Hibernation humaine : elle pourrait révolutionner la médecine (et nous emmener sur Mars)

L’hibernation humaine est un concept de science-fiction qui pourrait bien être plus proche de se réaliser qu’on ne le pense…

De Adam Piore
Publication 25 août 2025, 16:03 CEST
Human Hibernation

Erin Belback fait partie d’un programme d’essai humain soutenu par la NASA qui vise à répliquer les effets de l’hibernation chez les humains ; un outil potentiel pour dépasser certains problèmes physiologiques liés aux longs voyages spatiaux. Des scientifiques de l’université de Pittsburgh cherchent à surveiller ses respirations et sa température corporelle pour étudier son rythme métabolique dans le cadre de leurs recherches.

PHOTOGRAPHIE DE Rebecca Hale, National Geographic

Le sujet test est tombé dans ce que le médecin Clifton Callaway décrit comme un « sommeil crépusculaire ».

Dix-huit heures après que l’équipe de Clifton Callaway, du laboratoire de physiologie appliquée de l’université de Pittsburgh, a mis l’homme sous un sédatif qui inhibe la réponse naturelle de frisson de son corps, sa température interne a chuté de 37 °C à 35 °C. Son rythme cardiaque et sa pression sanguine ont diminué. Son activité métabolique, et avec elle, ses besoins en sang, en oxygène, ainsi que ses besoins d’évacuation du dioxyde de carbone, ont baissé de 20 %. Et pourtant, le sujet pouvait encore se lever de son lit, se traîner jusqu’à la salle de bain pour vider sa vessie et, lorsqu’il avait faim, sonner une cloche pour demander de la nourriture ou de l’eau. Cela évitait les besoins d’une sonde ou d’une alimentation par intraveineuse, tout en s’assurant qu’il était toujours en mesure de répondre et de réagir.

L’homme faisait partie d’un groupe de cinq volontaires excessivement qualifiés, âgés de vingt-et-un à cinquante-quatre ans, qui somnolaient dans la pénombre, prétendant être des astronautes embarqués pour un voyage de neuf mois jusqu’à Mars. La NASA avait demandé à Clifton Callaway, expert en soins cardiaques et en hypothermie artificielle, de trouver un moyen simple de simuler chez les humains un état qui reprenait les principes clés de l’hibernation, sans besoin d’appareils respiratoires ou de tranquillisants. Un dosage minutieux de dexmédétomidine et le tour était joué. Son sujet, explique à présent Clifton Callaway, était comateux, somnolant, mais toujours en mesure de fonctionner en cas d’urgence si le cas se présentait : « tout comme un ours. »

Les humains en hibernation sont un classique de la science-fiction lorsqu’il est question de voyages spatiaux. Qu’il s’agisse de HAL 9000 qui débranche quelques-uns de ses passagers dans 2001 : L’odyssée de l’espace, les condamnant à une mort certaine, ou Chris Pratt qui réveille Jennifer Lawrence bien trop tôt car il se sent seul dans Passengers. Mais la NASA a de grandes ambitions : envoyer des astronautes sur Mars, pour de vrai cette fois, d’ici les années 2030. Et mettre les humains en état d’hibernation pourrait être la clé de ce voyage. C’est pourquoi la NASA et l’Agence spatiale européenne (ESA) soutiennent toutes deux les recherches telles que celle de Clifton Callaway. Dormir dans un état d’hibernation pareil à celui des ours pourrait, en théorie, aider les astronautes à faire passer l’ennui extrême des voyages spatiaux et à limiter les conflits entre membres d’équipage. Leur métabolisme ralenti réduirait de surcroît la charge emportée par la navette. Les missions nécessiteraient moins de nourriture et d’oxygène. En conséquence, moins de carburant serait consommé. Les recherches financées par les agences spatiales étudient la question de savoir si un métabolisme ralenti atténuerait les effets des rayonnements néfastes. Cela serait un coup de pouce encourageant pour la viabilité des longs voyages spatiaux, où les rayonnements sont près de 200 fois plus importants que sur la Terre. En effet, Angelique Van Ombergen, cheffe des explorations scientifiques de l’ESA, explique que les rayonnements cosmiques représentent « d’énormes problèmes » pour l’envoi de missions habitées sur Mars.

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Robert Foote, un volontaire des essais financés par la NASA menés à Pittsburgh, est surveillé par des scientifiques après avoir dormi durant 20 heures. En parvenant à atteindre un état d’hibernation sur demande, les chercheurs seraient en mesure découvrir une grande variété de bienfaits médicaux, y compris l’extension des temps de traitement des AVC et des crises cardiaques.

PHOTOGRAPHIE DE Tim Betler, UPMC

Les scientifiques n’étudient pas l’hibernation dans le seul but d’envoyer des astronautes plus loin dans l’espace. Les super-pouvoirs physiologiques qu’elle détient pourraient sauver un nombre incalculable de vies sur Terre. Il suffit de parvenir à découvrir les secrets des mystérieux changements à l’échelle moléculaire qui font passer les animaux dans cet état, avant de les réveiller. On appelle cela la « torpeur », un état d’endormissement miraculeusement réversible qui se caractérise par une léthargie extrême, une température corporelle et un rythme métabolique réduit, ainsi qu’une pléthore d’autres changements remarquables. « C’est un principe bien établi, explique Clifton Callaway, qu’à des températures basses, comme chez les animaux en hibernation, on tolère mieux et plus longtemps le manque d’oxygène et de circulation sanguine. » Mais pourquoi ? Pourquoi les muscles des ours ne s’atrophient-ils pas lors de leur sommeil ? Pourquoi leur sang ne coagule-t-il pas ? Et qu’est-ce qui déclenche cet état d’hibernation ? Dans leur quête de réponses, les scientifiques s’approchent de plus en plus d’une découverte des plus ambitieuses. Un interrupteur central au sein des cerveaux des animaux hibernants, qui active tous les différents bienfaits de ce phénomène qu’est l’hibernation.

Imiter les températures corporelles plus basses des ours au cours de l’hibernation, par exemple, réduirait la sévérité des « lésions de reperfusion », ces dommages souvent dévastateurs qui surviennent après les arrêts cardiaques, lorsque la circulation sanguine est restaurée vers les tissus du corps privés d’oxygène. Elles sont à l’origine d’inflammations extrêmes, de stress oxydatif et responsables de la mort des cellules. Cela pourrait également permettre d’allonger la fenêtre de temps durant laquelle les médecins doivent fournir un soin intensif à un patient en plein AVC ou crise cardiaque. Une meilleure compréhension de la préservation de la masse musculaire des ours en état d’hibernation et de leur capacité à activer ou désactiver leur résistance à l’insuline pourrait entraîner d’autres bienfaits. Par exemple, dans le traitement de l’obésité chronique ou du diabète chez l’humain. Il arrive que les patients en soins intensifs perdent jusqu’à plus de 10 % de leur masse musculaire en une semaine. Un état d’hibernation artificielle pourrait-il ralentir, voire arrêter, ce déclin ?

Les scientifiques ne se tournent pas que vers les ours pour trouver des réponses, car il est évident qu’ils ne sont pas les seuls animaux à hiberner. Une équipe de scientifiques de l’université publique de l’État du Colorado étudie comment le spermophile rayé peut rapidement s’engraisser, puis réduire son appétit avant de tomber dans un état d’hibernation ; cela les aiderait à combattre l’obésité. Des chercheurs de l’université de Californie à Los Angeles (UCLA) examinent les gènes des marmottes à ventre fauve (Marmota flaviventris). Ils ont récemment découvert que le « vieillissement épigénétique » est « en grande partie ralenti » au cours des sept à huit mois qu’elles passent à hiberner chaque année. Des experts en Allemagne explorent les possibilités qu’offrent les chauves-souris et leur capacité à maintenir leur circulation sanguine, même en basse température pour les appliquer à l’hibernation humaine. Et des biologistes de l’université de Fairbanks, en Alaska, mènent des études sur un écureuil capable de faire chuter sa température corporelle de 20 °C et de diminuer son rythme cardiaque à cinq battements par minute. Il peut survivre huit mois dans des températures bien en-dessous de 0 °C. Leur but est de développer un médicament qui « imite l’hibernation » et qui pourrait aider les scientifiques cliniques à placer les humains dans un état immédiat d’hibernation en toute sécurité, sans besoin de longs préparatifs et dans des hôpitaux ruraux qui manquent d’équipement avancé, voire dans une ambulance qui file à toute allure sur la route. Cela agirait immédiatement sur le métabolisme cellulaire, ralentirait la mort des cellules et catalyserait un grand nombre d’autres procédés biologiques associés à l’hibernation.

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    Les grizzlis du centre sont surveillés dans les antres équipées de caméras, où ils dorment au cours des dernières étapes de leur hibernation. Au cours des cinq mois qu’ils passent en sommeil, leur métabolisme ralentit considérablement, réduisant leur besoin en nourriture et en oxygène.

    Droite: Fond:

    Afin de décoder les mystères de l’hibernation, les biologistes comme Heiko Jansen étudient avec précaution le plus célèbre des animaux hibernants du monde : l’ours. Les onze grizzlis du Centre d’études des ours de l’université publique de l’État de Washington sont des animaux ayant une fois « posé problème » dans le parc national de Yellowstone. Leur progéniture et eux dorment à présent pour faire avancer la science.

    Photographies de Corey Arnold

    Les expériences du sommeil crépusculaire de Clifton Callaway fournissent un aperçu de ce qui pourrait être possible pour les humains. Mais ce qui se passe en laboratoire et ce qui se passe dans la nature sont deux réalités bien distinctes. Les ours n’ont nul besoin de médicaments pour passer l’hiver. Ils ont un « interrupteur naturel » qui leur permet d'entrer dans cet état de torpeur, explique le scientifique, qui s’active lors de procédés que nous ne comprenons pas totalement. Et, bien qu’ils soient turbulents, les ours sont tout de même un bon outil de comparaison pour notre propre potentiel. Ils sont plus proches de notre taille que ne le sont les rongeurs et, c'est peut-être là le plus important, la baisse de température que l’on observe lors de leur sommeil profond correspond à une baisse à laquelle les humains peuvent survivre.

    Par un bel après-midi de mars, le biologiste Heiko Jansen se tenait devant un pâturage clôturé du Centre d’éducation, de conservation et de recherches sur les ours de l’université de Washington, à Pullman. Il observait une femelle grizzli de 135 kilogrammes, au pelage ébouriffé, nommée Kio, alors qu’elle peinait à manger un morceau de guimauve. À part le rythme extrêmement lent auquel elle mâchait le bonbon, Kio ne montrait pas de signe qu'elle sortait d’une profonde métamorphose.

    D'un point de vue extérieur, très peu de parties du procédé qu’a subi Kio semblent applicables à l’humain. Dix jours plus tôt, elle s’était réveillée et avait lentement entamé un festin de croquettes pour ours, de pommes, d’os et de viande de renne. Il s’agissait de son premier repas en cinq mois. Ses glandes salivaires fonctionnaient encore au ralenti. Elle a ensuite relâché un « bouchon fécal », composé de plantes, d’excréments séchés, de cellules mortes et de poils coincés dans son petit intestin. Ces trois activités importantes (se lever, manger, déféquer) semblent l'avoir aidée à mettre en route une série de changements génétiques microscopiques au sein de ses cellules, catalysant la lente inversion d’un grand nombre d’étranges cycles biologiques que son corps avait enclenchés au cours de l’hiver.

    Le métabolisme de Kio, qui opérait à un quart de sa vitesse normale, s’est mis en mouvement, ayant plus que doublé au moment où elle peinait avec ce morceau de guimauve. La température interne de son corps, qui se trouvait environ 6 °C en-dessous de la normale, a commencé à augmenter. Deux des quatre ventricules de son cœur, qui avaient presque cessé de fonctionner au cours de l’hiver, ont recommencé leur travail. Ses cellules graisseuses, résistantes par miracle depuis des mois à l’insuline, l’hormone qui signale au corps lorsqu’il est temps d’absorber du sucre, ont commencé à y réagir. Son appétit, absent depuis des mois, s’est bruyamment manifesté.

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    Lorsque les grizzlis ont commencé à sortir de leur sommeil, en mars, ils étaient éveillés mais embrumés. Leur corps entamait le procédé d’inversion de leur ralentissement métabolique. Cet ours, Adak, sera récompensé par du miel et d’autres friandises après présentation de ses pattes pour une prise de sang.

    PHOTOGRAPHIE DE Corey Arnold

    Cinq mois plut tôt, en novembre, quand Kio s’était allongée et préparée pour l’hiver, elle avait cessé de manger et ses intestins étaient entrés en phase de « stase » : ses glandes salivaires avaient arrêté de fonctionner et elle avait commencé à se nourrir de sa graisse corporelle. Au cours des mois qui ont suivi, elle a brûlé environ 20 % de sa masse corporelle, soit 31 kilogrammes. Pour rendre ce processus plus facile, son corps a développé une résistance à l’insuline, une bonne chose pour les animaux qui hibernent. Les humains qui développent une insulinorésistance deviennent souvent diabétiques, ce qui pose un certain nombre de problèmes. Les ours sont capables d’activer et de désactiver cette résistance, en fonction de la saison et sans conséquences sur leur santé. Si nous pouvions comprendre comment, peut-être pourrions-nous répliquer ce procédé chez les humains ?

    En 2018, cette notion a connu un regain d'intérêt, lorsqu’un groupe de scientifiques canadiens a publié le premier séquençage génétique complet d’un grizzli. Un an plus tard, Heiko Jansen a mené une équipe qui s’est servi d’une technique connue sous le nom de séquençage ARN afin d’identifier les gènes activés dans des échantillons de tissus musculaires, graisseux et du foie avant, pendant et après l’hibernation. Ils ont découvert des changements saisonniers au sein de plus de 10 000 des 30 723 gènes du grizzli. À présent, afin de décoder comment les ours activent et désactivent leur insulinorésistance, Heiko Jansen a extrait des cellules souches d’échantillons sanguins prélevés chez des ours habitant à Pullman à différentes périodes de l’année. Ils ont méthodiquement éliminé les gènes individuels et ont cultivé des colonies de cellules graisseuses dans des boîtes de Pétri afin d’observer ce qui allait se produire.

    « Nous ne prétendons pas découvrir le remède au diabète », corrige Heiko Jansen. « Mais, au moins, en étudiant un système modèle, les cellules qui changent leur sensibilité, nous pouvons commencer à développer certaines pistes pour comprendre le phénomène. »

    Les fonctions cardiaques de Kio pourraient également donner des indices qui aideraient à traiter des maladies sanguines chez les humains, comme des problèmes de caillots. Lors de l’hibernation de Kio, son rythme cardiaque, qui oscille habituellement entre 80 et 100 battements par minute, est passé à 10 battements par minute. En temps normal, cela engendrerait la formation de caillots sanguins qui bloqueraient dangereusement la circulation et provoquerait un AVC. « Nous mourrions si cela nous arrivait », affirme Heiko Jansen. Mais on observe une chute remarquable des plaquettes, qui participent à la coagulation sanguine, chez les ours en hibernation.

    C’était cependant la capacité de Kio à maintenir son tonus musculaire qui a particulièrement subjugué certains des scientifiques. À l’inverse des humains, qui commencent à perdre de la masse musculaire au bout d’une semaine d’inactivité, Kio s’est levée de son lit d’hibernation comme si elle avait passé tout l’hiver à chasser des rongeurs. En Alaska, les chercheurs Vadim Fedorov et Anna Goropashnaya tentent encore de percer le mystère de cette faculté qu’ont les ours. Ce couple de scientifiques russes mariés est spécialiste en génétique évolutionnaire au sein de la faculté de biologie arctique de l’université de l’Alaska à Fairbanks. Lorsqu’ils ont commencé à analyser le schéma d’expression génétique dans des échantillons de tissus collectés sur des ours noirs en captivité, il y a vingt ans de cela, les résultats étaient étonnants.

    En voyant à quel point les ours cessent de se nourrir et ralentissent leur métabolisme au cours de l’hibernation, Vadim Fedorov et Anna Goropashnaya sont partis du principe que l’activité génétique impliquée dans la construction de nouveaux muscles serait atténuée afin de préserver de l’énergie. Au lieu de cela, les gènes étaient tout aussi actifs qu’à l’accoutumée et semblaient même fonctionner davantage.

    « Nous avons vérifié plusieurs fois », se rappelle Anna Goropashnaya. « Nous n’en croyions pas nos yeux. »

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    Au sein de la faculté de biologie arctique de l’université, Anna Goropashnaya et Vadim Fedorov étudient la préservation des tissus d’ours et d’écureuil (projeté au mur pour cette photo) au cours de l’hibernation, quand les animaux ne mangent plus et bougent à peine.

    PHOTOGRAPHIE DE Corey Arnold

    Les découvertes n’étaient « pas logiques » ; elles étaient toutefois correctes. Un grand nombre de gènes que l’on savait faire partie de la biosynthèse des protéines musculaires étaient excités au cours d’une frénésie coordonnée d’activité, gourmande en énergie métabolique. Les deux scientifiques ont publié leur premier article sur ce phénomène en 2011. À présent, avec l’aide des nouvelles technologies de séquençage ADN, ils sont capables d’étudier deux fois plus de gènes et avec beaucoup plus d’acuité. C’est ce qui les a menés à la voie de signalisation de mTOR, un « interrupteur » cellulaire bien connu qui joue un rôle important dans le contrôle du rythme de division cellulaire. Normalement, lorsque les mammifères n’ont plus de nutriments, leur corps envoie à mTOR un signal lui ordonnant de ralentir afin d’inhiber la régénération des cellules afin d’employer l’énergie à la protection des cellules existantes. Mais, dans les muscles des ours endormis, les chercheurs ont confirmé ce qu’ils avaient déjà observé il y a des années de cela : au lieu de ralentir, mTOR accélère.

    Vadim Fedorov et Anna Goropashnaya étaient abasourdis. Si les ours en hibernation continuent de créer de nouveaux muscles, où trouvent-ils les nutriments nécessaires ? Des chercheurs des universités du Wisconsin et de Montréal ont étudié une hypothèse : les microbes. Les premières découvertes chez d’autres animaux qui hibernent indiquent qu’au lieu de produire de l’urine lors de leur profond sommeil, les animaux recyclent l’azote contenu dans l’urée, et les microbes de leur flore intestinale l’ingèreraient et le métaboliseraient en acides aminés, qui produisent de nouveaux muscles.

    Si Vadim Fedorov et Anna Goropashnaya parviennent à identifier un unique gène « en amont » et surpuissant, responsable de l’activation de cette régénération musculaire, cela pourrait avoir d’énormes applications médicales. Les muscles des patients alités en soins intensifs ne fondraient pas en quelques semaines, et les astronautes pourraient continuer à créer de la masse musculaire en sommeil.

    Mais si tous ces processus remarquables et disparates liés à l’hibernation pouvaient être activés dans tout le corps grâce à un médicament ? Pour le découvrir, les scientifiques plongent plus profondément dans le royaume animal pour percer les mystères du plus extrême des hibernants.

    Le spermophile arctique est un rongeur de la famille des Sciuridés à la fourrure dorée et au petit museau. Il est doté d’une petite paire d’incisives à la Bugs Bunny. La température du spermophile arctique peut chuter de façon drastique, il est capable de ne prendre qu’une seule respiration par minute et peut survivre durant des mois à des températures bien en-dessous de 0 °C. Ce petit rongeur est également bien plus facile à étudier que les ours.

    « Jusqu’à ce qu’ils ouvrent leurs yeux », avertit Kelly Drew, l’affable scientifique aux cheveux gris-argent qui dirige le Centre de recherches transformatives du métabolisme de IAB. Elle fouille un nid de coton et de sciure de bois pour en sortir une boule de neige toute gelée et poilue. « Après ils peuvent mordre. »

    Au début des années 2000, Kelly Drew a persuadé l’armée américaine de financer ses recherches pour découvrir quels signaux chimiques dans le cerveau des rongeurs déclenchaient l’hibernation. Si elle parvenait à les identifier, elle suggérait qu’elle pourrait les tester chez l’humain, dans l’espoir de développer de nouveaux moyens de refroidir des soldats blessés sur le champ de bataille.

    La première percée de Kelly Drew lors de ses travaux sur les rongeurs a eu lieu en 2005. L’un de ses étudiants qui l’assistait dans ses recherches est tombé par hasard sur une étude d’un laboratoire japonais alors qu’il passait au crible des articles scientifiques. Le groupe japonais était parvenu à réaliser ce que Kelly Drew espérait faire. Ils ont découvert un médicament qui éveillait les rongeurs en hibernation en inhibant la réponse de leurs cellules cérébrales à une molécule : l’adénosine.

    Kelly Drew a donné pour mission à un de ses étudiants d’injecter une version synthétique de l’adénosine, la 6-cyclohexyladénosine, ou CHA, directement dans les cerveaux de ses rongeurs. Plutôt que de bloquer l’adénosine, ce qui est le secret du café pour vous réveiller, le CHA imite ses effets. Lorsque l’étudiant a injecté le CHA au spermophile en été, en dehors des périodes d’hibernation, rien ne s’est produit. Mais lorsqu’il a répété l’opération alors que l’on se trouvait plus proche de la saison d’hibernation, le CHA a plongé le rongeur dans un état si profond de torpeur que l’étudiant craignait l’avoir tué.

    « Il était super triste parce qu’il s’agissait d’une tâche importante », se rappelle Kelly Drew. « Il a sorti l’animal pour l’amener chez le vétérinaire afin qu’il conduise une nécropsie. Le vétérinaire a sorti ses outils, a commencé à ouvrir cet animal mort et, là, il a bougé. » Ils avaient trouvé un moyen de plonger un rongeur en état d’hibernation, de la même manière que l’on active un interrupteur.

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    Temporairement sorti de son cocon réfrigéré d’hibernation et déposé sur un lit de sciures de bois, ce spermophile arctique est resté dans un état de torpeur pendant plus d’une heure avant de commencer à bouger. Les rongeurs survivent à leur longue hibernation en se réchauffant durant de courtes périodes à quelques semaines d’intervalles.

    PHOTOGRAPHIE DE Corey Arnold

    À l’autre bout du monde, à l’université de Bologne, en Italie, à peu près au même moment où l’étudiant de Kelly Drew découvrait l’article japonais sur l’adénosine, un autre étudiant, Domenico Tupone, suivait une voie similaire. Son laboratoire ne menait pas des recherches sur l’hibernation à proprement parler, mais sur un de ses composants. Ils cherchaient à identifier les circuits cérébraux qui régulent la température corporelle au cours du sommeil. Son équipe suspectait qu’un petit groupe de neurones situés à la base du cerveau d’un rongeur ordinaire aidait à envoyer des signaux de contrôle de la température à la périphérie du corps. Grâce à une injection, ils ont temporairement immobilisé ces neurones avant de placer un rat dans un cage froide et sombre. Cette expérience a validé leur hypothèse. Alors que Domenico Tupone et ses collègues l’observaient, le rat est tombé dans un état d’hypothermie tellement extrême qu’il aurait dû en mourir.

    C’est là que l’expérience est devenue fascinante.

    Six heures et quatre injections plus tard, le rat en hypothermie était toujours en vie. Et lorsque l’équipe a finalement retiré le rat de sa cage et l’a réchauffé, le rat se comportait comme si rien ne s’était passé, du moins en apparence. Ensuite, quand Domenico Tupone et ses collègues ont observé l’activité cérébrale enregistrée par un réseau d’électrodes attachées au crâne du rongeur, le scientifique Matteo Cerri a fait une observation qui a changé le cours des futures recherches de Domenico Tupone. Les pics et les vallées des ondes cérébrales lui semblaient familiers. Matteo Cerri avait observé les mêmes schémas chez les animaux hibernants. Mais il demeurait une différence cruciale. À l’inverse des spermophiles arctiques, les rats n’hibernent pas dans la nature. Domenico Tupone était taraudé par une question : si des animaux non-hibernants pouvaient être plongés dans un état d’hibernation artificielle en toute sécurité, cela serait-il possible pour les humains ?

    Dans les années qui suivirent, Domenico Tupone passait au peigne fin des articles scientifiques dans des bars mal éclairés, élaborant des idées de ce à quoi ressemblerait un circuit cérébral capable de déclencher un état d’hibernation chez l’humain. Il ne trouvait pas le sommeil, ne faisant que tourner et se retourner dans son lit, rêvant à un médicament « révolutionnaire » administré par intraveineuse semblable au « mimétique de l’hibernation » de Kelly Drew, que des ambulanciers pourraient utiliser pour ralentir la mort cellulaire en chemin vers l’hôpital. Il était de plus en plus convaincu que, si cela pouvait être réalisé en toute sécurité, provoquer un état de torpeur naturelle chez les humains bouleverserait la science. La prochaine étape pour les deux chercheurs, les essais humains, était cependant l’obstacle le plus infranchissable.

    Afin d’administrer le « mimétique de l’hibernation » de Kelly Drew aux rongeurs, son équipe devait souvent avoir recours à des opérations cérébrales envahissantes. Pour les humains, le médicament devrait être administré par intraveineuse. Le problème, c’est que les récepteurs de l’adénosine sont présents dans tout le corps, et les activer tous provoquerait des effets secondaires indésirables, comme l’arrêt cardiaque. Après quatre années supplémentaires de tâtonnements, Kelly Drew a associé le médicament avec un composé qui évitait les problèmes de crises cardiaques. Elle essaye à présent de résoudre l’obstacle additionnel posé par les niveaux fluctuants de glucose dans le sang qui, dans des cas extrêmes, ont provoqué des crises d’épilepsie chez les animaux en laboratoire, voire entraîné la mort.

    « Cela fonctionne, ça les refroidit sans aucun doute », déclare Kelly Drew. « Nous essayons simplement de le modifier pour qu’il comporte le moins de risques possible. » Les cliniciens utilisent de nombreux outils de régulation de la température, « mais le corps humain les combat, en temps normal. En évitant cette réponse de défense face au froid, ce que fait notre mimétique de l’hibernation, alors les cliniciens peuvent réguler le corps à la température qu’ils veulent. » En quelques minutes, non en quelques heures.

    Domenico Tupone, pendant ce temps, étudiait une piste parallèle au sein de l’université de sciences et de santé de l’Oregon à Portland, sous la tutelle de Shaun Morrison, l’un des experts mondiaux des circuits cérébraux qui contrôlent la température. Domenico Tupone cherchait à étendre la carte de la température et à trouver les circuits qui lui sont liés dans de nouvelles parties du cerveau. Cependant, dans son temps libre, il continuait sa chasse à l’interrupteur d’hibernation, qui n’avait de cesse de lui filer entre les doigts.

    Autour de 2016, il est tombé sur un phénomène biologique curieux qui l'a convaincu qu’il n’était pas loin de sa découverte. Shaun Morrison et lui tentaient de confirmer que leur carte du système de contrôle thermorégulateur du cerveau était correcte. Ils ont mené une expérience similaire à celle qui avait abasourdi l’Italien, lorsque les rats hypothermiques avaient miraculeusement survécu à leur condition. Cette fois-ci, Domenico Tupone s’est servi d’un petit scalpel pour sectionner la masse de nerfs qui se trouvait dans le tronc cérébral du rat, coupant la voie de signalisation de contrôle de la température à la périphérie du corps.

    Une fois n’est pas coutume, les résultats observés par Domenico Tupone semblaient défier les règles attendues de la physiologie mammalienne. Plutôt que d’inhiber la capacité du rat à répondre à la chaleur ou au froid, l’incision pratiquée par Domenico Tupone l’a exacerbée. Quand le scientifique l’a enveloppé dans une couverture en plastique avant de la mettre sous l’eau chaude, le corps du rat a commencé à générer encore plus de chaleur. Sous l’eau froide, le cerveau du rat semblait faire chuter la température du corps encore plus vite.

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    Un spermophile arctique émerge d’un terrier dans les contreforts de la chaîne de montagnes de Brooks, en Alaska, peu après la fin de ses huit mois d’hibernation. Chaque automne, des scientifiques de l’université du Colorado qui travaillent à la station proche de Toolik Field attachent des appareils autour du cou des rongeurs afin d’enregistrer leur température et leur taux d’exposition à la lumière. Ces données leur disent si un rongeur se trouve à l’intérieur ou hors de son terrier. Au printemps, les nouveaux rongeurs sont pucés et pesés avant que ne commence leur chasse estivale.

    PHOTOGRAPHIE DE Corey Arnold

    Domenico Tupone et Shaun Morrison en ont conclu qu’ils avaient fait une découverte majeure. Les résultats suggéraient qu’un deuxième circuit cérébral, encore inconnu, existait et était capable de réguler la température corporelle. Un circuit qui facilitait la transition entre l’état d’éveil et d’hibernation. Ils ont baptisé ce phénomène d’« inversion thermorégulatrice » (thermoregulatory inversion, TI). Mais où se trouve exactement ce circuit et comment l’activer ?

    Après huit ans d’essais, Domenico Tupone et Shaun Morrison ont publié un article en janvier 2025 annonçant la découverte d’un petit groupe de neurones dans l’hypothalamus du rat, la zone périventriculaire ventromédiale (VMPeA). Une fois activés, ces neurones ralentissent non seulement le métabolisme, mais font aussi baisser la température corporelle et provoquent des schémas d’ondes cérébrales et cardiaques propres à l’hibernation, tout en déclenchant le phénomène qui inverse le système normal de contrôle de la température corporelle, facilitant la transition entre état d’éveil et de torpeur. Ils l’avaient trouvé : le fameux « interrupteur de torpeur ».

    Domenico Tupone croit que cet interrupteur est lié à une version incomplète du circuit d’hibernation qui existe chez de nombreux animaux. Il émet l’hypothèse que, pour le désactiver, l’évolution a fait au plus simple. Elle a tout bonnement supprimé cette connexion entre le circuit et l’interrupteur qui l’activait automatiquement.

    « C’est comme si vous aviez tous les câbles dans vos murs pour allumer une lumière », explique-t-il, mais l’interrupteur n’est plus connecté au réseau de contrôle de la lumière. « Nous pensons que les humains ont tout ce qu’il faut. » Il pense que notre interrupteur n’est simplement plus connecté. Pour appuyer ses découvertes, Domenico Tupone collabore à présent avec le laboratoire de Kelly Drew afin de trouver ce circuit analogue, et son interrupteur chez les spermophiles arctiques. Il pose en même temps les bases d’un médicament de son invention qui pourrait activer l’interrupteur chez les rats sans passer par une opération invasive.

    Toutefois, chaque avancée apporte son lot de mystères.

    Pour activer et désactiver l’interrupteur de l’étude qu’ils ont publiée en janvier, Domenico Tupone et Shaun Morrison ont eu recours à des opérations cérébrales invasives avant d’appliquer manuellement un médicament sur la zone générale où il se trouvait. Même cette zone infinitésimale du cerveau contient des millions de neurones, dont un voisinage entier qui n’a aucun lien avec l’interrupteur. Pour découvrir un médicament suffisamment spécifique à administrer aux humains sans déclencher toute une légion d’effets indésirables, Domenico Tupone devra identifier les neurones précis qui entourent l’interrupteur, et concevoir un médicament qui ne ciblera que ceux qui sont impliqués dans l’hibernation.

    Il ne s’agit cependant que de la partie émergée de l’iceberg. Pour inhiber la réponse de frisson chez les humains, les anesthésiologistes administrent en temps normal des relaxants musculaires ou des drogues paralysantes, qui empêchent de respirer. C’est pour cela que les médecins doivent intuber les patients. Et cela demande de les plonger dans un état de coma artificiel. C'est l'une des raisons pour lesquelles l’hypothermie artificielle n’est pas possible en dehors des hôpitaux. Ce n’est pas non plus une option pour les patients victimes d’AVC, à cause de la dangereuse chute de la pression sanguine qui se produit souvent durant l’intervalle entre l’anesthésie et l’intubation d’un patient. Le cerveau pourrait se retrouver privé d’oxygène à un moment où de dangereux blocages étouffent déjà ses cellules.

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    Les rats n’hibernent pas. Mais le pourraient-ils ? Le neurologue Domenico Tupone et ses collègues chercheurs de l’université de l’Oregon disent avoir identifié un « interrupteur de torpeur » se trouvant dans les neurones du rat (projetés sur le mur) qui peut être activé en plongeant les rongeurs dans un profond état d’hibernation. Identifier ce circuit chez des non-hibernants pourrait être une avancée majeure dans l’effort pour découvrir l’hibernation humaine.

    PHOTOGRAPHIE DE Corey Arnold

    « En réalité, cela peut empirer un AVC », affirme Clifton Callaway de Pittsburgh. « Mais que ce serait bien de pouvoir baisser sa température corporelle et de laisser votre cerveau tolérer la crise un peu plus jusqu’à ce que l’on puisse vous emmener sur la table d’opération pour retirer ce caillot sanguin. »

    Clifton Callaway, en tant que médecin urgentiste, comprend mieux que quiconque les applications potentielles sur l’humain, ainsi que les défis que représente le passage des ours et des rongeurs à l’humain. Il mène des recherches et peaufine les techniques utilisées pour plonger en hypothermie artificielle les patients atteints de lésions cardiaques et cérébrales depuis les années 1990. Il siégeait également au comité de soins cardiovasculaires d’urgence de l’Association américaine des maladies cardiaques (American Heart Association). C’est pour cela que la NASA lui a octroyé un financement par le biais de l’Institut de recherches translationnelles de santé spatiale, afin d’explorer les possibilités d’application de ses techniques aux besoins métaboliques des astronautes.

    Jusqu’alors, les problèmes persistent. La baisse de la pression sanguine et du rythme cardiaque chez ces cinq volontaires en bonne santé était si extrême que les personnes souffrant de maladies cardiovasculaires ou d’autres problèmes médicaux pourraient ne pas la tolérer. En l’espace de quelques jours, les cinq « astronautes » avaient développé une tolérance au sédatif, suggérant, entre autres, que son efficacité déclinerait au cours du temps.

    Il existe des solutions à cela, déclare Clifton Callaway. « Ce n’est que la première étape » d’un procédé qu’il pense devrait prendre dix à quinze ans, le temps d'une sieste pour la Belle au bois dormant. « Il reste encore beaucoup à faire », dit-il. Mais c’est un processus qui le stimule : « Je ne pense plus qu’il s’agisse d’une idée farfelue. »

    Pour entretenir l’inspiration des astronautes au cours des essais sur l’humain, l’équipe de Clifton Callaway avait recouvert les murs de leur laboratoire de posters. Un satellite flottant dans l’espace au-dessus du bleu de la Terre, striée de nuages blancs ; la surface rayonnante et criblée de cratères d’une lune, les couleurs irisées d’une étoile illuminant une galaxie lointaine. Pour l’instant, de telles destinations ne sont accessibles que dans nos rêves. Mais un jour, dans un futur pas si lointain, un véritable astronaute pourrait s’éveiller d’un sommeil d’hibernation pour poser ses yeux sur un tel paysage, cette fois-ci bien réel.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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