Paléontologie : un mollusque marin retrouvé fossilisé dans l'ambre

La découverte d'une coquille d'ammonite et d'autres vestiges de la vie côtière piégés dans l'ambre constitue une véritable première en la matière.

De Michael Greshko
Il y a bien longtemps au Crétacé, cette coquille appartenait à un type de mollusque marin ...
Il y a bien longtemps au Crétacé, cette coquille appartenait à un type de mollusque marin appelé ammonite. Sans que l'on sache réellement comment, la créature des mers s'est retrouvée prise au piège d'une goutte de résine d'arbre qui s'est ensuite fossilisée pour donner naissance à un bloc d'ambre d'une exceptionnelle rareté.
PHOTOGRAPHIE DE Bo Wang

Il y a 99 millions d'années dans la région de l'actuel Myanmar, une coulée de résine d'arbre atteignait la plage. Aujourd'hui, le morceau d'ambre fossilisé auquel elle a donné naissance offre aux scientifiques un aperçu captivant de la vie côtière au Crétacé.

Dans une étude publiée lundi dans le journal PNAS, le paléontologue chinois Tingting Yu et son équipe lèvent le voile sur ce qui pourrait bien être le premier fossile connu d'une ammonite piégée dans l'ambre. Ces mollusques marins aujourd'hui disparus étaient les ancêtres des pieuvres et des calamars et la terre ferme était loin d'être leur terrain de jeu. La découverte d'une coquille d'ammonite dans un fossile terrestre est donc aussi surprenante que celle de restes de dinosaures sur un ancien plancher océanique.

« L'ambre (de la résine d'arbre fossilisée) ne piège habituellement que des insectes, des plantes ou des animaux terrestres, » indique le coauteur de l'étude Bo Wang, paléontologue à l'Institut de géologie et de paléontologie de Nanjing. « Il est très rare de trouver des animaux marins dans l'ambre. »

Selon les chercheurs, cette résine proviendrait d'un arbre du littoral et aurait piégé une coquille d'ammonite abandonnée et d'autres débris alors qu'ils roulaient sur le sable. Le fossile contient également d'autres espèces marines comme des bigorneaux et des cousins de l'actuel cloporte, ainsi que d'autres résidents des litières de feuilles des forêts côtières tels que des mites, des coléoptères, une araignée, une guêpe parasite, un mille-pattes et un cafard.

« Cet assemblage extraordinaire, un authentique et splendide instantané de la vie sur une plage du Crétacé, est tout simplement époustouflant, » s'extasie Jann Vendetti, paléontologue au musée d'histoire naturelle du comté de Los Angeles non impliquée dans l'étude. Bien que l'ammonite soit probablement la découverte la plus sensationnelle sur un plan visuel, le vrai trésor de cette trouvaille réside dans la diversité contenue dans un unique fossile de cette époque.

« L'idée qu'il y ait une communauté entière d'organismes en association pourrait, au long terme, se montrer plus importante, » ajoute le coauteur de l'étude David Dilcher, paléontologue et Professeur émérite à l'université de l'Indiana à Bloomington.

 

UNE DÉCOUVERTE SANS FAUTE

Cette étude est la dernière en date à faire la lumière sur les ammonites, un groupe de mollusques à coquille qui vivait à l'époque des dinosaures et dont les origines remontent à 400 millions d'années. Ce groupe a disparu il y a environ 66 millions d'années en même temps que les dinosaures non-aviens mais avant de s'éteindre, ils avaient réussi à coloniser toute la planète et à atteindre une impressionnante diversité. Tout comme leurs cousins mollusques actuels, les ammonites s'étaient probablement adaptées à la vie à différentes profondeurs et il en existait de toutes tailles. Certaines ne dépassaient pas les quelques millimètres de large alors que d'autres devenaient de véritables monstres des mers avec une largeur supérieure à 2,5 m.

Si vous aviez un masque de plongée, des palmes et une machine à remonter le temps, vous verriez probablement des ammonites de part et d'autres des eaux du Crétacé barbotant au beau milieu des coraux anciens, entouré de poissons et de reptiles marins comme les ichtyosaures ou le gigantesque mosasaure.

« Si vous aviez l'occasion de pratiquer la plongée sous-marine dans les eaux peu profondes de l'époque, vous verriez des ammonites à coup sûr, » indique Jocelyn Sessa, paléontologue à l'université Drexel en Pennsylvanie et spécialiste des mollusques. « Ils étaient aussi courants que les escargots. »

Des scanners haute résolution ont permis de révéler la structure interne de l'ammonite. Les chercheurs pensent qu'elle appartenait au genre Puzosia (Bhimaites), apparu il y a plus de 100 millions d'années et disparu il y a 93 millions d'années.
PHOTOGRAPHIE DE Bo Wang

D'après la structure interne de la coquille, l'ammonite piégée dans l'ambre était assez jeune et appartenait au sous-genre Puzosia (Bhimaites), ce qui est tout à fait logique pour une ambre datée à 99 millions d'années, précise Wang. Ce sous-genre est apparu il y a plus de 100 millions d'années et a disparu il y a 93 millions d'années. Les scientifiques utilisent d'ailleurs la présence de ses fossiles pour estimer l'âge de sédiments marins.

Toutefois, malgré des siècles de recherche, de nombreux mystères planent toujours autour des ammonites. Premièrement, il n'existe que quelques rares fossiles d'ammonites ayant conservé des traces de tissu mou, ce qui rend difficile la reconstruction de leur corps. Nous savons maintenant que leurs coquilles peuvent se fossiliser dans l'ambre, les chercheurs nourrissent donc l'espoir de tomber sur une découverte encore plus improbable : une ammonite tout juste échouée, immédiatement recouverte de résine et conservée jusqu'à nous parvenir.

« Ça alors ! Je dirais probablement que je ne sais pas comment ça pourrait arriver étant donné que l'ambre provient des arbres. Comment la résine pourrait-elle s'introduire dans un environnement marin pour piéger un céphalopode vivant, en mouvement ? Mais je ne sais pas ! » exulte Vendetti. « Cet article force les paléontologues à garder l'esprit ouvert aux possibilités de fossilisation que nous n'avions pas prévues, pas vrai ? Elles sont rares, mais le temps est long et, dans ce sens, les choses rares arrivent tout le temps. »

 

DESTINÉE AUX MUSÉES

La découverte n'est que la dernière trouvaille fascinante en provenance de la vallée d'Hukawng située au nord de Myanmar, exploitée pour son ambre depuis au moins 2 000 ans. Au cours des dix dernières années, la vallée est devenue une véritable oasis paléontologique avec la découverte de queues de dinosaures à plumes, d'oisillons et de serpents entiers pris au piège de son ambre.

Cependant, travailler avec l'ambre birman s'avère difficile, voire dangereux. Les mines se situent dans l'État Kachin de Myanmar où sévit depuis plusieurs dizaines d'années la guerre entre le gouvernement du pays et l'organisation Kachin pour l'indépendance. Ce groupe se bat pour l'indépendance des Kachins, une minorité ethnique locale, et s'appuie sur les ressources naturelles de la région pour son financement avec notamment l'exploitation des mines d'ambre de la vallée d'Hukawng.

De nombreux spécimens d'ambre présentant un intérêt scientifique voient le jour uniquement grâce au marché privé, après la taille et le polissage des fossiles. Deux solutions s'offrent aux chercheurs, parcourir les marchés de l'ambre birman par eux-mêmes ou s'adresser à des collectionneurs d'ambre privés, comme c'était le cas pour cette ammonite récemment découverte.

Lorsque le fossile a été trouvé, les vendeurs locaux pensaient que l'ammonite n'était qu'un gros escargot, raconte Wang. Son ami Huabao Dong, un vendeur d'ambre, a essayé de revendre le fossile à de nombreux collectionneurs sans grand succès en raison de sa taille imposante et de son apparente banalité. Par la suite, Fangyuan Xia, un collectionneur basé à Shanghai, est tombé sur une photo du fossile et a réalisé qu'il pouvait s'agir d'une ammonite. Sans plus attendre, Xia s'est procuré le fossile pour le Lingpoge Amber Museum, un musée privé de Shanghai qu'il dirige.

« Il ne se souciait pas du prix, ça n'avait pas d'importance, » rapporte Wang. « Si c'était une ammonite, alors il serait satisfait. »

Xia est activement impliqué dans la collection et l'étude de l'ambre : il collabore avec Wang depuis des années et il a coécrit plusieurs articles scientifiques sur les fossiles d'ambre, notamment cette nouvelle étude parue dans la revue PNAS. En 2018, une équipe de chercheurs dont faisait partie Wang a d'ailleurs décidé de donner son nom à un genre d'insectes fossilisés. Xia met les fossiles de son musée à disposition des paléontologues mais, pour le moment, le Lingpoge Amber Museum n'a pas une grande présence publique. S'ils souhaitent examiner les fossiles, les chercheurs extérieurs doivent demander directement à Wang ou Xia.

Lida Xing est paléontologue à l'université des géosciences de Chine et spécialiste de l'ambre birman. Selon lui, l'émergence en Chine de musées privés dédiés à l'ambre est un phénomène fascinant, quoique complexe. Après tout, les échantillons d'ambre les plus rares et les plus intéressants atteindront un tarif si élevé qu'il sera hors-budget pour certaines institutions de recherche, explique-t-il.

« Parallèlement, certains collectionneurs espèrent qu'ils pourront sauvegarder ces spécimens, » indique-t-il par e-mail. « Le développement des musées privés en Chine est rapide, mais il mériterait encore d'être perfectionné. »

Wang nous informe de l'arrivée d'autres découvertes, y compris des ammonites piégées dans l'ambre. La semaine dernière, une de ses connaissances lui a montré les photos d'une seconde ammonite piégée dans l'ambre birman. Il ajoute que les collections de Xia et d'autres musées privés renferment des artefacts d'une valeur inestimable pour la science, ils sont actuellement à l'étude et feront l'objet de publications.

« C'est très important, » dit-il. « La plupart de ces spécimens ont été ou seront présentés, sans aucun problème. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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