De plus en plus de parents donnent à leurs enfants des produits pour les aider à s'endormir

Si des traitements pour les troubles du sommeil peuvent être achetés sans ordonnance, ils ne sont pas pour autant sans danger. Cela pourrait par ailleurs être contre-productif, car "on signifie aux enfants qu’ils sont incapables de s’endormir seuls".

De Daryl Austin
Publication 6 févr. 2024, 12:09 CET
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Certains parents se tournent vers des aides au sommeil comme la mélatonine lorsque leurs enfants ont du mal à dormir. Cependant, mieux vaut peut-être ne pas courir ce risque.

PHOTOGRAPHIE DE Claire Picheyre, Hans Lucas, Redux

Si votre enfant lutte constamment à l’heure du coucher, vous réveille la nuit ou semble souvent éprouver des difficultés à s’endormir, il y a de fortes chances pour que vous ayez ne serait-ce que pensé à lui administrer un produit pour traiter les troubles du sommeil. S’il s’agit d’un sujet tabou pour certains parents, donner des médicaments ou des compléments alimentaires favorisant le sommeil à de jeunes enfants est une pratique peut-être plus courante que vous ne le croyez.

Selon un sondage YouGov réalisé en ligne auprès de 933 parents d’enfants de moins de 18 ans, près de la moitié des parents qui avaient des enfants souffrant de troubles de sommeil leur avaient déjà donné une aide au sommeil. L’utilisation de ces substances soporifiques chez les adultes est peut-être encore plus répandue : des données des Centres américains de contrôle et de prévention des maladies montrent que près d’un adulte sur cinq prend des médicaments pour dormir. En France, un rapport de Santé Publique France de 2014 soulignait que chez la population adulte ou adolescente, « les études menées depuis les années 1990 concord[aient] toutes pour situer la France comme l’un des pays les plus consommateurs de médicaments psychotropes, en particulier pour les classes des anxiolytiques et des hypnotiques », ou somnifères. Une tendance aggravée par les confinements lors de la pandémie de COVID-19, selon un rapport de l'Agence du médicament et de l'Assurance maladie, selon lequel la consommation de tranquillisants et de somnifères aurait à cette période augmenté de 5 à 8 %.

Ces aides au sommeil, vendues sous forme de médicaments ou de compléments alimentaires, agissent soit en augmentant les neurotransmetteurs ou modulateurs favorisant le sommeil dans le cerveau, soit en diminuant les neurotransmetteurs ou modulateurs qui déclenchent l’éveil, explique Argelinda Baroni, médecin et codirectrice du programme de sommeil pour enfants et adolescents à l’hôpital pour enfants Hassenfeld de NYU Langone.

« Un produit pour traiter les troubles du sommeil qui agit rapidement favorise l’endormissement », souligne Argelinda Baroni. « Un produit qui reste longtemps dans l’organisme aide à maintenir le sommeil ou à rester endormi. »

S’il existe des médicaments sur ordonnance pour les adultes, « il n’y a pas d’équivalents approuvés pour traiter l’insomnie chez les enfants », explique Judith Owens, médecin certifiée spécialiste de la médecine du sommeil et directrice du Centre des troubles du sommeil pédiatriques à l’hôpital pour enfants de Boston.

Pour ce qui est des aides au sommeil sans ordonnance, « il y a peu de preuves scientifiques justifiant leur utilisation chez les enfants », déclare Jennifer Martin, psychologue et professeure de médecine à l’université de Californie à Los Angeles. Ces aides peuvent même, paradoxalement, être source d’excitation, ajoute-t-elle.

Comme ces médicaments ne sont pas strictement réglementés, ils n’ont pas besoin de passer par des tests approfondis, tels que des essais cliniques, pour être commercialisés directement auprès des consommateurs. Les compléments alimentaires favorisant le sommeil peuvent s'avérer d'autant plus problématiques car ils sont encore moins réglementés et contiennent parfois des ingrédients non répertoriés. 

Parmi ces compléments, l’un des plus populaires est la mélatonine. « La mélatonine est considérée comme un complément alimentaire et n’est pas strictement réglementée par la FDA, l'administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments. Elle peut donc contenir des traces d’autres substances telles que du CBD et de la sérotonine », souligne Suzanne Beck, médecin spécialiste du sommeil et directrice médicale du centre du sommeil de l’hôpital pour enfants de Philadelphie.

Si les aides au sommeil peuvent s’avérer utiles, elles peuvent aussi entraîner une accoutumance et des effets secondaires inquiétants. Les spécialistes du sommeil mettent particulièrement en garde contre leur utilisation chez les enfants pendant des périodes prolongées, sauf avis contraire de leur médecin traitant.

 

LES TYPES D'AIDES AU SOMMEIL

Les aides au sommeil se répartissent généralement en trois catégories : les médicaments sans ordonnance que les consommateurs peuvent acheter directement en magasin d’alimentation ou en pharmacie, les médicaments sur ordonnance qui nécessitent l’autorisation d’un médecin, et les compléments alimentaires.

Les médicaments sans ordonnance comprennent la diphénhydramine utilisée dans le Benadryl, la cyclizine utilisée dans le Marezine, et la doxylamine utilisée dans l’Unisom. Chacun de ces médicaments est un antihistaminique sédatif, parfois appelé antihistaminique de première génération.

Bien qu’ils soient conçus pour bloquer les effets d’une substance chimique du corps appelée histamine (dans le but de prévenir les réactions allergiques telles que les démangeaisons, les éternuements et les nausées), les antihistaminiques de première génération se distinguent des autres antihistaminiques, car ils « traversent la barrière hémato-encéphalique » et peuvent également favoriser la somnolence, explique Ilene Rosen, médecin spécialiste du sommeil et professeure agrégée de médecine à l’école de médecine Perelman de l’Université de Pennsylvanie.

C’est pour cela que certains parents donnent des antihistaminiques de première génération à leurs enfants lorsqu’ils se trouvent « au pied du mur », explique Beck, par exemple quand un enfant n’arrive pas à dormir parce qu’il est malade, quand un enfant n’arrive pas à s’endormir plusieurs nuits d’affilée à cause d’un cauchemar récurrent, ou en cas de vol long-courrier.

Les médicaments délivrés sur ordonnance comprennent le zolpidem utilisé dans l’Ambien, l’eszopiclone utilisé dans le Lunesta et le zaléplon utilisé dans le Sonata. D’autres produits pharmaceutiques comme l’amitriptyline et la trazodone ont également des effets sédatifs, bien qu’ils ne soient pas approuvés par la FDA à cette fin. Aucun produit pour traiter les troubles du sommeil sur ordonnance n’est approuvé pour une utilisation chez les enfants.

Les aides les plus courantes recommandées par certains pédiatres sont les compléments alimentaires, disponibles au rayon santé de la plupart des magasins d’alimentation. Ils sont vendus sous forme de produits à mâcher, de gélules, de liquides ou de gommes et comprennent la valériane, le magnésium et la mélatonine, cette dernière étant la plus populaire et la plus étudiée des trois.

 

AVANTAGES DES AIDES AU SOMMEIL

Le principal avantage de ces substances est d’augmenter ou d’améliorer la qualité du sommeil. Cela peut aider à éviter des problèmes associés à un manque de sommeil, comme une incapacité à se concentrer à l’école et un risque accru d’obésité.

La mélatonine « peut aider les enfants à s’endormir lorsqu’elle est utilisée dans le cadre d'une routine de sommeil saine », soutient Beck. À faible dose, ce complément alimentaire « peut également préparer le terrain lorsqu’un enfant doit se coucher plus tôt que d’habitude », par exemple quand il doit s’adapter à un nouvel horaire d’école, ajoute-t-elle.

La mélatonine a fait l’objet d’études approfondies et s’est révélée sûre et efficace pour les enfants qui souffrent d’insomnie liée à des troubles du développement neurologique tels que le TDAH, l’autisme et l’épilepsie.

Bien que ces recherches soient encourageantes pour les parents d’enfants souffrant de ces troubles, « il n’y a pas suffisamment d’études pour défendre l’utilisation de la mélatonine chez les enfants qui ne souffrent pas de troubles neurologiques », prévient Owens.

 

INCONVÉNIENTS DES AIDES AU SOMMEIL

Si l’on ne saurait trop insister sur l’importance de dormir suffisamment la nuit, les aides au sommeil ne sont généralement pas recommandées comme solution à long terme pour les enfants comme les adultes, car elles peuvent devenir indissociables d'une routine de coucher et provoquer des réactions indésirables. En effet, il a été démontré qu’elles altéraient les facultés cognitives et qu’elles pouvaient provoquer un état de somnolence pendant la journée, ce qui accentuait le risque de chutes et donc de blessures.

« L’utilisation régulière d’un produit pour traiter les troubles du sommeil sans ordonnance peut avoir des effets secondaires involontaires », soutient Baroni. Il peut s’agir d’une sédation résiduelle, de maux de tête, d’une vision floue, d’une accélération du rythme cardiaque, d’une constipation ou de difficultés à uriner.

Il est également possible développer une tolérance à ces substances, ce qui les rend moins efficaces au fil du temps. Enfin, ces produits peuvent retarder les stratégies à long terme, qui sont à privilégier. « En donnant des aides au sommeil aux enfants, on leur fait comprendre qu’ils sont incapables de s’endormir seuls et on n’invite ni les parents ni les enfants à travailler sur des pratiques favorisant le sommeil, ce qui devrait être le traitement de première intention pour les troubles du sommeil chez la plupart des enfants », explique Baroni.

 

QUELLE DOSE CONSOMMER ?

L’absence de réglementation stricte peut compliquer le dosage des aides au sommeil.

Pour ce qui est des compléments alimentaires, une étude montre que des doses de 1 à 3 milligrammes de mélatonine sont appropriées pour les enfants qui pèsent moins de 40 kg, et qu’au-dessus, les enfants ne devraient pas en consommer plus de 5 milligrammes.

« La mélatonine est considérée comme assez sûre à des doses appropriées lorsqu’elle est utilisée pendant une courte période », explique Baroni. Le risque de dépendance augmente au fur et à mesure que l’enfant consomme ce genre de substances. « Nous constatons que l’utilisation d'aides au sommeil continue d’augmenter et que, souvent, les parents ne savent pas comment faire arrêter ces médicaments ou compléments à leurs enfants. »

Les aides au sommeil sans ordonnance doivent impérativement être administrées selon les instructions de la notice.

Unisom SleepTabs, par exemple, met en garde contre l’utilisation du produit chez les enfants de moins de 12 ans. Dans le cas du Benadryl, de nombreuses formes du médicament ne doivent jamais être administrées à des enfants de moins de six ans, quand les enfants de 6 à 12 ans ne peuvent en consommer qu’une capsule ou un comprimé. Toutefois, même dans ces tranches d’âge, il est préconisé de ne pas utiliser le produit « pour faire dormir un enfant ».

« Les médicaments comme le Benadryl ou l’Unisom peuvent être utilisés pour traiter un rhume ou des symptômes grippaux, mais ne doivent pas être utilisés en premier lieu comme sédatifs », déclare Bhanu Prakash Kolla, médecin et consultant au Centre de médecine du sommeil de la Clinique Mayo de Rochester, dans le Minnesota.

 

S’ATTAQUER AUX CAUSES PROFONDES

Bhanu Prakash Kolla précise que les aides au sommeil ne doivent être utilisées qu’en « dernier recours et sous la supervision d’un professionnel de santé », et que de nombreux problèmes de sommeil peuvent être résolus par des stratégies comportementales. Parmi elles, citons le fait de s’assurer que l’environnement de l’enfant est propice à un sommeil réparateur en baissant l’éclairage de la chambre, en maintenant une température ambiante idéale, en fournissant à l’enfant un objet réconfortant ou une couverture préférée pour dormir, et en diffusant un bruit blanc en continu si nécessaire.

Beck recommande « une routine courte et douce à l’heure du coucher, précédée d’activités calmes et relaxantes après le dîner. » Elle suggère également d’éviter tout appareil électronique dans la chambre à coucher afin de « permettre à la production naturelle de mélatonine de l’organisme d’agir et d'aider à l'endormissement ».

Bien entendu, il existe des troubles psychiatriques et des troubles du sommeil pour lesquels l’utilisation de diverses aides au sommeil ou d’une thérapie comportementale peut être recommandée pour certains enfants, mais ces troubles doivent être diagnostiqués et évalués par un spécialiste au cas par cas.

« La meilleure solution pour les enfants souffrant de troubles du sommeil est de consulter un professionnel de santé et de demander à être orienté vers un spécialiste du sommeil qui pourra s’attaquer à la cause sous-jacente de ces troubles », suggère Martin. « Tout comme les adultes, les enfants peuvent souffrir de troubles comme l’insomnie et l’apnée du sommeil. Un diagnostic et un traitement opportuns peuvent donc les aider à mieux réussir à l’école, à atténuer les problèmes de comportement et à s’épanouir. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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