et la responsabilité civique au-dessus de tout autre chose, un idéalisme inflexible qui influença profondément sa fille.

Au début du 2e siècle de notre ère, Plutarque écrivit que Porcie avait développé « une assuétude à la philosophie » et il loua sa « sobriété et sa grandeur d’âme » conformes au rejet du luxe et au dévouement envers la justice qui caractérisent le stoïcisme. Cette description fait dire à beaucoup que Porcie fut la première femme stoïcienne.

 

MARIAGES ET DIVORCES

Alors qu’elle était encore très jeune, Porcie fut mariée à un allié politique de son père. Elle donna deux enfants à Marcus Calpurnius Bibulus avant qu’une pratique romaine particulière ne vienne compliquer leur relation. En plus d’arranger des mariages, l’élite romaine arrangeait également des divorces et n’hésitait pas à mettre fin à une union pour en sceller une autre, plus avantageuse.

Porcie avait vingt ans environ lorsqu’une reçut une telle demande. Un autre allié de son père, Quintus Hortensius Hortalus, demanda à l’épouser. Ce veuf vieillissant et sans descendance voulait faire de Porcie son épouse afin qu’elle lui donne un héritier. Dès qu’elle aurait donné naissance, promit-il, il la rendrait à Bibulus.

Ce dernier, qui goûtait peu l’idée, refusa. Caton n’était pas non plus disposé à rompre le contrat qui le liait à Bibulus. Pour éviter de s’aliéner Hortensius, Caton accepta de divorcer de sa propre femme, Marcia, et la lui offrit à la place. Hortensius accepta et son plan fut mis en œuvre. À la mort de ce dernier, Caton épousa de nouveau Marcia.

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    Buste en bronze à l’effigie de Marcus Porcius Caton datant du 1er siècle de notre ère.

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    La famille renommée de Porcie prit une part plus qu’active dans la guerre civile romaine de 49 av. J.-C., année où César refusa de céder ses armées et ses territoires à la République. Rome allait se scinder en deux factions, l’une menée par César et l’autre par Pompée.

    Les conservateurs Caton et Bibulus se rallièrent tous deux à Pompée, du côté qui perdrait la guerre. Bibulus, chef de la flotte de Pompée sur l’Adriatique, mourut de maladie vers l’an 48 av. J.-C. Quant à Caton, il se suicida à Utique (en actuelle Tunisie) quand les troupes de César remportèrent, non loin de là, la bataille de Thapsus, en 46 avant notre ère.

    À Rome, Porcie observait impuissante César accumuler du pouvoir. Plutôt que de se résigner à la dictature, elle continua à croire en la vieille république. En 45 avant notre ère, elle épousa Marcus Junius Brutus, ancien allié de César qui devint célèbre pour s’être retourné contre lui. Durant la guerre, Brutus s’était rangé du côté de Pompée, mais après celle-ci, César l’avait pardonné et l’avait même fait gouverneur de la Gaule cisalpine (nord de l’actuelle Italie). Cependant, les sympathies de Brutus pour l’ancienne république n’avaient pas faibli. Épouser la fille de Caton (et divorcer de sa femme Claudia) fut pour lui un moyen de réaffirmer son engagement.

     

    PROJETS ET COMPLOTS

    Dans les mois qui suivirent, Brutus, accompagné d’autres sénateurs préoccupés par les ambitions de César, se lancèrent dans un complot visant à l’assassiner. Bien que la politique fût essentiellement un domaine masculin dans la culture romaine, Porcie jura d’aider son époux en raison des convictions de sa famille. Selon Plutarque, elle remarqua un changement chez ce dernier et l’interrogea. Devant son impassibilité, elle se blessa à la cuisse délibérément à l’aide d’un couteau. L’acte était une supplique pour qu’il lui accorde confiance et respect : « Brutus, je suis la fille de Caton, et j’ai été introduite dans ta maison non comme simple concubine pour partager ta couche et ta table uniquement, mais pour être partenaire dans tes heurs, et partenaire dans tes malheurs. »

    Brutus lui révéla le projet d’assassinat de Jules César. Et, écrit Plutarque, Porcie l’incita à mener ce complot à son terme. « Quand il vit la blessure, Brutus, stupéfait, et levant les mains au ciel, pria pour réussir dans son entreprise et ainsi se montrer un mari digne de Porcie. »

    Après la mort de César le 15 mars 44 de notre ère, Brutus fuit Rome pour éviter les représailles des partisans du dictateur, tandis que Porcie resta dans la capitale. Les fortunes de son époux, qui défendait la République contre Octave, héritier de César et allié de Marc Antoine, furent les siennes. Mais elle finit par recevoir une mauvaise nouvelle : Brutus avait été défait lors de la bataille de Philippes (42 av. J.-C.) et, à l’instar de son père Caton, s’était donné la mort.

    On ne sait pas exactement ce qu’il se passa ensuite. Selon les récits les plus dramatiques, Porcie se serait suicidée, soit en avalant des charbons ardents, soit en inhalant du monoxyde de carbone.

    Brutus, époux de Porcie, fut défait par Octave et Marc Antoine près de la colonie romaine de Philippi, dans le nord-est de la Grèce, en 42 avant notre ère.

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    Selon la version du poète Martial, Porcie, à la recherche d’une arme pour mettre fin à ses jours (des serviteurs les avaient cachées), se serait écriée : « "Vous ignorez encore qu’on ne peut s’opposer à la mort : je pensais que mon père, par le destin qu’il eut, vous avait enseigné ce principe." Sur ces mots, elle avala avec empressement les charbons ardents. » Plutarque raconte une histoire similaire.

     

    SYMBOLE DE FORCE

    Toutefois, un élément clé jette le doute sur le suicide de Porcie : en l’an 43 avant notre ère, Cicéron, homme d’État et orateur, déplora dans une lettre adressée à Brutus la mort de Porcie, ce qui signifie que celle-ci mourut avant son époux. Les mots de Cicéron sous-entendent une mort de causes naturelles.

    Si la légende d’un suicide violent apparut plus tard, elle ne manqua pas de s’enraciner dans l’imaginaire populaire. Plutarque fait dire ceci à Brutus au sujet de son épouse : « Bien que dépourvue de la force des hommes, elle est aussi vaillante et active pour le bien de de son pays que les meilleurs d’entre nous. »

    La lecture du portrait de Porcie par Plutarque inspira grandement William Shakespeare. En plus d’être présente sous le nom de Portia dans la pièce Jules César, son nom figure également dans Le Marchand de Venise (1596-98), pièce dans laquelle celui-ci est donné à une femme brillante résolue à s’affirmer dans un monde masculin en se faisant passer pour un avocat.

    Symbole de courage et de loyauté, l’histoire de Porcie trouva un écho dans l’Histoire. Abigail Adams, femme de John Adams, deuxième président des États-Unis et premier vice-président du pays, signait ses lettres « Portia », en reconnaissance du « sacrifice patriotique » de l’épouse stoïcienne de Brutus.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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