"Les dents de la mer" a changé à jamais le quotidien de cette île du Massachusetts

Cinquante ans après la sortie du film entré dans les annales du cinéma, les habitants de cette île se remémorent l’époque où Hollywood est venu dans leur ville.

De Paul Schrodt
Publication 22 juin 2025, 11:56 CEST
Le réalisateur Steven Spielberg sur le tournage des Dents de la mer.

Le réalisateur Steven Spielberg sur le tournage des Dents de la mer.

PHOTOGRAPHIE DE of Universal Studios Licensing LLC

Le film Les dents de la mer n'a pas seulement marqué l’histoire du cinéma. Ce blockbuster a aussi transformé l'histoire Martha’s Vineyard. Bien avant que les Clinton, Obama, Oprah ou Larry David ne s’y installent, faisant de l’île la destination la plus en vue pour les résidences secondaires de la côte Est, ce paisible bout de la Nouvelle-Angleterre était tout le contraire d’Hollywood. En réalité, avant que Steven Spielberg et son équipe n’y posent leurs caméras, le dernier tournage sur l’île remontait à l’époque du cinéma muet.

« Les Dents de la mer semblait remettre l'île sur la carte », explique Bow Van Riper, bibliothécaire de recherche au Martha’s Vineyard Museum. « C’est ce qui a vraiment déclenché l’arrivée du monde entier sur l’île. Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir des voitures de tous les États américains en été, et des visiteurs du monde entier planifient un véritable pèlerinage pour venir voir Amity en vrai. »

Les habitants et les touristes profitent de l’été pour plonger depuis le « pont des Dents ...

Les habitants et les touristes profitent de l’été pour plonger depuis le « pont des Dents de la mer » à Martha’s Vineyard, une passerelle en bois reliant les villes d’Edgartown et d’Oak Bluffs, rendue célèbre par le film.

PHOTOGRAPHIE DE Matt Cosby, The New York Times, Redux

À l’occasion du cinquantième anniversaire du film, qui a été présenté en avant-première en juin 1975, nous avons rencontré des habitants actuels et anciens pour évoquer l’impact considérable qu’il a eu sur son lieu de tournage. Et comment, en retour, Martha’s Vineyard a contribué à façonner l’un des plus grands succès du box-office.

Il y a le maître de port qui a dirigé vingt bateaux pour Universal Pictures, l’enfant acteur local qui a (fictivement) perdu la vie face au grand requin blanc, une figurante nageuse, et le shérif adjoint Hendricks lui-même, interprété par Jeffrey Kramer. Tous partagent leurs souvenirs de ce tournage hors du commun. Ils livrent aussi leur regard sur la frénésie touristique qui s’en est suivie.

 

Jeffrey Kramer

Shérif adjoint dans "Les dents de la mer"

« Mes grands-parents sont venus ici il y a très, très longtemps, au début des années 1900. Nous avons été les premiers Juifs de la Vineyard. Quand l'équipe du film est arrivé en ville, c’était un véritable événement, mais personne ne savait vraiment quoi en penser. J’ai demandé à mon agent d’appeler [la directrice de casting] Shari Rhodes, et nous sommes devenues de grandes amies. Elle était si intelligente, si adorable. C’est elle qui a engagé tous les gens [du coin], et cela a tout changé. Parce qu’ils étaient vrais.

Le premier jour du tournage principal, c’était la scène où je trouve une main sur la plage. J’étais tellement nerveuse que j’aurais probablement pu vomir.

[Les réalisateurs] m’ajoutaient souvent à des scènes parce que le [requin mécanique], [nommé Bruce], ne fonctionnait pas. Mais on n’avait pas le choix, il fallait continuer à essayer de tourner quelque chose. Ils ont été magistraux pour maintenir la production à flot. Quel effort ça a été ! Les rumeurs disaient qu’ils allaient abandonner. Que ça ne marcherait jamais. Qu’ils allaient simplement encaisser les pertes et dire stop. Mais c’était une tempête créative parfaite. La musique, le montage... tout s’est assemblé. On ne pouvait pas le voir à l’époque, mais Les dents de la mer a transformé la manière de faire des films. C’était une invasion hollywoodienne qui a marché. »

 

Jean Wong

Directrice marketing au Harbor View Hotel

« [Il y a eu] une légendaire bataille de nourriture entre membres de l’équipe dans ce qui est aujourd’hui le restaurant Bettini de l’hôtel Harbor View. Entre la météo, les problèmes constants avec le requin mécanique et les longues journées de tournage, les nerfs étaient à vif. Cette bataille de nourriture a servi d’exutoire. Un moment chaotique et absurde qui a permis de relâcher la pression. Ce n’était pas prévu, mais c’est désormais inscrit dans le folklore de l’hôtel, une de ces anecdotes typiques de Martha’s Vineyard. »

 

Bow Van Riper

Bibliothécaire-chercheur au Martha's Vineyard Museum

« J’étais sur la plage en train de les regarder [filmer] quand l’assistant réalisateur a dit : “On a besoin de 100 personnes courageuses pour aller dans l’eau.” Alors mon ami et moi, on est entrés dans l’eau. On se retrouvait là, dans de l’eau un peu au-dessus de la taille, à faire semblant de nager dans de l’eau bien plus profonde. On l’a fait, puis on l’a refait encore et encore. L’eau était vraiment froide. À la fin, on a compris pourquoi il avait parlé de 100 personnes courageuses. »

 

Charlie Blair

Ancien maître de port d’Edgartown, Massachusetts

« L’équipe du film a laissé tomber les opérations sur l’eau parce qu’ils n’avaient personne qui savait s’en occuper. Ils ont démoli quelques bateaux et perdu pas mal de matériel, y compris une caméra. On a rencontré les responsables ce soir-là, et ils m’ont recruté pour gérer tous les petits bateaux. J’ai fini par travailler vingt heures à vingt-deux heures par jour pour Universal. Ces gens-là ne connaissaient rien à la mer. Absolument rien. Ils ne savaient rien des courants ou des marées. Je supervisais vingt bateaux. Chaque jour, quelqu’un démolissait ou coulait un bateau. Ils n’avaient aucune idée de ce qu’ils faisaient.

J’escortais [l’acteur Robert Shaw] hors de la plage chaque matin, dans l’obscurité totale. [Il prenait] une petite rasade de Wild Turkey pendant qu’on avançait lentement vers le quai. Son maquilleur préparait des martinis dans un shaker en argent massif. À l’heure du petit déjeuner, il était déjà en pleine forme. Tout le mérite lui revient : il n’a jamais oublié une seule réplique. »

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    PHOTOGRAPHIE DE Diltz, © Universal Pictures, Bridgeman Images

    Jeffrey Voorhees

    Alex Kintner dans Les Dents de la mer et ancien gérant du Wharf Pub

    « Quelques mois avant le tournage, ma famille a déménagé sur l’île. J’avais douze ans, et [les producteurs] ont dit qu’ils nous paieraient 40 dollars par jour pour être figurants. [Mes copains et moi] on s’est tous dit : “Allons-y.” On est allés dans cet hôtel et ils ont rappelé quelques personnes et dit : “Toi, tu auras un rôle avec dialogue.” Spielberg [m’a dit] qu’il y avait un tonneau rempli de faux sang [pour la scène où Alex Kintner se fait dévorer par le requin], mais la première fois qu’on a essayé de filmer, il a dit : “Non, ton bras est ressorti un peu de l’eau.” Il a fallu sept ou huit heures pour que le sang se dissipe et qu’on puisse recommencer. Au cinquième jour, Spielberg a fini par dire : “Ça prend trop de temps. Cette fois, quand le truc explose, il y a deux gars en combinaison dans l’eau. Chacun va t’attraper une jambe et te tirer sous l’eau plusieurs fois.”

    Aujourd’hui, il y a des tours Les dents de la mer tout le temps ici. Pendant des années, [quand je gérais] le Wharf Pub, je me cachais un peu de mon rôle dans le film, jusqu’à ce que je commence à faire des séances de dédicaces. Il y a des fans de Dents de la mer complètement dingues. Une fois, une fille m'a demandé : “Est-ce que tu peux signer n’importe où ?” Et elle commence à relever son t-shirt avant d'être arrêté par la sécurité. Du coup, j’ai signé sa clavicule, et elle s’est fait tatouer ma signature. Ça rend certaines personnes vraiment heureuses. Ce matin encore, j’ai fait un Cameo [une appli pour des vidéos personnalisées de célébrités, ndlr] à 40 dollars. L’année dernière, j’ai reçu une demande très bizarre d’un type qui disait : “Notre père était un grand fan des Dents de la mer, mais il est mort en regardant le film sur le canapé.” Alors j’ai pris mon téléphone pour leur dire : “Vous savez, votre père et moi avons un petit truc en commun. Il est mort en me regardant mourir.” »

     

    Erica Ashton

    Directrice exécutive de la Chambre de commerce de Martha’s Vineyard

    « Les Dents de la mer et Martha’s Vineyard seront toujours indissociables. Le film a capturé non seulement le suspense de la mer, mais aussi l’âme de cet endroit : ses ports, ses habitants, son caractère. Martha’s Vineyard n’a pas seulement accueilli le tournage. Nous l’avons en partie façonné, et il nous a façonnés en retour. Ce film a aussi poussé notre petite communauté à voir les requins différemment. Je pense que c’est l’un des regrets de Steven Spielberg, car les requins sont magnifiques. Ce sont des prédateurs, bien sûr, mais ces eaux sont les leurs. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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