Comment les superordinateurs ont ouvert la voie aux ordinateurs portables et aux chatbots
Des dimensions hors normes, des calculs militaires complexes et des milliers de tubes à vider, voilà qui donne une certaine idée de ce qu’étaient les premiers superordinateurs.

L’ingénieur Thomas Kite Sharpless fait une démonstration de l’EDVAC à l’Université de Pennsylvanie.
Dans les années 1940 et 1950, aux États-Unis principalement, on conçut des machines programmables capables d’effectuer des calculs et des opérations à une échelle jamais vue auparavant. Bien qu’immenses, elles furent les prototypes de nos petits ordinateurs personnels.
MARK I (1944)
En 1936, Howard Aiken, alors étudiant à l’Université Harvard, décida de créer un ordinateur programmable en s’inspirant du travail du mathématicien anglais du 19e siècle Charles Babbage. En 1939, Howard Aiken obtint un financement de la part d’IBM. Deux ans plus tard, la Navy rejoignit l’initiative dans l’idée d’utiliser la machine pour déterminer la trajectoire de projectiles à longue portée, un calcul hautement complexe. Le Mark I fut achevé en 1944 par une équipe d’hommes et de femmes et fut utilisé, entre autres choses, pour calculer la portée de l’implosion de la bombe atomique. Le Mark I avait des dimensions imposantes : l’appareil faisait près de 15 mètres de long, pesait cinq tonnes et comportait 750 000 composants. Les trois lecteurs de rubans perforés à l’arrière de la pièce servaient à l’introduction et à la collecte de données, entre autres choses. Howard Aiken, dans son uniforme de la Navy, examine ici un ruban.

Un homme devant un superordinateur analyse un long reçu.
ENIAC (1945)
En 1943, l’armée américaine finança un projet informatique mené par deux ingénieurs de l’Université de Pennsylvanie, John Mauchly et John Presper Eckert Jr. Le but était de créer une machine électronique plus rapide et plus fiable que le très mécanique Mark I. L’ENIAC (Electronic Numerical Integrator and Computer) occupait une pièce entière de quinze mètres par neuf et comportait quarante panneaux de plus de deux mètres de hauteur. L’ENIAC contenait plus de 17 000 tubes à vide régulant le circuit électrique bien plus rapidement et efficacement que les interrupteurs mécaniques du Mark I. L’ordinateur se programmait à l’aide de trois panneaux de commandes. Il pouvait effectuer 5 000 additions par seconde, tandis que le Mark I en effectuait moins de quatre. Présenté au public en février 1946 comme « le premier ordinateur électronique du monde », l’ENIAC fut utilisé par l’armée pour calculer la faisabilité d’un projet de bombe à hydrogène.

Deux hommes et deux femmes travaillent sur un superordinateur si grand qu'il semble remplir la pièce.
EDVAC (1949)
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, on manifesta un grand intérêt pour la création de l’« ordinateur universel » imaginé par le scientifique britannique Alan Turing. Le théoricien américain John von Neumann publia un article précurseur en 1946. Dans celui-ci, il souligna que l’ordinateur du futur fonctionnerait avec des programmes stockés dans la même mémoire que les données plutôt que d’utiliser un panneau électronique externe pour accomplir cette fonction.

Le théoricien américain John von Neumann à côté du directeur du directeur du projet Manhattan, Robert Oppenheimer (à gauche).
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, on manifesta un grand intérêt pour la création de l’« ordinateur universel » imaginé par le scientifique britannique Alan Turing. Le théoricien américain John von Neumann publia un article précurseur en 1946. Dans celui-ci, il souligna que l’ordinateur du futur fonctionnerait avec des programmes stockés dans la même mémoire que les données plutôt que d’utiliser un panneau électronique externe pour accomplir cette fonction.

L’ingénieur James H. Pomerene, pionnier de l’informatique, tient un tube à vide.
UNIVAC (1951)
L’armée utilisait l’EDVAC pour calculer des trajectoires balistiques, mais ses concepteurs étaient également intéressés par la création d’ordinateurs destinés à un usage civil. En 1946, John Eckert et John Mauchly remportèrent un contrat pour construire un ordinateur pour le Bureau du recensement américain qui devait remplacer les machines à tabuler utilisées depuis la fin du 19e siècle pour résumer les informations stockées sur les cartes perforées. Le duo rencontra des difficultés financières et leur entreprise fut rachetée par le fabricant de machines à écrire Remington, mais en 1951, ils présentèrent l’UNIVAC (Universal Automatic Computer). Dans ses circuits électroniques, l’UNIVAC avait également des lignes de délai à mercure pour sa mémoire, ce qui permettait de réduire le nombre de tubes à vide à 5 000.

La technicienne Joyce Cade effectue un ajustement de routine sur un ordinateur UNIVAC au Bureau du recensement américain.
Conséquence de leur réduction, l’ordinateur était plus petit, mais moins puissant. Il pouvait lire 7 200 chiffres décimaux par seconde. La photo ci-dessous montre comment on saisissait l’information à l’aide d’un clavier et d’une console. Les résultats étaient enregistrés sur une bande magnétique et non plus sur des cartes perforées, une innovation à laquelle les responsables de l’agence gouvernementale mirent du temps à s’habituer. L’information présente sur la bande magnétique était ensuite imprimée sur une rame continue de papier informatique.

Au Bureau du recensement américain, au centre de cette image (de l’arrière vers l’avant), le directeur adjoint A. Ross Echler, Maxine C. Warner et Clydia Beeps utilisent le panneau de commandes principal de l’UNIVAC.
IBM 650 (1954)
Le développement des ordinateurs menaça directement les affaires d’IBM, entreprise qui avait prospéré depuis le début du 20e siècle en fabriquant des machines fonctionnant avec des cartes perforées. La réaction d’IBM fut de concevoir son propre ordinateur. En 1954, les ingénieurs d’IBM présentèrent ce qui allait devenir le premier ordinateur commercial à rencontrer le succès. L’IBM 650 coûtait 500 000 dollars de l’époque (5,1 millions d’euros aujourd’hui), contre un million de dollars pour l’UNIVAC. En huit ans, on en vendit 1 800 unités. Cependant, l’IBM 650 était encore loin des ordinateurs modernes : il fonctionnait avec une mémoire à tambour magnétique et non avec un disque dur (qu’IBM n’introduirait qu’en 1956) ; il utilisait des tubes à vides au lieu de transistors (Bell Labs, concurrent d’IBM, transistorisa complètement un ordinateur en 1954 et IBM suivit l’exemple en 1959) ; et les programmes étaient enregistrés sur des cartes perforées lues à l’aide de machines à tabuler classiques.

La programmeuse Madeleine Carey en 1955 devant 60 000 cartes contenant le programme d’un système de défense aérienne utilisé sur un ordinateur d’IBM.
Donald Knuth, informaticien et mathématicien, salue IBM pour avoir contribué à l’enseignement de l’informatique à l’université : « IBM a donné cent ordinateurs “gratuits” dans les années 1950, à condition que des cours de programmation soient dispensés. »

Une femme utilise le panneau de contrôle de la console du système de traitement des données d’un IBM 650.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
