Le calvaire de cet éléphant a déclenché une vague d'indignation internationale

Après la publication par National Geographic d'une photographie de Gluay Hom, un jeune éléphant blessé en Thaïlande, les lecteurs scandalisés se sont mobilisés pour lancer un appel au secours. Nous revenons aujourd'hui sur son état de santé.

De Natasha Daly
Ici photographié en juin 2019 au Samut Prakarn Crocodile Farm and Zoo en périphérie de Bangkok, ...
Ici photographié en juin 2019 au Samut Prakarn Crocodile Farm and Zoo en périphérie de Bangkok, Gluay Hom est aujourd'hui âgé de cinq ans. Ses pattes enflées ont guéri et il n'a plus de plaie ouverte. Il reste toutefois enchaîné sous le stade où il exécute ses numéros et sa condition physique reste un problème, selon les experts du bien-être animal qui lui ont rendu visite.
PHOTOGRAPHIE DE Tom Taylor, Avec l'aimable autorisation de Wildlife Friends Foundation Thailand

En juin 2018, derrière un stade de la banlieue de Bangkok, en Thaïlande, je me tenais devant un jeune éléphant enchaîné à un poteau. Sa patte était enflée et bizarrement courbée. Il avait une plaie sanguinolente au niveau de la tempe à force de s'allonger sur un sol dur, et il ne parvenait pas à fixer son regard.

Son nom : Gluay Hom. Cet éléphant retenu au Samut Prakarn Crocodile Farm and Zoo était alors âgé de quatre ans et son état ne lui permettait plus d'assurer ses représentations dans le spectacle organisé quotidiennement par l'établissement. À cette date, Kirsten Luce et moi-même étions en Thaïlande depuis un mois dans le cadre d'un reportage sur la réalité alarmante du tourisme animalier. Nous avions vu des centaines d'éléphants enchaînés dans des camps ou des enclos à travers tout le pays.

Gluay Hom était le plus mal en point. Nous l'avons intégré à notre grande enquête sur le tourisme animalier.

Immersion dans l'univers cruel du tourisme animalier.

Après la mise en ligne de notre reportage au mois de mai, nous avons reçu une quantité phénoménale d'e-mails, de messages et de publications sur les réseaux sociaux demandant des nouvelles de Gluay Hom, désormais âgé de cinq ans. Nombreux étaient ceux qui se demandaient pourquoi il n'avait pas encore été secouru. D'autres parlaient de mettre en place un financement participatif afin de le racheter à son propriétaire. Les gens voulaient savoir si son calvaire avait pris fin.

Pour résumer, Gluay Hom va en quelque sorte mieux, selon les experts du bien-être animal qui lui ont rendu visite. Ses pattes enflées ont guéri et il n'a plus de plaie ouverte. Il reste toutefois enchaîné au même endroit sous le stade. Il est toujours très maigre. Il n'y a aucun moyen de lui venir en aide à moins que l'établissement ne le libère, le revende ou qu'il soit saisi par les autorités.

Le propriétaire du zoo, Uthen Youngprapakorn, n'a pas répondu à nos demandes concernant l'état de santé actuel de Gluay Hom. Nous ne savons pas si Gluay Hom appartient personnellement à Youngprapakorn ou au zoo en tant qu'entité juridique. Cependant, lors de notre visite de l'année dernière, il déclarait que le simple fait que les animaux ne soient pas morts démontrait que l'établissement les traitait correctement.

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    Des vétérinaires du Department of Livestock (en français, ministère de l'élevage, ndlr) de Thaïlande prélèvent des échantillons de sang de Gluay Hom pendant que des employés du zoo le maintiennent en place, lors d'une visite en avril 2019. Les résultats de tests sanguins antérieurs avaient révélé la présence de parasites dans le sang de Gluay Hom, il a aujourd'hui été soigné.
    Avec l'aimable autorisation de Wildlife Friends Foundation Thailand

     

    CONTRÔLE GOUVERNEMENTAL

    Depuis juin dernier, les autorités du Department of Livestock de Thaïlande dont la juridiction couvre les questions liées aux éléphants en captivité, ont réalisé une série d'inspections du zoo de Samut Prakarn. Pour cela, ils ont sollicité l'aide d'Edwin Wiek, fondateur de Wildlife Friends Foundation Thailand, une organisation à but non lucratif axée sur la sauvegarde et la réhabilitation des animaux. Wiek et son équipe avaient déjà rendu visite à Gluay Hom et aux autres animaux du zoo de Samut Prakarn après que nous les ayons avertis de la situation en juin 2018. Wiek rapporte que son équipe avait trouvé les animaux dans un état « déplorable. »

    L'année dernière, toujours au moins de juin, des vétérinaires avaient prélevé des échantillons de sang de Gluay Hom et les tests avaient révélé la présence de parasites, pour lesquels l'éléphant a reçu un traitement. En décembre, les autorités du Department of Livestock et du Department of National Parks, Wildlife and Plant Conservation, responsable du contrôle des zoos, avaient ordonné à l'établissement d'arrêter d'utiliser deux éléphants émaciés dans leurs spectacles et de changer leur régime afin de leur faire reprendre du poids. À l'époque, Gluay Hom n'apparaissait pas dans ces représentations.

    Le quotidien Bangkok Post rapportait dans un article que les responsables dépêchés par le gouvernement « n'avaient relevé aucun problème au niveau des aspects physiques du zoo, mais qu'ils avaient recommandé à l'administration d'ajouter des activités et des outils permettant d'améliorer la vie des animaux dans leurs cages. »

    L'intervention des autorités s'est arrêtée là, indique Wiek. Le Department of Livestock et le Départment des parcs nationaux n'ont pas souhaité commenté la situation mais selon Wiek, les autorités gouvernementales n'ont pas officiellement reconnu de violations du bien-être animal au zoo de Samut Prakarn.

    Le 2 juin 2019, l'équipe de Wiek a de nouveau rendu visite à Gluay Hom et aux autres animaux. À l'exception de Gluay Hom, tous les autres éléphants ont repris leurs numéros. Wiek indique que dans l'ensemble, les conditions n'ont pas changé. La semaine dernière, le journal Phuket News publiait de nouvelles images sur lesquelles on distingue clairement les blessures infligées aux éléphants.

    Quoi qu'il en soit, le sauvetage de Gluay Hom reste un projet irréaliste. La loi thaïlandaise sur le travail des animaux de 1939 considère les éléphants domestiques comme une propriété, tout comme les autres animaux forcés au travail comme les chevaux et les ânes. Les 3 800 éléphants en captivité en Thaïlande peuvent être légalement détenus par des particuliers ou des entreprises, et utilisés comme bon leur semble.

    Cette loi, sur laquelle repose la façon dont sont traités les éléphants en captivité, ne protège pas leur bien-être, explique Wiek.

    « Nous ne pouvons pas nous appuyer sur la loi pour aider concrètement ces éléphants, » indique Wiek, qui est également conseiller honoraire au comité parlementaire sur les ressources naturelles et l'environnement. « Gluay Hom est un très bon exemple d'animal vivant dans d'horribles conditions qui devrait être saisi par les autorités. » Il existe en Thaïlande une loi sur sur le bien-être des animaux et la prévention de la cruauté, mais selon Wiek, elle est appliquée de façon irrégulière pour les éléphants en captivité.

     

    UN SECTEUR FLORISSANT

    Les éléphants sont la pierre angulaire du tourisme en Thaïlande. La majorité des 3 800 éléphants en captivité du pays travaillent dans des camps et exécutent des numéros ou interagissent avec les touristes. La Tourism Authority of Thailand (TAT), l'agence gouvernementale responsable de la promotion du tourisme en Thaïlande, n'hésite pas à promouvoir les balades à dos d'éléphants et les baignades avec ces animaux sur son propre site Web.

    Il y a encore quelques jours, le 13 juin, Samut Prakarn Crocodile Farm and Zoo figurait parmi les attractions recommandées sur le site Web de la TAT. Ce jour-là, National Geographic a envoyé un e-mail à la TAT pour recueillir leurs commentaires sur ce point, la page a été supprimée dans la foulée. L'agence n'a pas souhaité répondre à nos questions sur la recommandation de Samut Prakarn ou sur la suppression de la page.

    Le secteur de l'élevage des éléphants est hautement lucratif en Thaïlande : la revente d'un jeune éléphant élevé en captivité peut atteindre 22 000 $ (soit 19 500 €) selon les chiffres communiqués par l'agence gouvernementale Thai Elephant Conservation Center (TECC), responsable de l'élevage et du dressage des éléphants. Selon Wiek, le prix de ces animaux dépasse les 50 000 $ (45 000 €). L'importation illégale d'animaux capturés dans la nature et  destinés au secteur du tourisme était une pratique très répandue jusqu'en 2012 d'après un rapport de TRAFFIC, une organisation de surveillance du commerce des espèces sauvages. Dans d'autres régions du pays, comme Ban Ta Klang, également connu sous le nom d'Elephant Village, le gouvernement subventionne le tourisme lié aux éléphants et offre un revenu mensuel aux dresseurs dont les éléphants sont capables de réaliser trois numéros et participent activement à des spectacles locaux.

    Ici photographié en juin 2019 au Samut Prakan Crocodile Farm and Zoo en périphérie de Bangkok, Gluay Hom est aujourd'hui âgé de cinq ans. Ses pattes enflées ont guéri et il n'a plus de plaie ouverte. Il reste toutefois enchaîné sous le stade où il exécute ses numéros et sa condition physique reste un problème, selon les experts du bien-être animal qui lui ont rendu visite. Photographie tirée de l'article "Le calvaire de cet éléphant a déclenché une vague d'indignation internationale" publié en juin 2019.
    PHOTOGRAPHIE DE Kirsten Luce

     

    UNE INTERVENTION INADAPTÉE

    Le cas de Gluay Hom n'est pas unique parmi les éléphants captifs en Thaïlande. Au zoo de Phuket, un jeune éléphant émacié était au centre de toutes les attentions dans les médias thaïlandais et internationaux en avril après la publication par des activistes animaliers d'une vidéo montrant son corps squelettique. Officiellement baptisé Ping Pong mais également connu sous les noms de Jumbo, Dumbo ou Dodo dans la presse et pour le grand public, cet éléphant a fait l'objet d'une pétition ayant recueilli plus de 200 000 signataires qui demandait à ce qu'il soit transféré dans un sanctuaire.

    En réponse à cette levée publique de boucliers, les autorités du Department of Livestock de la province de Phuket se sont rendus dans l'établissement en avril. Comme ils avaient pu le faire à la suite du reportage de National Geographic sur Gluay Hom, ces représentants ont reconnu que l'éléphant était malade et ont ordonné au zoo de Phuket de ne pas l'inclure dans les représentations tant que son état de santé ne s'était pas amélioré. L'un de ces agents a déclaré au journal local The Phuket News que malgré son poids, l'éléphant était correctement hébergé, nourri et abreuvé.

    Le 20 avril, Ping Pong est mort. Son corps était devenu si faible que ses deux pattes arrière ont fini par casser alors qu'il luttait pour s'extirper d'une marre de boue, a révélé le gérant du zoo aux médias locaux. Cet incident est survenu quatre jour avant qu'il soit envoyé à l'hôpital où il a rendu son dernier souffle. Il était âgé de trois ans.

     

    UN AVENIR INCERTAIN

    Le futur de Gluay Hom dans l'industrie touristique est incertain. Wiek nous informe que la différence de valeur entre les mâles et les femelles atteint plusieurs dizaines de milliers de dollars, parce qu'ils sont difficiles à contrôler et onéreux à entretenir. Chez les éléphants, l'âge de la maturité peut varier grandement mais elle arrive généralement entre 20 et 40 ans. À ce stade débute chez les éléphants mâles un cycle hormonal appelé musth au cours duquel ses niveaux de testostérone grimpent en flèche et son agressivité envers l'Homme s'exacerbe.

    L'envergure de la réponse publique face au reportage de National Geographic sur Gluay Hom permet de faire pression sur le gouvernement thaïlandais pour qu'il saisisse l'animal, affirme Wiek. Il espère également que cet événement poussera la Thaïlande à adopter une loi introduisant des normes de bien-être pour les animaux dans les zoos.

    Wiek serait heureux de pouvoir accueillir Gluay Hom dans le refuge pour éléphants de son organisme Wildlife Friends Foundation mais pour lui, le fait de racheter l'éléphant à son propriétaire permettrait à ce dernier d'en acheter un nouveau, et cela ne ferait que perpétuer le cycle.

    « Le propriétaire ne devrait pas être récompensé financièrement pour son éléphant… L'éléphant doit être saisi. Malheureusement, ça ne marche pas comme ça en Thaïlande, » conclut Wiek. « Pas encore. Bientôt peut-être. »

     

    Découvrez d'autres articles sur la souffrance des animaux de l'industrie du tourisme animalier et les précautions à prendre lors de vos prochains voyages dans le cadre de notre enquête du mois de juin.
    Cet article a été réalisé en partenariat avec la National Geographic Society.

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