Certaines personnes ne sont jamais stressées. Sont-elles pour autant plus heureuses ?

Les sources de stress ne sont pas toujours néfastes pour notre organisme, surtout lorsqu'elles sont également source de plaisir, comme la pratique d'un sport.

De Julia Sklar
Publication 12 avr. 2024, 16:13 CEST
Les sources de stress ne sont pas toujours néfastes pour notre organisme, surtout lorsqu'elles sont également ...

Les sources de stress ne sont pas toujours néfastes pour notre organisme, surtout lorsqu'elles sont également source de plaisir, comme la pratique d'un sport. Certaines personnes ne sont pas du tout affectées par ces facteurs de stress, mais cette particularité n'est pas forcément bénéfique. Même si elles sont en meilleure santé, ces personnes présentent généralement une capacité d'attention et de concentration plus faible, une mémoire à court et à long terme moins efficace et des difficultés à résoudre des problèmes ou à contrôler des comportements indésirables.

PHOTOGRAPHIE DE Brian Finke, Nat Geo Image Collection

La passion de Susan Charles ? Trouver ce qui nous rend heureux. Au cours de sa carrière dans l'étude des processus émotionnels à l'âge adulte, cette professeure de sciences de la psychologie au sein de l'université de Californie à Irvine s'est intéressée à plusieurs reprises à ce sujet. La plupart des émotions sont ressenties dans un contexte social, donc « ce qui nous rend heureux coïncide souvent avec ce qui nous donne un sentiment de sécurité », dit-elle. « Ce qui nous permet de continuer à profiter des personnes qui ajoutent du sens à nos vies. » Et la quantification des facteurs de stress du quotidien est essentielle pour percer les secrets de ce bonheur.

La majorité de ses données provient d'une véritable mine d'informations connue sous le nom de Midlife in the United States (MIDUS), une étude longitudinale révolutionnaire menée par l'université du Wisconsin à Madison qui évalue la santé et le bien-être de ses participants à travers des journaux quotidiens et des entretiens téléphoniques. Trois vagues majeures de collecte des données ont eu lieu à ce jour ; une par décennie en 1995, 2005 et 2015, avec une quatrième enquête spécialement menée en 2012 pour évaluer les effets de la crise économique de 2008. À l'heure actuelle, les chercheurs recueillent des données relatives aux effets de la pandémie de coronavirus.

Pendant huit jours d'affilée, les participants à chaque vague de l'étude se sont entretenus avec un chercheur au téléphone à propos de leur journée. Les sondés évoquaient notamment leurs éventuelles sources de stress, comme une dispute avec un ami, un problème au travail ou d'autres événements qui ne mettent pas leur vie en danger mais restent perturbateurs. Susan Charles s'est immergée dans ces enquêtes avec la volonté de découvrir dans les réponses les réactions de différents individus face au stress. Régulièrement, elle devait se résoudre à exclure une petite partie des données.

Dans toutes les vagues de l'étude MIDUS, chaque fois que les chercheurs demandaient aux participants s'ils avaient eu une expérience stressante au cours de la journée, 10 % d'entre eux répondaient « non ». En d'autres termes, pendant huit jours d'affilée, ces participants n'avaient pas vécu le moindre stress quotidien. Au départ, ces exceptions ne présentaient pas un grand intérêt pour notre professeure de sciences psychologiques, car quiconque ne perçoit ou ne ressent aucun stress ne pourrait pas l'aider à comprendre comment la population gère ce stress. Puis, après un temps, elle s'est demandé qui pouvaient bien être ces personnes.

Les études montrent que le cerveau humain a besoin d'un certain niveau de stress, comme lors d'un examen, pour fonctionner de manière optimale.

PHOTOGRAPHIE DE Brian Finke, Nat Geo Image Collection

 

DES BIENFAITS MITIGÉS 

Si une vie dénuée de stress vous semble idyllique… détrompez-vous. En 2021, Susan Charles s'est intéressée à ces exceptions miraculeuses à travers son étude « Les bénéfices mitigés d'une vie sans facteur de stress » et si elle a choisi ce titre, ce n'est pas pour son côté accrocheur.

Charles et ses collègues ont découvert que les participants dénués de stress avaient tendance à signaler un niveau de bonheur supérieur à la population générale et un niveau inférieur de maladies chroniques, mais ils présentaient également des signes de déclin cognitif, comme une baisse de l'attention et de la concentration, une mémoire à court et à long terme moins efficace, ainsi que des difficultés à résoudre les problèmes ou à contrôler les comportements indésirables.

Le message véhiculé par ce type de travaux n'est pas de nous inviter à chérir chaque source de stress sur notre chemin. Toutes les instances de réaction au stress ne se ressemblent pas. Lorsque les chercheurs parlent de stress bénéfique pour la population, « nous ne parlons pas d'événements réellement négatifs comme les traumatismes, mais de choses plus courantes dans la vie quotidienne », précise Jeremy Jamieson, spécialiste du stress à l'université de Rochester.

Jamieson n'a pas participé à l'étude de Susan Charles, mais il étudie comme elle les bienfaits de certains types de stress, une expérience qui jouit généralement d'une mauvaise réputation. « S'attaquer à un devoir difficile ou à une tâche complexe au travail, ce sont des défis que l'on rencontre tout le temps et ils ne sont pas nécessairement négatifs, mais ils sont souvent présentés comme tels », déclare Jamieson.

Comme pour la douleur, l'expérience générale du stress est universelle, mais la façon dont ce mécanisme se déclenche est hautement subjective. Deux personnes capables de ressentir le stress peuvent être confrontées à un même événement, par exemple un rôle dans une pièce de théâtre, et y réagir de manière différente. La première pourrait se décomposer sous les projecteurs et la seconde se sentir parfaitement à l'aise sur scène.

Le parallèle avec la douleur ne s'arrête pas là : le fait de ne pas ressentir de stress peut aider une personne à éviter un problème, tout en lui en créant d'autres. Si une personne insensible à la douleur échappe à l'une des sensations les plus déplaisantes de notre existence, elle est également plus sujette aux blessures, puisque la douleur déclenche un réflexe qui assure notre sécurité, en nous invitant par exemple à retirer notre main du feu. En l'absence de douleur, rien n'empêche de se brûler.

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    Le cortisol est la principale hormone stéroïde sécrétée par le cortex surrénal dans le cerveau. Observé ci-dessus au microscope, le cortisol joue un rôle dans la réponse de l'organisme aux facteurs de stress émotionnels et physiques. 

    PHOTOGRAPHIE DE Sidney Moulds, Science Source

    De son côté, le stress nous permet de ressentir pleinement la vie et favorise l'apprentissage. L'hippocampe, cette région du cerveau qui joue un rôle central dans l'apprentissage à travers la mémoire, raffole de la nouveauté. Le fait de surmonter les petits facteurs de stress du quotidien constitue une source intarissable de nouveautés et d'évolution. Lorsque notre cerveau est privé de ces défis inoffensifs, il souffre. Ce phénomène est probablement à l'origine du déclin de la mémoire et de la capacité à résoudre des problèmes observé par Charles chez les participants non affectés par le stress dans la population de l'étude MIDUS.

    « Dès les premiers signes de stress, notre réaction est souvent de couper court à la situation, de battre en retraite et de fuir, mais ce n'est pas une obligation », déclare Jamieson. « Apprendre à être résilient et à persévérer malgré les défis et les difficultés est une compétence primordiale. Il ne s'agit pas d'un trait de caractère inné mais bien d'un comportement que l'on peut apprendre et mettre en œuvre. »

    Charles n'obtiendra jamais les réponses à ses questions sur l'identité de ceux dont l'existence échappe au stress. Les données personnelles des répondants sont scrupuleusement tenues secrètes par Carol Ryff, psychologue et responsable de l'étude MIDUS pour l'université du Wisconsin à Madison.

    En revanche, Charles connaît très bien le profil général de ces individus : ce sont souvent des hommes âgés, non mariés, possédant un niveau d'éducation inférieur à celui des participants qui ont signalé au moins un facteur de stress quotidien au cours des huit jours de l'enquête. Ces étrangers au stress signalent également un nombre nettement inférieur d'activités quotidiennes par rapport au reste de l'échantillon, à l'exception de la télévision qu'ils regardent avec bien plus d'assiduité que ceux dont la vie est ponctuée d'expériences stressantes.

    Charles attire notre attention sur un détail particulièrement intéressant de son étude : en apparence, moins une personne aurait d'interactions sociales, moins elle serait stressée… mais la réalité est plus complexe. Parmi les activités quotidiennes recensées par l'étude MIDUS, les personnes non stressées ont déclaré consacrer moins d'heures que les personnes stressées aux activités qui impliquent généralement une interaction sociale : le travail, le volontariat et apporter ou recevoir un soutien émotionnel.

    Pourtant, comme le souligne Charles, le soutien émotionnel est un allié redoutable contre le stress. « Les autres sont souvent une source de stress dans notre vie quotidienne », déclare Charles en riant, avant d'ajouter : « Mais ils sont absolument nécessaires pour nous ; nous sommes des créatures sociales. »

    Il semble donc y avoir un juste milieu, une quantité idéale de soutien social bénéfique pour nos capacités cognitives avant que le temps consacré aux autres ne devienne sa propre source de stress. Le rôle des réseaux sociaux est un sujet qui n'a pas fini d'éveiller l'intérêt des chercheurs, tout comme de nombreux autres aspects du stress.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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