Les Sardes, champions de la longévité

C'est un fait peu connu : la Sardaigne est la région du monde où vit la plus grande concentration d'hommes centenaires.

De Dan Buettner
Photographies de Andrea Frazzetta
Publication 15 août 2022, 11:00 CEST
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Des femmes se rassemblent devant une église pendant un festival. En Sardaigne, les aînés sont célébrés et la famille est vénérée. Les grands-parents peuvent apporter de l'amour, des soins aux enfants, une aide financière, de la sagesse, et permettent de perpétuer les traditions tout en poussant les enfants à réussir leur vie. À leur tour, les aînés éprouvent un sentiment d'appartenance à leur famille et à leur communauté. Ils vivent chez eux, où ils sont susceptibles de recevoir de meilleurs soins et de rester plus engagés que dans une maison de retraite ou un établissement similaire.

PHOTOGRAPHIE DE Raffaele Celentano, Laif, Redux

Âgée de 99 ans, Assunta Podda touille vigoureusement dans un pot de terre et m’adresse un sourire éblouissant. « C’est du minestrone », explique-t-elle avec un geste de la main.

Je regarde le mélange : haricots, carottes, oignons, ail, tomates, fenouil, chou-rave, herbes aromatiques. Derrière la nonagénaire, une table digne d’un festin médiéval : pains au levain, légumes verts, carafe de vin rouge grenat.

« Asseyez-vous ! », m’ordonne-t-elle. Je me joins à sa famille et à Gianni Pes, un épidémiologiste qui étudie la région. C’est d’une main ferme, qui pourrait être celle d’une femme plus jeune, qu’Assunta Podda verse du vin dans des verres épais et des louches de soupe fumante dans les plats. « Mangez, maintenant. »

Nous sommes en Sardaigne, sur le versant oriental du massif du Gennargentu, à Arzana –un village situé dans, la zone qui compte la plus forte concentration d’hommes centenaires du monde. Dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, 38 personnes dans ce village – soit 1 sur 100 – ont atteint la centaine d’années.

Pes a découvert ce phénomène à la fin des années 1990. Depuis, le chercheur a soumis plus de 300 centenaires à des questionnaires extrêmement détaillés. Il estime que les rues en pente, une riche vie familiale, le respect des anciens, une culture matriarcale qui voit les femmes endosser l’essentieldes soucis familiaux, ainsi qu’un régime alimentaire traditionnel et frugal expliquent en grande partie cette longévité. Il a aussi découvert que les épouses des centenaires vivaient plus longtemps que les enfants de ces mêmes centenaires. De là à penser que l’alimentation et le mode de vie pouvaient voir plus d’impact que les gènes, il n’y avait qu’un pas.

« Delizioso ! » s’exclame Gianni Pes, et d’adresser un regard admiratif à Podda, qui ferme les yeux et hausse les épaules. Le minestrone procure l’essentiel des acides aminés, un cocktail de vitamines et toute une variété de fibres. Les centenaires ont des souches spécifiques de bactéries dans leur système digestif qui transforment les fibres en acides gras de maladie cardiaque et pouvant prévenir le cancer.

Franca Piras (à droite), avec l'aide de sa fille Michela Demuro, de sa petite-fille Nina et de ses voisines Angela Loi et Marisa Stochino, prépare les culurgiones, un plat traditionnel de ravioles de l'Ogliastra.
PHOTOGRAPHIE DE Andrea Frazzetta

Les crucifères –comme le chou et surtout le chou-rave, qui se retrouvent dans presque tous les bols du minestrone sarde– peuvent aussi jouer un rôle. Ayant relevé le pourcentage élevé de centenaires atteints de goitres (affection symptomatique d’une hypothyroïdie), Gianni Pes se demande si le thiocyanate provenant d’un régime alimentaire régulier de choux-raves est susceptible d’émousser la fonction thyroïdienne. Cela pourrait aider les Sardes à vivre plus longtemps en réduisant leur métabolisme de base, avance-t-il, de même qu’un briquet à la flamme modérée dure plus longtemps.

À Seùlo, autre village connu pour ses centenaires, j’ai visité avec Gianni Pes une boulangerie communautaire vieille d’un siècle. Une douzaine de femmes y préparaient le type de pain qui accompagne la plupart des repas. Regina Boi, la boulangère en chef, une petite octogénaire vigoureuse, veillait au bon déroulement du processus, prodiguant des conseils, signalant quand la pâte était prête et le four assez chaud.

Regina Boi avait fourni la pâte de départ, une substance gluante évoquant du lait caillé que sa famille produit depuis des générations. Le ferment contient de la levure et des bactéries Lactobacillus locales. La levure et les lactobacilles produisent du dioxyde de carbone, qui fait lever le pain. En outre, les lactobacilles décomposent les glucides en acide lactique. L’acide donne au pain son goût aigre. Mais, plus important encore, m’a révélé Pes, les glucides de ce pain se diffusent 25 % moins vite dans le sang que ceux du pain blanc ordinaire.

Le dîner avec la famille de Podda se termine par un échange animé de potins du village. Gianni Pes, d’humeur festive, lève son verre et porte le toast emblématique de l’île, en dialecte:
« A kent’annos [Jusqu’à 100 ans ] ! — Et puissiez-vous être ici pour compter les années ! », tonitrue en réponse le chœur familial. Un petit moment plus tard, Assunta Podda le répétera doucement. Depuis ce dîner pris en commun, elle est devenue centenaire.

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    Extrait de l'article publié dans le numéro 244 de janvier 2020 du National Geographic magazine. S'abonner au magazine

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