Au Moyen Âge, Mathilde l’Emperesse a failli devenir la première reine d’Angleterre

Dans un monde résolu à la mettre à l’écart, l’impératrice Mathilde mit à rude épreuves les dogmes du Moyen Âge au regard de qui avait le droit de régner.

De Julia Carpenter
Publication 3 déc. 2025, 09:03 CET
Mathilde l’« Emperesse », ou l’impératrice Mathilde, est représentée assise, tenant une charte. Celle-ci était la seule enfant légitime ...

Mathilde l’« Emperesse », ou l’impératrice Mathilde, est représentée assise, tenant une charte. Celle-ci était la seule enfant légitime du roi Henri Ier d’Angleterre ayant survécu après le naufrage de « La Blanche-Nef ».

PHOTOGRAPHIE DE Album, British Library, Alamy Stock Photo

Lorsque le naufrage de « La Blanche-Nef » décima la lignée anglaise et plongea le royaume dans le chaos en 1120, une adolescente devint l’unique héritière du trône britannique à demeurer encore en vie.

Même avec le soutien de son père, le roi d’Angleterre Henri Ier, qui fut d’abord réticent, Mathilde, âgée de vingt-cinq ans, ne parvint pas à réaliser cette première dans l’histoire : devenir la reine d’Angleterre, gouvernant de son propre chef.

Découvrez de quelle façon le parcours de Mathilde l’« Emperesse », et peut-être son « manque de cruauté », l’ont conduite à presque devenir la première reine d’Angleterre.

Arbre généalogique de la famille royale britannique du 12e au 16e siècle.

Arbre généalogique de la famille royale britannique du 12e au 16e siècle.

PHOTOGRAPHIE DE Chronicle, Alamy Stock Photo

 

QUI ÉTAIT MATHILDE L’« EMPERESSE » ?

En 1112, alors qu’elle n’avait que huit ans, Henri Ier d’Angleterre envoya Mathilde en Allemagne pour épouser Henri V, empereur du Saint Empire romain germanique. Elle fit ses armes à la cour allemande, apprenant à survivre loin de sa puissante famille. Ces années renforcèrent ses « nerfs d’acier », explique Catherine Hanley, historienne médiévale et autrice de Matilda: Empress, Queen, Warrior.

« Elle n’était pas juste une épouse qui allait rester dans l’ombre », poursuit-elle. « Beaucoup de fillettes de huit ans, séparées de leur mère et envoyées à l’étranger, se seraient effondrées. Mais les historiens disent qu’elle avait accepté son sort et déclaré : "C’est ma destinée. C’est ce que je vais faire." »

L’« incroyable détermination » de Mathilde impressionna son époux. Après son couronnement en tant qu’impératrice du Saint Empire romain germanique en 1114, Henri V la traita comme une compagne et une conseillère politique. Il lui faisait suffisamment confiance pour la nommer régente en 1118. Alors qu’Henri V était parti mener des guerres à l’étranger, il déclara Mathilde suffisamment compétente pour lui confier les rênes de l’Italie.

Cependant, le naufrage de « La Blanche-Nef » en 1120 et la mort de son mari en 1125 bouleversèrent le destin de Mathilde. Elle retourna en Angleterre en tant que veuve sans enfant et ancienne impératrice mais ses années passées à l’étranger et ses compétences parfaites dans une cour étrangère intriguèrent son redoutable père.

Le naufrage de « La Blanche-Nef » avait accablé de chagrin Henri Ier d’Angleterre. Comme le narre une ballade, le roi « ne sourit plus jamais » après avoir appris la tragédie. Une grande partie de son héritage était mise en péril par ce désastre. Son seul fils légitime s’étant noyé, il tenta désespérément d’engendrer un autre héritier de sexe masculin, mais en vain. Sans cela, il risquait de voir s’éteindre toute sa dynastie et, potentiellement, de devoir mener une guerre sanglante afin de conserver la Couronne.

Observer l’influence de Mathilde à la cour lui donna néanmoins un peu d’espoir. Lors d’une réunion organisée à Noël en 1127, Henri Ier rassembla la noblesse pour annoncer un changement relatif à sa succession : Mathilde et n’importe lequel de ses héritiers masculins seraient les prochains à accéder au trône.  Il négocia un nouveau mariage pour sa fille, cette fois avec l’influent Geoffroy d’Anjou. Ce dernier avait sous son contrôle la Normandie, une région sur laquelle Henri Ier souhaitait depuis longtemps régner. Ainsi, après avoir insisté pour que ses nobles prêtent serment d’allégeance à Mathilde, son père expira en 1135.

C’est alors que commença une lutte acharnée entre les nobles anglais de sexe masculin pour évincer une femme et revendiquer la couronne.

 

LE DROIT DE MATHILDE À RÉGNER SUR L’ANGLETERRE

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    Geoffroy Plantagenêt, comte d’Anjou et du Maine, était le second mari de Mathilde l’« Emperesse » après la mort d’Henri V, empereur du Saint Empire romain germanique.

    PHOTOGRAPHIE DE ARTGEN, Alamy Stock Photo

    Malgré le soutien manifeste de son redoutable père et le fait qu’elle fut de lignée royale, nombre de nobles anglais s’inquiétaient des prétentions de Mathilde au trône. Tant qu’Henri Ier était en vie, aucun n’osait exprimer ces inquiétudes à haute voix ; Catherine Hanley dépeint celui-ci comme « absolument terrifiant ».

    Une fois qu’il eût rendu son dernier soupir, cependant, ces craintes contenues depuis longtemps se firent de plus en plus vives. Certains prétendaient que Mathilde était « trop étrangère » pour être acceptée en tant que reine d’Angleterre. D’autres encore estimaient qu’elle était trop peu connue du public, ayant passé la majeure partie de sa vie à l’étranger. Quelques-uns craignaient que son second mari, Geoffroy d’Anjou, n’ait ses propres ambitions pour le trône. Ce dernier détenait un pouvoir considérable, à part entière, en tant que souverain de Normandie, et à une époque lors de laquelle les reines devaient être vues et admirées, sans pour autant être estimées, ces nobles la considéraient comme un simple pion dans les desseins de son mari pour le trône. Cette crainte trahissait bien sûr le plus grand problème pour tous : Mathilde était une femme.

    « Si Henri Ier avait laissé son trône à un fils adulte compétent, intelligent, instruit et expérimenté sur le plan international et politique, pensez-vous que quelqu’un aurait remis ça en question ? », interroge Catherine Hanley. « Leur contestation était entièrement dû au fait que Mathilde était une femme. »

    Bien que son expérience en tant qu’impératrice du Saint Empire romain germanique lui fut très utile en coulisses, le chemin de Mathilde vers le trône fut semé d’embûches : des nobles ambitieux, des intrigues de palais et, naturellement, le sexisme. En 1135, Mathilde était enceinte jusqu’aux yeux de son troisième fils et ne pouvait voyager de façon assez rapide depuis la France afin d’arriver à temps pour le couronnement. Au cours des semaines fatidiques qui suivirent le trépas de son père, le cousin de Mathilde, Étienne de Blois, usurpa le trône, alors qu’il faisait partie des hommes qui lui avaient juré allégeance du vivant d’Henri Ier.

    Cette trahison conduisit à quinze ans de guerre civile, si brutale qu’elle fut appelée « l’Anarchie ». La guerre pour le trône faillit déchirer l’Angleterre.

    Cette gravure de John Francis Rigaud illustre Mathilde l’« Emperesse », sur la gauche, refusant les propositions de Mathilde ...

    Cette gravure de John Francis Rigaud illustre Mathilde l’« Emperesse », sur la gauche, refusant les propositions de Mathilde de Boulogne pour la libération d’Étienne de Blois.

    PHOTOGRAPHIE DE Look and Learn, Bridgeman Images

     

    L’ANARCHIE

    Au début de l’Anarchie, la position de Mathilde était désavantageuse car elle ne disposait pas des honneurs et de l’expérience militaire d’Étienne de Blois. Elle s’assura néanmoins d’avoir à ses côtés un allié précieux en la personne de son demi-frère illégitime, Robert de Gloucester, qui n’affichait lui-même aucune prétention sérieuse au trône. En soutien, il lui apporta sa puissance militaire et sa place forte dans le sud-ouest de l’Angleterre, deux atouts qui aidèrent Mathilde à tenir bon tout au long de l’Anarchie.

    Avec Robert à la tête de ses campagnes militaires, elle pouvait se concentrer sur l’administration de la guerre, indique Gabrielle Storey, historienne spécialisée dans la souveraineté réginale médiévale et la sexualité.

    « Le pouvoir n’est jamais vraiment détenu par un unique individu », précise-t-elle. « Elle est arrivée en Angleterre avec toutes ces compétences de gouvernante : médiatrice, diplomate et politicienne. Elle savait se faire des relations. »

    Alors que Robert combattait sur le champ de bataille, Mathilde levait des fonds, ralliait des soutiens et négociait des accords essentiels avec d’autres nobles puissants, même si aucun d’entre eux, à l’exception de son demi-frère, ne lui resta en fin de compte fidèle.

    Mathilde se confrontait également aux dogmes de cette époque, ancrée dans un patriarcat séculaire et une misogynie profondément enracinée qui l’empêchaient d’accéder au trône. Les sources contemporaines la décrivent comme « hautaine » et, à une époque lors de laquelle l’on attendait des femmes qu’elles se montrent dociles et soumises, une telle réputation faisait d’elle une cible facile autant pour ses ennemis que pour les sexistes.

    « Je pense que cela témoigne du fait que les femmes sont tenues à des normes plus strictes que les hommes », affirme Gabrielle Storey. « Nous avons beaucoup de rois médiocres au 12e siècle, dans toute l’Europe. Elle n’a pas le droit de commettre les mêmes erreurs de jugement politique. Elle nous montre que les femmes peuvent avoir l’expérience nécessaire pour gouverner, du succès et tout ce qu’il faut pour réussir. Elle a le droit de naissance, ces relations. Mais si un homme est disponible pour le poste, il sera toujours privilégié. »

    L’année 1141 marqua toutefois un tournant décisif dans la guerre. Les forces de Mathilde vainquirent celles d’Étienne de Blois lors de la bataille de Lincoln. Le vaincu ainsi emprisonné, la future reine prépara le terrain pour son couronnement attendu depuis si longtemps. Elle prit le titre de « dame des Anglais » jusqu’à ce qu’elle puisse se rendre à Londres.

    C’est alors que Mathilde commit une erreur fatale : après s’être saisie d’Étienne de Blois au combat, elle l’échangea contre le retour, sain et sauf, de Robert de Gloucester, qui lui-même fut capturé plus tôt. Une autre personne au pouvoir l’aurait peut-être gardé en prison, voire l’aurait fait exécuter, afin de lui barrer définitivement la route vers le trône.

    Une fois sa libération négociée, Étienne de Blois reprit immédiatement les armes contre celle qui aspirait à devenir reine. Le peuple londonien réagit à son couronnement retardé par de violents troubles civils dans la ville. Mathilde et ses troupes furent contraintes de battre en retraite. Le « manque de cruauté » de la prétendante au trône, comme le décrit Gabrielle Storey, prolongea la guerre de dix ans.

    Cette illustration montre la fuite de Mathilde l’« Emperesse » du château d’Oxford.

    Cette illustration montre la fuite de Mathilde l’« Emperesse » du château d’Oxford.

    PHOTOGRAPHIE DE Art Directors & TRIP, Alamy Stock Photo

    Les dix années de combats qui suivirent furent sanglantes, brutales et interminables. Mathilde fut faite prisonnière à deux reprises mais la légende raconte qu’elle élabora des plans d’évasion ingénieux. Durant le siège d’Oxford, elle s’échappa de sa cellule se trouvant dans la tour et traversa la rivière gelée à pied. Elle s’était vêtue d’une cape blanche afin de se fondre dans la neige. Une autre fois, alors qu’elle était retenue prisonnière dans le Wiltshire, elle se serait faite passer pour un cadavre et cachée dans un bûcher funéraire jusqu’à ce que son demi-frère ne vienne la secourir.

    En 1153, cependant, les deux camps étaient harassés. Robert de Gloucester succomba en 1147 et le fils de Mathilde, Henri II Plantagenêt, prit sa place au combat. Malgré tous ses efforts, Étienne de Blois ne parvint pas à prendre le contrôle de la place forte de Mathilde dans le sud-ouest de l’Angleterre, et ailleurs dans la campagne, la rumeur courait que des nobles agités menaçaient d’entrer dans le conflit.

     

    LE FUTUR ROI

    Étienne de Blois et Mathilde l’« Emperesse » conclurent un accord de paix provisoire dans le traité de Westminster en 1153. Celui-ci pouvait rester sur le trône à condition de nommer Henri II Plantagenêt comme héritier. Il mourut un an plus tard et le fils de Mathilde prit possession du trône qui avait été jadis promis à sa mère.

    Si elle avait été couronnée reine, Mathilde aurait pu changer le cours de l’histoire anglaise et la vie d’autres femmes puissantes à travers l’Europe médiévale. L’épouse de son fils, Aliénor d’Aquitaine, joua un rôle beaucoup plus actif au Moyen Âge mais aucune reine ne régnera sur l’Angleterre de son propre chef avant le couronnement de Marie Tudor « la Sanglante » en 1553, quatre-cents ans après que Mathilde eut assuré le trône à son fils. 

    Mathilde l’« Emperesse » passa le reste de sa vie en Normandie, où elle continua à porter les titres d’« impératrice » et de « dame des Anglais ». Elle mourut de causes naturelles en 1167, à l’âge de soixante-cinq ans. Comme l’illustre l’épitaphe sur sa tombe, les hommes de son époque considéraient sa vie comme une simple note de bas de page par rapport à celle des personnages de sexe masculin qui l’entouraient : « Grande par sa naissance, plus grande par son mariage, et plus grande encore par sa descendance, ci-gît la fille, l’épouse, la mère d’Henri. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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