Japon : comment le Kabuki et le Nô évoluent avec leur temps

Les artistes repoussent les limites de ces formes théâtrales japonaises en mélangeant traditions centenaires, technologies innovantes et mangas populaires.

De Christina Liao
Publication 15 nov. 2023, 18:26 CET
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Des acteurs se préparent à Tokyo, Japon, pour une représentation de Nô, forme de théâtre musical datant du 14e siècle mettant en scène des acteurs masqués.

PHOTOGRAPHIE DE Lucas Vallecillos, VWPics, Redux

Dans le Nô, des personnages masqués vêtus de robes aux riches détails racontent en chanson l'amour, le deuil, les fantômes et les dieux. Cette forme d'art ancienne est née au 14e  siècle, ce qui en fait l'un des genres théâtraux traditionnels les plus anciens encore pratiqués. Malgré son ancienneté et son influence sur d'autres formes d'art, dont le Kabuki, le Nô demeure relativement moins connu. 

Les mouvements et les gestes des troupes de Nô sont précis et délibérés. Les acteurs évoquent des émotions par de légers mouvements de tête puisque leurs masques cachent toute expression humaine. Aux spectateurs d'user de leur imagination pour combler l'implicite. 

De son côté, « le théâtre Kabuki  a une vocation plus commerciale, il est donc important qu'il soit spectaculaire », explique Tove Björk, professeure de littérature japonaise moderne à l'Université de Saitama. En mêlant narration dynamique, maquillages et musiques extravagants à des attitudes dramatiques, le Kabuki, haut en couleur, a rapidement su piquer l'intérêt des étrangers. 

Un élève se prépare en coulisse pour une représentation de Kabuki le 9 février 2020 à l'école élémentaire de Damine, village du centre du Japon.

PHOTOGRAPHIE DE Noriko Hayashi, The New York Times, Redux

Bien que le Nô et le Kabuki soient tous deux ancrés dans des traditions centenaires, leurs limites sont repoussées par des innovations telles que la réalité étendue (XR), les spectacles immersifs et les adaptations de dessins animés et de mangas populaires. 

 

LA NAISSANCE DU THÉÂTRE JAPONAIS

Pour Julia Yamane, directrice de l'agence Discover Noh in Kyoto, « le Nô est une forme d'art originelle dans laquelle puisent les artises ». On retrouve effectivement les flûtes et les tambours du Nô dans les fêtes japonaises connues comme Gion Matsuri. Le créateur de mode japonais Issey Miyake s'est inspiré du Nô pour introduire des vêtements larges dans sa collection de prêt-à-porter du Printemps 1995. Les fans de James Bond se rappellent peut-être, plus récemment, du personnage de Lyutsifer Safin dans Mourir peut attendre, interprété par Rami Malek, arborant un masque de style Nô.

Le Nô trouve ses origines dans le sangaku, venu de Chine au 8e siècle. Il s'agit d'un ensemble de performances variées comme l'acrobatie, la magie et la musique. Avec le temps, le sangaku a pris la forme de comédies portant le nom de sarugaku. Alors que cet art gagnait en popularité au 14e siècle, Kan’ami Kiyotsugu, secondé de son fils, menait une troupe éminente de sarugaku et a préparé le terrain pour la création du Nô. En prenant au dengaku ses éléments chantés et dansés et au kyōgen ses comédies parlées, une combinaison dichotomique est née : le Nôgaku. Peu après, Kiyotsugu a créé l'école Kanze, l'une des plus anciennes des cinq principales écoles de théâtre Nô.  

Les voyageurs peuvent profiter de représentations quotidiennes dans le quartier animé de Ginza de Tokyo, au théâtre Nô de l'école Kanze. Pour les néophytes, les pièces peuvent sembler relativement statiques, tant d'un point de vue du jeu des acteurs que scénographique. Contrairement au Kabuki, elles représentent une esthétique de l'austérité et de l'élégance. Dans les premières représentations de Kabuki, au début du 17e siècle, on retrouvait des instruments du Nô dans leur forme la plus ancienne « combinés avec des danses provocatrices dans lesquelles les acteurs étaient travestis », explique T. Björk. « Les textes Nô [sont également devenus] une source d'inspiration pour les dramaturges [Kabuki]. »  

 

L'ÉVOLUTION DU NÔ ET DU KABUKI

L'innovation est inhérente au Kabuki. Selon T. Björk, cet art « a toujours adopté les plus hauts niveaux de technologie et a su s'adapter dans l'objectif d'émerveiller le plus grand nombre ». Ces dernières années, les théâtres Kabuki ont inclu dans leurs représentations des projections cartographiques et immersives, notamment des œuvres du phénomène de réalité virtuelle Hatsune Miku. Pendant la pandémie de Covid-19, une application de réalité augmentée a été créée pour permettre de profiter du Kabuki depuis chez soi. Les théâtres Kabuki ont également pu toucher une audience plus large en adaptant des fictions tirées d'autres formes d'art comme les films de Charlie Chaplin ou des mangas comme One Piece et Naruto

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    Une femme japonaise fabrique un masque de Nô en bois. Il existe au moins soixante types différents de masques permettant d'exprimer la joie, la tristesse ou la colère selon les mouvements de tête des acteurs. 

    PHOTOGRAPHIE DE xpacifica, Nat Geo Image Collection

    Le Nô a mis plus de temps que le Kabuki à intégrer la technologie. Cependant, Diego Pellecchia, professeur associé à l'Université de Kyoto Sangyo et acteur de Nô, explique que les récents spectacles de réalité virtuelle et adaptations de mangas comme le populaire Demon Slayer: Kimetsu no Yaiba en 2022, dont les représentations ont eu lieu au théâtre de Nô Otsuki ainsi qu'à Tokyo, au théâtre Nô de l'école Kanze, sont le signe d'efforts visant à donner un nouveau souffle au Nô sans trop s'éloigner des traditions. « Seul le temps nous dira si le Nô aura su garder son essence, pris une autre forme ou s'il sera devenu un sujet de musées », affirme D. Pellecchia. 

     

    ASSISTER À DES PIÈCES DE NÔ ET DE KABUKI

    Plusieurs théâtres, partout au Japon, proposent d'assister à des représentations publiques de Nô et de Nôgaku. Le théâtre national du Nô accueille régulièrement des spectacles dans une salle semblable à un temple contenant 591 sièges en bois de cyprès.

    À Kyoto, l'ancienne capitale, de nombreuses salles permettent d'assister à ces performances, dont le Kyoto Kanze Kaikan. Le site GetYourGuide propose aux voyageurs de participer à une expérience rare : rencontrer un acteur de Nô de la troisième génération sur la scène de sa maison. Les participants assisteront à une performance privée avec des vêtements et des masques datant d'il y a des centaines d'années et auront l'opportunité d'essayer certains des mouvements méthodiques et rythmiques du Nô avec un maître. 

    Le Théâtre national de Tokyo et le théâtre Kabuki-za, inauguré en 1889, proposent de découvrir la forme d'art hautement stylisée du Kabuki. Les représentations sont généralement longues, jusqu'à quatre heures, mais certains tickets permettent d'assister à un acte seulement et de profiter d'une demi-heure à une heure de spectacle.

    Pour des visites sur mesure et des présentations avant les pièces, le service de conciergerie de luxe Taro, donne accès à des théâtres de Nô privés et des représentations guidées de Kabuki en présence de personnalités éminentes comme Kikunosuke Onoe.

    Christina Liao est une rédactrice indépendante basée à Charlotte, en Caroline du Nord. Suivez-la sur ​Instagram. Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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