La science peut-elle personnaliser le contenu de votre assiette selon vos besoins personnels ?

Selon chaque organisme, un même aliment n'est pas traité de la même manière. Une nouvelle étude ambitieuse vise donc à prédire quel régime est le plus adapté pour chaque individu en fonction de ses gènes, de son microbiome et de son mode de vie.

De Meryl Davids Landau
Publication 3 févr. 2023, 19:29 CET
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Cette salade niçoise traditionnelle à base de thon en conserve, d'olives et d'œufs semble être un repas parfaitement équilibré. Mais ce plat typique n'est peut-être pas le bon choix pour tout le monde.

PHOTOGRAPHIE DE Natasha Breen, REDA&CO, Universal Images Group, Getty Images

Si vous avez un ami qui peut manger des produits sucrés tous les jours sans prendre un gramme, ou un parent qui a développé une maladie cardiaque même s’il évitait tous les produits contenant des graisses saturées, alors vous savez que toutes les recommandations diététiques ne sont pas adaptées à tout le monde. Une nouvelle étude ambitieuse et complète sur les régimes alimentaires vise à changer cela en apportant des renseignements aux experts, qui leur permettront de donner des conseils adaptés aux patients en fonction des réactions de leur organisme aux différents aliments.

Dès le printemps, aux États-Unis, treize sites commenceront à recruter 10 000 personnes d’âges et de poids très variés afin de déterminer quels sont les facteurs importants impliqués dans ce que l’on appelle la nutrition de précision. Des efforts spécifiques seront réalisés pour inclure les personnes souvent négligées dans la science de la nutrition : les personnes âgées de plus de 65 ans, les personnes racisées, les personnes vivant en zone rurale, les personnes handicapées et les minorités sexuelles.

Au cours de la première phase de la recherche, qui durera deux semaines, chaque participant aura pour consigne de manger comme il le fait habituellement. Pour la deuxième phase, 1 500 personnes se verront attribuer un régime alimentaire spécifique et les repas seront envoyés directement à leur domicile. Enfin, dans la dernière phase, 500 personnes choisies parmi le groupe le plus important résideront dans un centre de recherche pendant deux semaines. Pour une étude nutritionnelle contrôlée, qui ne fait généralement participer que quelques dizaines de personnes, il s’agit là d’un nombre important, selon Holly Nicastro, qui coordonnera ce programme de recherche des National Institutes of Health (NIH), intitulé Nutrition for Precision Health (littéralement : La nutrition pour la santé de précision). Les participants seront sélectionnés dans le cadre du programme All of Us des NIH de recherche sur la santé, auquel tout le monde peut adhérer.

Grâce à cet effort vaste et diversifié, « nous serons un peu plus capables de fournir des recommandations nutritionnelles plus précises en fonction des groupes d’individus », prévoit Sai Krupa Das, spécialiste du métabolisme à l’Université Tufts, l’un des six centres de recherche qui coordonnent les sites d’inscription.

 

LE FONCTIONNEMENT DE L’ÉTUDE

Au cours de l’étude, les chercheurs effectueront régulièrement des analyses d’urine et de sang et recenseront le microbiome intestinal (les billions d’organismes qui résident en permanence dans le tube digestif) des participants. Ces derniers porteront des glucomètres pour enregistrer les hausses et les baisses du taux de sucre dans leur sang, une mesure qui indiquera si le corps parvient à traiter les glucides correctement, et s’il est en bonne santé. Les scientifiques suivront également des comportements du quotidien tels que le sommeil, le stress et les heures de repas.

Gauche: Supérieur:

Les yaourts « vivants » et les suppléments de probiotiques contiennent des bactéries bénéfiques destinées à peupler l'intestin.

PHOTOGRAPHIE DE SCIENCE PHOTO LIBRARY
Droite: Fond:

Micrographie électronique à balayage (MEB) colorée de deux types de bactéries que l'on trouve couramment dans les yaourts : Lactobacillus bulgaricus (bâtonnets marron), et Streptococcus thermophilus (chaînes de sphères).

Micrographie de POWER AND SYRED, Image de SCIENCE PHOTO LIBRARY

Selon Diana Thomas, professeure de mathématiques à l’Académie militaire américaine de West Point, qui participe à la recherche, la nouvelle étude transformera notre compréhension des régimes alimentaires humains, car elle diffère énormément de la grande majorité des études nutritionnelles.

En général, les scientifiques spécialisés dans la nutrition examinent un aliment spécifique au sein d’une population homogène ; ils peuvent par exemple se demander si les myrtilles réduisent le risque de maladie cardiovasculaire chez les Américains. Dans cette étude, nous ne partons pas d’une hypothèse, nous nous demandons plutôt « quels sont les facteurs impliqués ».

L’objectif est de démêler les nombreuses variables qui influent sur les réactions nutritionnelles de notre organisme et de mettre au point des algorithmes qui sauraient prédire ces réactions. Cela permettrait aux nutritionnistes de proposer des conseils alimentaires spécifiques et adaptés à des groupes de personnes présentant des caractéristiques similaires.

Selon Das, pour améliorer la santé publique, il est essentiel de proposer des recommandations plus ciblées. Avec l’approche actuelle, de nombreuses personnes se retrouvent à ignorer les conseils diététiques des experts, soit parce que ces conseils semblent changer en permanence, soit parce qu’elles ont essayé un mode d’alimentation recommandé et ont constaté qu’il n’était pas adapté à leur situation personnelle. « Grâce à la nutrition de précision, nous pourrons éviter ce type de conseils généraux […], au lieu de cela, nous pourrons recommander des régimes spécifiques en fonction de l’ethnie, des caractéristiques, des réactions physiques aux aliments, etc. »

Das prévient cependant que les nouveaux conseils issus de la recherche ne pourront pas être assez précis pour faire du cas par cas, raison pour laquelle les experts préfèrent le terme de « nutrition de précision » à un autre terme largement utilisé : la « nutrition personnalisée. »

L’étude portera sur l’alimentation, et aura pour objectif d'atteindre la meilleure santé possible, plutôt que de perdre du poids. Mais les deux vont de pair, précise Das. « Les régimes que nous proposons ne restreignent pas le nombre de calories ingérées, mais je pense que le fait d’essayer d’optimiser le métabolisme pourra également aider avec la gestion du poids. »

 

GÉNÉTIQUE ET MICROBIOME

Les décennies de recherche sur le sujet ont déjà fourni quelques indications quant aux éléments qui pourraient avoir un impact sur notre santé globale.

L’un de ces éléments est relatif à la génétique. Cette discipline est parfois appelée la nutrigénomique, un terme qui, selon José Ordovás, directeur du département de nutrition et de génomique de l’Université Tufts, est discuté depuis qu’il est devenu clair que les gènes jouaient un rôle moins important dans les réactions de l’organisme face aux aliments que ne le pensaient initialement les spécialistes.

Dans un petit nombre de cas, les scientifiques ont pu lier un gène spécifique à un effet direct sur la santé. Par exemple, le gène CYP1A2 détermine presque à lui seul la vitesse à laquelle les enzymes métabolisent la caféine dans le foie. Ce sont ces variations génétiques qui déterminent si le fait de prendre une tasse de café le soir nous empêchera de dormir, ou nous permettra d’avoir une nuit de sommeil réparatrice. Elles influencent également notre capacité à nous entraîner à une intensité plus élevée (en faisant du vélo plus rapidement, par exemple).

« La génétique a un rôle à jouer, mais elle ne nous donnera pas les équations prédictives qui nous permettront de personnaliser nos recommandations, car de nombreux autres facteurs entrent en jeu », explique Ordovás. Et un grand nombre de ces facteurs, comme le comportement, sont plus faciles à modifier que nos gènes. Si nous parvenons à les comprendre, nous devrions ainsi être capables d’adopter une approche plus efficace pour améliorer notre santé.

Des centaines d’études ont montré que le microbiome (c’est-à-dire les bactéries, les champignons, les parasites et les virus qui résident dans notre intestin) est un facteur essentiel qui détermine la façon dont notre corps parvient à traiter les aliments. La consommation d’édulcorants artificiels, par exemple, modifie la composition et la fonction du microbiome d’une manière qui augmente l’intolérance au glucose chez les personnes en bonne santé. Dans le cadre d’une étude sur des souris obèses, certains microbes intestinaux persistaient même après un régime, ce qui augmentait leurs chances de reprendre du poids ; et il est probable que ce phénomène nous concerne également.

Nous avons encore beaucoup à apprendre sur le microbiome, comme sa composition optimale, la collaboration des microbes, et l’impact de notre mode de vie sur celui-ci, explique Eran Elinav, responsable de l’immunologie des systèmes à l’Institut Weizmann des sciences en Israël, et chercheur spécialisé dans le microbiome.

 

L’IMPORTANCE DU MODE DE VIE

Lorsque l’on cherche à déterminer un régime alimentaire idéal pour chaque individu, l’un des aspects les plus délicats est l’interaction complexe entre notre génome, notre microbiome, et les facteurs liés au mode de vie : ce que les scientifiques appellent « l’exposome ».

L’heure du dîner est l’un de ces facteurs, selon Elinav, dont le laboratoire a déterminé que le microbiome intestinal adhérait à un rythme circadien. En effet, la quantité et la fonction de la composition du microbiote changent de manière prévisible sur des périodes de 24 heures, et pour ce faire, le microbiome réagit aux signaux émis par les comportements de sommeil et d’alimentation.

« Lorsque nous perturbons nos rythmes éveil-sommeil, que ce soit au travers du travail posté ou du décalage horaire, l’une des premières choses à se produire, c’est la perturbation de l’activité diurne des microbes. » Selon des études menées sur des souris, les taux accrus d’obésité, de diabète de type 2 et de cancers chez les individus dont les horaires de sommeil et d’alimentation sont perturbés de manière chronique découleraient de cette altération du microbiome.

En outre, selon Das, un mauvais sommeil associé à un stress intense perturberait le métabolisme et aurait d’autres effets négatifs sur la santé, même chez les personnes qui ont un régime alimentaire sain.

La recherche sur la nutrition de précision menée par les NIH constituera l’action la plus complète visant à utiliser les gènes, le microbiote et l’exposome pour comprendre et prévoir les réponses nutritionnelles aux aliments – mais elle ne sera pas la première, plusieurs études antérieures ayant déjà ouvert la voie.

L’une d’elles, menée par le laboratoire d’Elinav et publiée dans la revue Cell en 2015, consistait à faire manger des repas identiques à 800 personnes et à surveiller continuellement leur glycémie pendant une semaine. Cette étude a révélé que les réponses glycémiques des participants variaient considérablement après chaque repas. Selon les chercheurs, la composition de leur microbiome était essentielle pour déterminer cette réponse, mais d’autres facteurs jouent forcément un rôle.

Quelques années plus tard, une vaste étude menée au Royaume-Uni a cherché à approfondir les connaissances sur les variables en jeu. Appelée Personalized Responses to Dietary Composition Trial (PREDICT), cette étude a porté sur 1 000 adultes (dont certains jumeaux génétiquement identiques) : le microbiote intestinal, les graisses dans le sang, la glycémie après les repas et l’inflammation ont notamment été surveillés pendant deux semaines. Encore une fois, d’après Ordovás, qui a co-écrit l’étude, le suivi continu de la glycémie constituait un élément fondamental du processus : il a permis aux chercheurs de mesurer les effets d’aliments spécifiques.

Là encore, de grandes variations sont apparues, indiquant que les organismes des participants ne traitaient pas tous les mêmes nutriments de la même façon. Les facteurs génétiques, quant à eux, ont eu un impact modeste ; mais les résultats ont démontré toute la complexité du système digestif. Certains microbes intestinaux, dont Prevotella copri et Blastocystis, ont joué un rôle plus important que les gènes dans la transformation de certains aliments, mais n’ont représenté qu’une petite partie des différences globales.

L’objectif de la prochaine recherche des NIH sera de mieux comprendre les facteurs qui expliquent ces différences, et de permettre aux individus d’adapter leur mode de vie et leur régime alimentaire, voire leur microbiote intestinal, afin d’améliorer la réaction de leur organisme à divers nutriments.

Pour l’instant, Das affirme que les meilleurs conseils nutritionnels que les spécialistes peuvent donner à ce jour sont les plus élémentaires : remplissez votre assiette de fruits et de légumes riches en fibres, et évitez les produits hautement transformés au profit d’aliments complets.

« Dans les cinq à dix prochaines années, notre perception des régimes alimentaires connaîtra d’énormes changements », prédit Diana Thomas. « Une fois que les résultats de l’étude des NIH commenceront à apparaître, nous en saurons beaucoup plus. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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