Slovénie : Cette grotte abrite une véritable « maison des dragons »

Les salamandres aquatiques peuplant cette caverne ont inspiré de nombreuses légendes et ont permis la mise en place d’initiatives de sauvegarde.

De Rebecca Toy
Publication 3 nov. 2022, 14:33 CET
Postojna Cave

La grotte de Postojna est l’une des principales attractions touristiques de Slovénie. Elle abrite des protées, de petites créatures aux faux airs de salamandre, que les habitants de la région prenaient autrefois pour des bébés dragons.

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Ces dix dernières années, grâce à des séries comme Game of Thrones et sa préquelle House of the Dragon, dont la première saison vient de s’achever, les dragons ont réussi à apprivoiser les téléspectateurs. Sous les collines calcaires de Postojna, en Slovénie, ces créatures fantastiques à longue queue sont toutefois bien réelles. Ici, des cavernes dans lesquelles coulent des rivières renferment des merveilles de vie résiliente. Au milieu des criquets, des millepattes et des scarabées, des bébés dragons règnent sur cette grotte qui serait la plus riche en biodiversité au monde.

Les salamandres aquatiques et presque translucides dont il est question, qu’on appelle protées anguillards (Proteus anguinus), possèdent des traits adaptatifs qui ne sont rien de moins que légendaires, même s’ils n’ont pas d’ailes et qu’ils ne crachent pas de feu. Principaux prédateurs de leur monde souterrain, ces amphibiens peuvent mesurer jusqu’à 30 centimètres, faire repousser leurs membres, vivre jusqu’à cent ans et passer une dizaine d’années sans manger. Des chercheurs étudient leur vaste code génétique pour savoir comment fonctionne ce processus de régénération et d’adaptation.

Le protée, salamandre aveugle des grottes slovènes, italiennes et albanaises, peut vivre jusqu’à cent ans.

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« Je ne trouverai rien qui ressemble plus à un dragon que ça », déclare Katarina Kanduč, biologiste à Postojna.

Pendant des siècles, en Slovénie, on a cru que ces protées sans yeux étaient les petits de dragons qui vivaient cachés. De nos jours encore, ils demeurent énigmatiques. À cause de données insuffisantes les concernant, l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) les a classés comme espèce « vulnérable » sur sa liste rouge. Les chercheurs ont également du mal à déterminer de manière fiable combien vivent sur leur minuscule territoire du Karst dinarique, plateau qui s’étend le long du littoral adriatique, du nord de l’Italie à l’Albanie.

Une chose est certaine : leur habitat aqueux est menacé par des polluants chimiques, en particulier par les engrais qui traversent cette roche particulièrement perméable et qui sont absorbés par ces animaux à la longévité légendaire. Le parc de la grotte de Postojna, grotte la plus visitée d’Europe, est un des meilleurs endroits pour découvrir les protées et pour contribuer à leur sauvegarde.

Chaque année, plus de 40 millions de personnes parcourent la grotte qui se situe à moins d’une heure de Ljubljana, la capitale. La plupart des visiteurs effectuent un circuit de 90 minutes qui les fait passer devant des stalagmites blanches et dans des cavernes illuminées par des chandeliers en verre de Murano et qui leur permet d’apercevoir des protées tout en découvrant les initiatives visant à les préserver.

Pour ceux ou celles qui veulent échapper à la foule et avoir un aperçu privilégié de ces bébés dragons dans leur habitat naturel, il existe une escapade en comité restreint et non invasive qui mène dans les profondeurs de la grotte. Mêlant exploration, cours d’histoire et jeu d’évasion, cette excursion de trois heures inclut également des descentes en rappel, du canotage et des activités spéléologiques avant d’arriver à l’endroit où vivent les protées.

Cette initiative de sauvegarde de l’environnement est nourrie par la fierté que la Slovénie tire de cet héritage souterrain et par la fascination que le pays entretient de longue date vis-à-vis des bêtes mythologiques. Et cela fonctionne. La ville de Postojna a récemment annoncé que trente petits protées étaient nés dans le complexe de recherche de la grotte ; un taux de survie qui bat tous les records.

 

DES DRAGONS EN SLOVÉNIE

Les dragons nourrissent depuis bien longtemps les légendes et la littérature. Mais la Slovénie porte son amour pour ces bêtes au museau terrifiant à un tout autre niveau. Les dragons sont partout. Ils rugissent sur un pont emblématique de Ljubljana, sont frappés sur les bouches d’égout et sont présents sur des fresques urbaines. Cette adoration paraît tout sauf insensée dans cette région karstique qui tire son nom de sa géologie particulière et où, pendant des siècles, on a cru que des dragons vivaient dans les dolines, les grottes et les profondeurs obscures qui y sont légion.

Autrefois, les habitants de Postojna croyaient que la brume chaude qui jaillissaient de la grotte en hiver était due à la respiration d’une créature géante. (C’est en réalité dû à la stabilité de la température interne de la grotte). Quand les rivières de la grotte entraient en crue, d’étranges salamandres noyées en étaient éjectées. Pour les habitants, ces bébés dragons étaient la preuve qu’un parent bien plus imposant vivait tapi à l’intérieur.

« Les grottes étaient des portails vers d’autres mondes, dangereux et obscurs », explique Kevin Klun Valenčič, guide touristique à Postojna. « Vous deviez aller au-devant de votre peur dans ces souterrains et affronter celle-ci comme s’il s’agissait d’occire un dragon. »

 

UNE EXCURSION SPÉLÉOLOGIQUE POUR VOIR CES DRAGONS

À la lueur des lampes, ce bébé dragon d’environ 30 centimètres brille à s’y méprendre comme un néon. Il nage dans l’eau translucide de la rivière souterraine puis se précipite sous un affleurement rocheux. C’est beaucoup d’agitation pour cette créature relativement inerte. Une agitation dont notre petit groupe n’a pu être témoin qu’après avoir marché, être descendu en rappel et avoir navigué sur un chemin bien pensé dans des tunnels historiques où l’eau n’est jamais vraiment loin. Selon Kevin Klun Valenčič, les personnes prenant part à cette excursion aperçoivent au moins l’importante population de protées qui vit dans la partie basse de la rivière, bien qu’il n’y ait aucune garantie avec cet animal furtif.

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    Bien souvent, les embryons de protées ne parviennent pas à éclore. Mais la grotte de Postojna observe depuis peu une recrudescence du nombre de naissances de ces salamandres.

    PHOTOGRAPHIE DE PHOTOGRAPHIE D’ALEX HYDE, NATURE PICTURE LIBRARY / ALAMY STOCK PHOTOS, Nature Picture Library, Alamy Stock Photos
    Droite: Fond:

    Bien les protées n’aient pas d’yeux, ils ont un odorat et une ouïe particulièrement développés qui leur permettent de dénicher des insectes et d’autres proies.

    PHOTOGRAPHIE DE PHOTOGRAPHIE DE LUKA DAKSKOBLER, XINHUA / ALAMY STOCK PHOTO, Xinhua, Alamy Stock Photos

    Selon les estimations des chercheurs, dans la nature, seuls deux œufs de protée sur 500 éclosent. À Postojna, au moins trente œufs sur quarante-trois recensés ont éclos, soit deux fois plus qu’en 2016. Cela confirme que les attentions délicates de l’équipe de Postojna changent la donne, alors même que celle-ci travaille dans une obscurité aussi métaphorique que littérale. « Personne n’a jamais fait ça, affirme Katarina Kanduč. Ce n’est pas vraiment quelque chose que l’on peut apprendre sur Google. »

    Pour la seconde fois depuis 2016, les protées de l’aire de recherche de Postojna ont offert des œufs aux scientifiques.

    Leur travail leur a valu une place de finaliste lors de l’édition 2022 du prestigieux Prix de la conservation « Natura 2000 » décerné par l’Union européenne.

    Quand il n’est pas dans son laboratoire, Kevin Klun Valenčič aime à s’éloigner de tout cela et aller animer des excursions dans la grotte ; glisser au bas de collines boueuses, s’accroupir pour ramasser des crevettes et apprécier des moments de silence dans le noir complet.

    Comme le dit Primož Gnezda, un des autres chercheurs de l’équipe, « tout le monde veut voir un dragon ».

    Rebecca Toy vit à Kansas City. Elle est journaliste et écrit sur les voyages, l’Histoire et la culture. Suivez-la sur Instagram et Twitter.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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