Les aliments ultra-transformés seraient aussi addictifs que le tabac 

Les aliments ultra-transformés, trop sucrés, trop salés et trop gras, déclenchent des fringales caractéristiques de la dépendance. L'industrie agro-alimentaire aurait appliqué à la nourriture les leçons tirées du Big Tobacco.

De Meryl Davids Landau
Publication 30 mai 2024, 11:54 CEST
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Les aliments ultratransformés comme les sodas et les chips sont liés à de nombreux problèmes de santé, mais il peut être aussi difficile d'y renoncer que d'arrêter de fumer.

PHOTOGRAPHIE DE Dan Kitwood, Getty Images

Qui n'a jamais eu la sensation d'engloutir un paquet de chips ou de manger plus de M&M's que prévu ? De plus en plus d'études empiriques tendent à prouver que ce phénomène n'est pas le fait d'un manque de volonté, mais qu'il pourrait être dû à une dépendance aux aliments ultra-transformés.

Les aliments ultra-transformés peuvent nous rendre dépendants, car ils déclenchent des fringales, des achats compulsifs et d'autres caractéristiques associées aux troubles liés à la consommation de tabac ou d'alcool. Plus de 20 % d'adultes et 15 % d'enfants et d'adolescents présenteraient des signes de dépendance aux aliments ultra-transformés.

Les aliments ultra-transformés sont fabriqués dans des usines à des échelles industrielles, et non dans la cuisine familiale. Ils contiennent des ingrédients modifiés et combinés de manière à augmenter leur teneur en graisses, en sucre et/ou en sel. Selon Evan Forman, professeur de psychologie et de neuro-sciences à l'université Drexel de Philadelphie, qui a étudié l'addiction à la nourriture, ces produits contiennent également de nombreux arômes et additifs qui les rendent si attrayants que l'on ne peut y résister.

Parmi ces aliments, on compte les en-cas, les céréales, la majorité des fast foods, les pains, viennoiseries et desserts produits en masse, le poisson reconstitué et les produits à base de viande comme les saucisses, les hot-dogs et les bâtonnets de poissons, les boissons non alcoolisées, les glaces et les bonbons, ainsi que de nombreux autres produits emballés que l'on trouve dans les allées centrales des supermarchés. On estime que ces aliments englobent un peu plus de 30 % de la nourriture consommée en France.

« Je pense que l'on ne réalise pas que, la plupart du temps, on ne décide pas de ce que l'on mange », explique Evan Forman. « Ces aliments activent avec trop de puissance le système de récompense de notre cerveau. »

Lorsque de nombreux experts internationaux se sont réunis à la mi-mai pour la International Food Addiction Consensus Conference à Londres, ils ont trouvé des « preuves suffisantes » que l'on pouvait devenir dépendant des aliments ultra-transformés et que cela pouvait se produire avec ou sans troubles du comportement alimentaire (TCA) comme l'hyperphagie boulimique, même si les personnes présentant des TCA en souffraient de manière disproportionnée.

 

STIMULER LE CERVEAU ET LES INTESTINS

L'idée que certains aliments peuvent entraîner des comportements de dépendance existe depuis plusieurs décennies. Cette idée existe depuis que des études menées sur des rats dans les années 1980 ont montré que l'activité du système de récompense dopaminergique dans leur cerveau augmentait considérablement lorsqu'ils appuyaient sur un levier pour obtenir une récompense alimentaire. Il s'agit d'une réaction similaire, bien que moins intense, à celle observée lors de l'autoadministration de cocaïne.

Mais durant la dernière décennie, avec l'augmentation du nombre de personnes obèses, les scientifiques ont commencé à évaluer les changements agro-alimentaires qui pourraient en être la cause. L'impact de l'addiction aux aliments ultra-transformés ne pouvait dès lors plus être ignoré.

Pendant la majeure partie de l'histoire de l'humanité, la survie dépendait d'une motivation suffisante pour se mettre en quête d'aliments gras et sucrés, que l'évolution récompense par la libération de substances de bien-être telles que la dopamine.

« Dans un environnement alimentaire alourdi par les aliments ultra-transformés, le cerveau confond les expériences et substances nuisibles avec les expériences et substances qui favorisent la survie », explique David Wiss, diététicien et chercheur en addiction à l'alimentation à Los Angeles, qui a participé à la conférence de Londres.

Les aliments ultra-transformés « fournissent des doses anormalement élevées d'une manière anormalement rapide, souvent dans des combinaisons anormalement élevées d'ingrédients dits de récompense », explique Ashley Gearhardt, professeur de psychologie à l'université du Michigan et l'un des principaux chercheurs dans ce domaine.

Outre les substances chimiques présentes dans le cerveau, des recherches récentes mettent également en cause le microbiote intestinal. Les personnes dont la corpulence est plus forte ayant une dépendance aux aliments ultra transformés seraient plus susceptibles d'avoir une composition microbienne similaire à celle des personnes ayant un terrain favorable à l'addiction.

 

LES MÊMES CRITÈRES DE DÉPENDANCE QUE LE TABAC

La fringale est une caractéristique essentielle de l'addiction et elle est facilement observable avec les aliments ultra-transformés, explique Ashley Gearhardt. « Vous ne ferez pas un détour pour acheter du brocoli, mais les gens peuvent dire : j'avais envie d'un beignet fabriqué dans cet endroit très spécifique, alors j'ai fait quarante minutes de route, pour en manger une boîte entière sur le parking, alors que j'ai un diabète de type 2 », dit-elle.

Les symptômes de sevrage sont une autre caractéristique de la dépendance. Une mise à jour de la recherche publiée en mai, dont Evan Forman est co-auteur, a apporté des preuves préliminaires de symptômes de sevrage lorsque les aliments ultra-transformés sont retirés du régime alimentaire.

« La mesure dans laquelle on pouvait voir les dents des rats claquer ou les gens se plaindre de maux de tête, de fatigue et d'irritabilité lorsqu'ils arrêtaient de manger ces aliments m'a surpris », déclare Forman.

Une étude publiée par Ashley Gearhardt en 2022 a appliqué à ces aliments les mêmes critères que ceux utilisés dans le rapport du Surgeon General des États-Unis de 1988 pour déterminer si les produits de l'industrie du tabac créaient une dépendance. Elle a conclu que ces aliments répondaient à tous les critères. Les aliments ultra-transformés peuvent déclencher des comportements compulsifs, comme l'a constaté Ashley Gearhardt, citant des études dans lesquelles des rats obèses ignoraient leur nourriture standard et risquaient des chocs électriques pour se procurer des gâteaux et des chocolats industriels. Ces aliments sont suffisamment gratifiants pour inciter à une consommation répétée. Ils ont également des effets sur l'humeur, avec des effets « euphorisants » après la consommation de certains aliments, comme après la consommation de nicotine chez les fumeurs.

Les aliments ultra-transformés étant fabriqués pour produire des goûts complexes, les scientifiques ne savent pas si tous les ingrédients ou seulement certains d'entre eux ont des propriétés addictives.

Ils savent que les fabricants de produits alimentaires ont tiré les leçons de l'industrie du tabac, en particulier après que le géant du tabac Philip Morris Companies a racheté deux entreprises alimentaires à la fin des années 1980 pour former Kraft General Foods, aujourd'hui Kreft Heinz. Les chercheurs ont constaté que l'expertise et les ressources ont été transférées à l'industrie agro-alimentaire, notamment en ce qui concerne la manière de commercialiser les produits auprès des minorités et des classes populaires.

 

MAUVAIS POUR LA SANTÉ... MAIS DIFFICILE DE S'EN PASSER

La consommation élevée d'aliments ultra-transformés a été associée à de nombreux problèmes de santé, notamment à des risques accrus de maladies cardiaques, de diabète de type 2, d'obésité, de dépression, d'anxiété et de décès, toutes causes confondues. Une étude publiée en mai a révélé des taux plus élevés de mauvais cholestérol et de glucose chez les enfants qui consomment davantage ces aliments.

Leur consommation entraîne souvent une prise de poids, probablement parce qu'il est facile de manger plus que prévu. Lorsque vingt personnes ont été réparties au hasard entre un régime ultra-transformé et un régime composé uniquement d'aliments non-transformés pendant deux semaines et ont reçu pour instruction de manger autant qu'elles le souhaitaient, le groupe au régime ultra-transformé a consommé 500 calories de plus chaque jour.

Les personnes les plus minces peuvent aussi présenter des formes d'addiction. « Il y a des personnes dont le poids normal ou même insuffisant qui présentent ces symptômes », explique Wiss, qui ont peut-être éliminé les calories supplémentaires à la salle de sport ou qui ne sont pas génétiquement prédisposées à prendre beaucoup de poids.

L'un des principaux problèmes est que les gens se familiarisent avec les saveurs intenses des aliments ultra-transformés et sont moins satisfaits lorsqu'ils consomment des aliments naturels.

« La vraie conséquence, c'est que nous avons des adolescents qui sont complètement rebutés par les lentilles et les brocolis », explique Wiss.

National Geographic a contacté les grandes entreprises alimentaires Kraft Heinz, General Mills et Unilever pour obtenir des commentaires et n'a reçu qu'une seule réponse de la part de leur groupe commercial, la Consumer Brands Association.

« La diabolisation des aliments prêts à l'emploi pourrait limiter l'accès aux aliments nutritifs et inciter à les éviter », disent-ils. « Donner aux consommateurs des informations nutritionnelles claires et préserver leur liberté de choix afin qu'ils puissent prendre les bonnes décisions en fonction de leurs objectifs de santé personnels devrait être la priorité des orientations en matière de santé publique ». Le groupe note également que le terme « ultra-transformé » ne fait pas l'objet d'une définition claire et « pourrait prêter à confusion pour le consommateur. »

 

REPRENDRE LE CONTRÔLE

Ashley Gearhardt souhaite que des informations nutritionnelles claires soient fournies et que des étiquettes d'avertissement soient obligatoirement apposées sur les emballages, comme c'est le cas pour les cigarettes. En attendant, les consommateurs sont livrés à eux-mêmes et doivent s'efforcer de choisir des aliments contenant le moins d'ingrédients non naturels possibles. Toujours selon Ashley Gearhardt, il est également essentiel de mettre un terme à la commercialisation de ces produits auprès des enfants.

Les aliments ultra-transformés sont populaires car ils sont très pratiques. On peut les acheter dans des distributeurs automatiques et les stations-services, et aller acheter des plats tout prêts ou aller au fast-food peut sembler être une solution quand on n'a pas le temps de cuisiner. 

La question de savoir comme traiter les personnes souffrant d'une grave dépendance alimentaire reste ouverte. Certains soulignent l'efficacité des médicaments GLP-1 tels qu'Ozempic, qui, selon les utilisateurs, réduisent l'envie de manger des aliments très appétissants. Les injections réduisent également les envie d'alcool, ce qui confirme l'idée d'une voie d'affections cérébrales chroniques commune.

Les résultats préliminaires d'une étude dont Wiss est le co-auteur montrent que le soutien psychologique et éducatif hebdomadaire, individuel et en groupe, associé à un plan d'alimentation complet, est une réussite.

« C'est très différent des conseils traditionnels en matière de régime, où l'on vous a dit ce qu'il faut faire, et si vous ne réussissez pas, vous devez redoubler d'efforts. Il s'agit d'offrir un soutien basé sur l'hypothèse qu'il s'agit d'un trouble cérébral qui nécessite une modification comportementale cohérente, des idées et une communauté, le tout pour soutenir le recalibrage du cerveau », explique Wiss.

Gearhardt est optimiste et pense que les dangers des aliments ultra-transformés seront bientôt connus de tous, tout comme les dangers du tabagisme. « Le tabagisme était autrefois si courant que nous étions insensibles au fait que des gens en mouraient », estime-t-elle. « Je pense que nous comprendrons également quels sont les dangers posés par les aliments ultra-transformés. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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