Le tie and dye, une technique aussi populaire que controversée

Cet artisanat ancien, qui existe depuis des millénaires, a tour à tour été interdit, utilisé lors de cérémonies religieuses et célébré comme symbole d’amour.

De Emily Fagan
Publication 19 mai 2023, 14:00 CEST
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Duan Yinkai fait sécher des créations dans un atelier du village de Zhoucheng, dans le sud-ouest de la Chine. Le batik, le style de teinture employé ici, n’est qu’une des nombreuses méthodes de teintures par ligature sur tissu qui sont apparues indépendamment les unes des autres il y a des millénaires sur l’ensemble du globe.

PHOTOGRAPHIE DE Lin Yiguang, Xinhua News Agency, eyevine, Redux

De prime abord, on ne dirait pas que les vêtements tie and dye (littéralement « nouer-teindre »), réalisés grâce à la technique de la teinture au nœud, existent depuis des millénaires. Célèbres en Amérique pour avoir été un symbole du mouvement hippie dans les années 1960, ils sont désormais l’occasion de se prêter à un projet de bricolage facilement réalisable à l’aide de produits en vente dans n'importe quelle droguerie.

Mais à travers l’Histoire, l’artisanat envié, sur-mesure, et dans certains cas interdit, du tie and dye a pu servir à communiquer le statut, le rôle et les croyances d’un individu.

Différentes méthodes et différents styles de teinture par nouage ont vu le jour de manière indépendante dès la Préhistoire, du Pérou au Nigéria en passant par le Japon et l’Asie du Sud-Est. Cette technique est une forme de teinture à la réserve qui consiste à attacher le tissu à l’aide de fils ou bien à le nouer sur lui-même afin de créer des nœuds afin d’en préserver certaines parties. Chaque civilisation, avec des méthodes propres, a apporté au monde des variantes uniques, qu’il s’agisse de teindre le tissu en l’attachant à un bâton, de dessiner des motifs dans de la cire ou de faire des nœuds avec du riz, des roches ou bien des graines.

Il est impossible de dire quelle civilisation ou culture a, la première, mis au point la technique du tie and dye, ni à quel moment. Souvent fragiles et faits à partir de fibres naturelles, les étoffes utilisées sont particulièrement sujettes à la détérioration. D’où le fait que certains experts pensent que les plus anciennes occurrences de cette technique, toutes cultures confondues, nous sont dissimulées par le temps.

Des étoffes colorées destinées à être transformées en saris et en écharpes sèchent au soleil après avoir traversé un processus de teinture au nœud traditionnelle dans le Rajasthan, en Inde.

PHOTOGRAPHIE DE Frank Bienewald, LightRocket, Getty Images

Selon Lee Talbot, conservateur du Musée de l’Université George-Washington et du Musée du textile, cela est prouvé par la « perfection » des plus anciens échantillons rescapés. « Nous ne constatons pas de longue période d’expérimentation… ils le faisaient depuis bien longtemps déjà. »

Des spécialistes des textiles traditionnels nous font part des différentes significations culturelles qui se cachent derrière différentes méthodes du monde entier et nous racontent comment elles se perpétuent de nos jours.

 

BANDHANI : INDE

Le bandhani est la plus ancienne forme de teinture au nœud connue et a été inventée au 5e millénaire avant notre ère par la civilisation de la vallée de l’Indus, dans le nord de l’actuelle Inde. La pratique existe encore de nos jours sur l’ensemble du sous-continent.

Les motifs du bandhani sont créés en pinçant le tissu de sorte à obtenir de minuscules pics et en l’attachant avec du fil avant d’appliquer de la teinture. Ces petits nœuds, qui permettent au tissu qui se trouve en dessous de ne pas être atteint par la teinture, servent à former des motifs en forme de tourbillon sur des saris, des écharpes et des turbans.

D’après Natalie Nudell, maître de conférence au Fashion Insitute of Technology, les motifs qu’on applique aux bandanas modernes portés en Occident proviennent de la technique du bandhani.

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    Patchwork péruvien sur une tunique du 8e ou du 9e siècle arborant des motifs colorés.

    PHOTOGRAPHIE DE Sepia Times, Universal Images Group, Getty Images

    Certaines des plus anciennes descriptions et représentations du bandhani sont préservées dans des écrits et des peintures dans les grottes d’Ajanta, dans le centre de l’Inde. Dans le nord de l’Inde, chansons et poèmes associent ces textiles à des symboles d’amour et d’affection.

    Selon Lee Talbot, cette association entre bandhani et amour est aujourrd’hui encore très présente en Inde ; il n’est pas rare, lors d’un mariage, que l’on arbore ou que l’on offre un bandhani.

     

    AMARRA : PÉROU

    L’amarra a vu le jour il y a 1 500 ans environ au Pérou. La pratique du tie-dye s’est propagée dans les Amériques jusqu’au sud-ouest des États-Unis, où l’on a découvert parmi les plus anciens textiles teints à l’aide de la technique de l’amarra. Ceux-ci étaient l’œuvre de Pueblos du 10e siècle.

    Selon Laurie Webster, chercheuse invitée à l’Université de l’Arizona, une des caractéristiques distinctives de l’amarra est ce motif quadrillé formant des losanges avec des points en leur centre et symbolisant une peau de serpent ou des champs de maïs.

    D’après elle, il s’agissait de motifs sacrés pour les groupes autochtones d’Amérique qui se servaient du tie-dye pour imprimer ce motif à leurs vêtements, à leurs couvertures et à d’autres tissus décoratifs.

    Elle ajoute que dans les fresques et les archives picturales qui subsistent, déités et personnages religieux sont souvent parés de vêtements teints grâce à la technique de l’amarra.

    À Honshu, la principale île du Japon, la famille Utsuki pratique la teinture traditionnelle à l’indigo depuis dix-sept générations.

    PHOTOGRAPHIE DE Jean-baptiste Rabouan, Laif, Redux

     

    SHIBORI : ASIE DE L’EST

    Bien que les techniques du shibori trouvent leur origine en Chine, elles sont mieux connues comme une forme d’art japonaise ayant émergé il y a plus de 1 000 ans. Les plus anciens échantillons de shiboris chinois à nous être parvenus remontent au 4e siècle. Cette pratique a de nos jours encore cours dans le pays, elle est notamment perpétuée par des minorités ethniques du sud-ouest de la Chine.

    Une des méthodes du shibori consiste pour l’artisan à placer un grain de riz ou un petit morceau de métal dans chaque nœud du tissu et à les attacher fermement à l’aide d’un fil. Une fois le textile teint, les fils sont desserrés et l’on voit apparaître de petits cercles. Il faut plusieurs heures pour nouer, teindre, puis dénouer le tissu afin de créer ces motifs complexes.

    « C’est une technique extrêmement chronophage et laborieuse qui est hautement révérée [au Japon] », indique Natalie Nudell.

    Selon Lee Talbot, les paysans se servaient autrefois d’indigo pour créer des motifs sur des habits en chanvre grâce à la technique du shibori. Les kimonos en soie ainsi teints étaient onéreux et surtout portés par la haute société.

    Le shibori était en vogue auprès des nobles, des citadins riches, et même des courtisans très en vue. Lorsque c’est devenu un symbole d’extravagance, le shogunat l’a purement et simplement interdit dans le cadre des lois somptuaires japonaises.

    Les méthodes traditionnelles de tie-dye existent encore dans cet atelier de Kano, au Nigéria.

    PHOTOGRAPHIE DE Goran Tomasevic, Reuters, Redux

    Ces lois ont arrêté la façon dont chaque classe sociale pouvait se vêtir et dépenser son argent. Pour le shogunat Tokugawa, alors au pouvoir, il s’agissait là de responsabilités morales visant à maintenir la hiérarchie. L’édit en question, qui fut adopté à la fin du 17e siècle, stipulait que personne ne pouvait faire de shibori.

    Même interdits, ces motifs sont restés populaires, ce qui a incité certains artistes à imiter le shibori à l’aide de pochoirs. L’interdiction a finalement été levée en 1868. Cette forme de teinture au nœud demeure une tradition populaire dans la fabrication de kimonos au Japon.

     

    ADIRE : NIGÉRIA

    Au Nigéria, les Yorubas se livraient à la technique de l’adire en plissant du tissu avant de le nouer à l’aide de fils ou de fibres de feuilles de bananes et de le teindre. De même qu’avec le shibori, on teignait souvent les textiles en bleu avec de l’indigo.

    Les Yorubas créaient également des motifs circulaires en enveloppant des pierres et de larges graines à l’intérieur du tissu, pratique elle aussi semblable au shibori.

    Selon Natalie Nudell, pour les Yorubas, les motifs obtenus par la technique de l’adire étaient étroitement liés à l’identité d’une personne. Le tissu ainsi obtenu arborait souvent les symboles de statut social et culturel de celui qui le portait (son âge, le rang occupé dans la société, etc.)

    « Chaque culture interprète [la teinture par nouage] de manière légèrement différente, et elle adapte cette interprétation à sa propre esthétique », explique Lee Talbot.

    L’adire joue aujourd’hui encore un rôle social et économique important pour les Nigérians, car la création de vêtements, de linge de lit et de décorations est pourvoyeuse d’emploi pour les agriculteurs, les tisseurs et les teinturiers du pays.

    Selon Lee Talbot, à travers les siècles, et en tout point du globe, un je-ne-sais-quoi d’inhérent à la teinture au nœud attire l’attention culturelle.

    « Si beaucoup de techniques manuelles sont tombées en désuétude ou se sont démodées, la teinture au nœud est une chose qui semble ne jamais perdre de sa popularité », conclut-il.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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