Les bisons d'Amérique possèdent tous une part d'ADN de bovins domestiques

Selon une nouvelle étude, tous les bisons d'Amérique seraient dotés d'ADN de bovins domestiques : un degré d'hybridation entre ces deux espèces qui est certes surprenant mais qui, dans ce cas, n'est pas nécessairement une mauvaise chose.

De Douglas Main
Publication 18 oct. 2022, 09:45 CEST
Des bisons paissent dans la réserve indienne des Pieds-Noirs, dans le Montana. Tous les troupeaux de bisons ...

Des bisons paissent dans la réserve indienne des Pieds-Noirs, dans le Montana. Tous les troupeaux de bisons sauvages contiendraient une certaine quantité de gènes de bovins, symbole de leur rencontre avec l'humanité.

PHOTOGRAPHIE DE Kiliii Yüyan, Nat Geo Image Collection

Il fut un temps où les bisons se comptaient par centaines de millions et se déplaçaient en vastes troupeaux dans toute l’Amérique du Nord. Cependant, après leur colonisation du continent, les Européens ont commencé à tuer ces herbivores en masse. Leur nombre a ainsi rapidement diminué et, dans les années 1870, le bison d’Amérique était proche de l’extinction, sa population totale ne comptant pas plus de 500 individus environ.

Mais les bisons sont des survivants. Un petit troupeau dans ce qui est aujourd’hui le parc national de Yellowstone et une autre petite population au Canada sont parvenus à se maintenir. Une poignée d’éleveurs ont également gardé quelques individus, et la plupart d’entre eux ont expérimenté l’hybridation de bisons et de bovins domestiques dans une tentative ratée de créer davantage de viande bovine.

Après plus d’un siècle d’efforts de conservation, les animaux ont réussi à se reconstituer de façon spectaculaire, atteignant une population totale d’environ 500 000 individus aujourd’hui.

Des traces de leurs rencontres avec l’humanité se cachent toutefois dans l’ADN de ces espèces emblématiques. Dans le cadre d'une étude publiée récemment dans la revue Scientific Reports, tous les bisons d’Amérique examinés présentent des quantités faibles, mais non négligeables, d’ADN de bovins domestiques.

Ces résultats ont surpris James Derr, biologiste à l’université A&M du Texas et coauteur de l’étude. « J’étais dans le déni. C’était comme si on m’avait donné un coup de poing dans le visage. »

Selon le scientifique, le résultat est bouleversant, car on pensait autrefois que les bisons de Yellowstone et de quelques autres populations étaient exempts de gènes bovins. Mais cette nouvelle n’est pas nécessairement une mauvaise chose : certaines des restrictions gouvernementales concernant l’élevage des bisons, telles que la prévention du flux génétique dans certaines populations de peur de ruiner la « pureté » génétique de l’espèce, pourraient s’avérer inutiles.

« Cela ouvre des possibilités de gestion [des troupeaux] basées sur les meilleures ressources disponibles », ajoute Derr.

Un bison dans le parc national de Yellowstone. Un individu du parc avait 0,24 % d'ADN bovin, ce qui est relativement faible. En comparaison, de nombreux humains européens et asiatiques ont des génomes contenant 2 % ou plus d'ADN néandertalien.

PHOTOGRAPHIE DE Andy Coleman, Nat Geo Image Collection

Mark Kossler, vice-président des opérations de ranch pour Turner Enterprises Inc., qui possède plus de 50 000 bisons élevés pour la production de viande, est du même avis.

« L’industrie du bison est divisée au sujet de l’introgression des gènes bovins. Certains ne s’en soucient pas et d’autres sont obsédés par la "pureté" de la génétique de leurs bisons, que ce soit pour leur production ou leur conservation », écrit-il dans un e-mail.

Désormais, « tout le monde doit prendre une grande respiration et se détendre un peu, puisque [apparemment] tous les bisons possèdent quelques gènes bovins. »

 

HYBRIDATION ET CONSERVATION

Le bison et le bovin domestique ont divergé à partir d’un ancêtre commun il y a environ trois millions d’années. Mais comme de nombreux mammifères apparentés, ils peuvent encore se croiser et engendrer des hybrides fertiles.

Des recherches récentes ont montré que les preuves d’hybridations passées sont beaucoup plus fréquentes qu’on ne le pensait. Les humains, par exemple, possèdent des quantités importantes de gènes provenant des Néandertaliens et des Dénisoviens, deux espèces distinctes d’ancêtres semblables à l’être humain actuel. Les génomes de nombreux Européens et Asiatiques contiennent 2 % de gênes de Néandertaliens, et ceux de certains Mélanésiens contiennent 6 % de gênes de Dénisoviens.

« Nous découvrons de plus en plus souvent que de nombreuses espèces présentent des traces de flux génétiques récents ou anciens, datant de l’époque où il existait des lignées distinctes », explique Oliver Ryder, directeur de la génétique de la conservation au Zoo de San Diego Wildlife Alliance, qui n’était pas impliqué dans l’étude.

Bien que l’Homme soit responsable d’une grande partie de l’hybridation entre les bisons et les bovins domestiques, il est probable qu’une partie ait été accidentelle ou engendrée par les bovins qui s’échappaient dans la nature et se reproduisaient avec des bisons sauvages. Bien que, en général, les deux espèces aient tendance à s’éviter, il n’est pas rare que des bisons mâles s’accouplent avec des bovins femelles.

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    Une poignée d’éleveurs ont joué un rôle essentiel dans la conservation du bison suite à la tentative d’éradication de l’espèce par les colons européens, qui avait notamment pour objectif de priver les Amérindiens de leur principale source de nourriture. À la fin du 19e siècle, Charles Goodnight du Texas, Fred Dupree du Montana, Charles Jones du Kansas et Walking Coyote du Montana (un membre de la tribu des Pend d’Oreilles), ont élevé des troupeaux de bisons issus de veaux sauvages. S’ils ne l’avaient pas fait, l’espèce aurait probablement disparu.

    Tous ces éleveurs, à l’exception de Walking Coyote, sont connus pour avoir encouragé un certain degré d’hybridation avec les bovins domestiques. Le troupeau de Coyote a été acquis par d’autres éleveurs qui ont croisé ces animaux avec des bisons qui avaient déjà été croisés avec des bovins par le passé.

    À Yellowstone, pour augmenter la population de bisons qui ne comptait plus qu’une trentaine d’individus en 1900, les responsables de la faune sauvage ont fait venir des bisons provenant de troupeaux privés du Texas et du Montana. Même si ces animaux importés avaient des antécédents d’hybridation avec des bovins, la quantité d’ADN bovin qu’ils portaient, s’ils en portaient, était inconnue.

     

    LES EFFETS DE L’HYBRIDATION

    Pour l’étude, les chercheurs ont séquencé les génomes entiers de dix-neuf bisons actuels et de huit spécimens de bisons anciens provenant de divers endroits des États-Unis et du Canada, choisis pour représenter toutes les lignées de bisons connues. Le professeur adjoint Brian Davis et le doctorant Sam Stroupe, tous deux coauteurs de l’étude, ont comparé ces génomes complets de bison avec ceux d’autres bisons et des bovins domestiques, en se concentrant sur l’ADN nucléaire. Stroupe a également ratissé les archives historiques afin de déterminer quels bisons provenaient de quelles populations, et dans quelles régions ils s’étaient retrouvés.

    Les résultats ont révélé la présence d’ADN bovin dans la totalité des échantillons, même si la quantité était généralement faible, représentant entre 0,5 et 2,5 % de l’ADN total. C’est le bison de Yellowstone qui en présentait la plus petite part ; un individu ne possédait que 0,24 % d’ADN bovin.

    L’étude a également trouvé de l’ADN bovin dans deux échantillons de bisons datant la fin du 19e siècle, antérieurs aux expériences d’hybridation à grande échelle du début du 20e siècle. Ce résultat suggère qu’une reproduction encore plus ancienne a dû avoir lieu entre les deux espèces, potentiellement lorsque des bovins domestiques s’échappaient de leur captivité.

    On ignore l’ampleur de l’impact qu’a eu cet ajout d’ADN bovin sur le bison sauvage mais, selon Derr, il est peu probable qu’il ait joué un rôle important. On savait déjà que certains bisons sauvages possédaient de l’ADN mitochondrial bovin, qui se transmet de la mère à sa progéniture et qui peut avoir des effets négatifs sur la croissance et la taille globale de cette dernière. Cependant, de tels gènes n’ont été trouvés ni dans les populations des parcs de Yellowstone et de Wind Cave, ni dans certaines des autres populations sauvages.

    Selon Ryder, il ne faut pas voir ces résultats en termes de pureté, qui est un concept humain difficile à concilier avec le développement complexe qui définit de nombreuses espèces animales.

    Davis est du même avis. L’expert souligne que l’hybridation est une composante essentielle de l’évolution et qu’elle joue un rôle dans le développement de nombreuses espèces. « Rien qu’au sein des mammifères, nous observons des hybridations récentes et continues à plusieurs reprises dans les populations naturelles de lapins, d’ours, de nombreux rongeurs, de chats d’Amérique du Sud et même de loups d’Amérique du Nord. » En outre, compte tenu de l’importante chute qu’a connue la population de bisons, le fait de disposer de gènes extérieurs provenant de bovins pourrait finalement avoir renforcé la diversité et la santé globale de l’espèce.

    Un bison d'Amérique se tient sur une colline à Yellowstone. Selon Brian Davis, de l'université A&M du Texas, de nombreux mammifères présentent des preuves d'hybridation passée. « Si nous regardons au-delà des mammifères, vers les oiseaux et les reptiles, le nombre d'espèces qui s'hybrident entre elles est gigantesque. »

    PHOTOGRAPHIE DE Ronan Donovan, Nat Geo Image Collection

    Pour Rurik List, écologue à l’Université autonome métropolitaine de Mexico, qui n’était pas impliqué dans l’étude, ces résultats sont tristes. Cependant, d’une certaine manière, ils ne sont pas aussi importants que l’effort actuel qui vise à restaurer le bison. L’animal offre en effet une variété de bienfaits, augmentant par exemple de manière considérable la diversité végétale et animale dans les prairies, ce qui aide ces environnements à prospérer. C’est également le cas des bisons qui possèdent des traces de gènes de bovins ; leur fonctionnement en termes d’écologie n’est pas différent de celui du bison d’origine, ce qui est essentiel, poursuit l’expert.

     

    LA DIFFÉRENCE IMPORTE PEU

    Les résultats de cette étude intriguent également les éleveurs d’Amérique du Nord. La majeure partie des 500 000 bisons d’Amérique sont des propriétés privées destinées à la production de viande.

    « Les producteurs de bisons recherchent une génétique diversifiée, idéalement exempte d’ADN bovin, pour élever des troupeaux sains. Mais cette étude montre que même avec de petites quantités d’ADN bovin, l’espèce ressemble et se comporte toujours comme le bison », explique Jim Matheson, directeur général de la National Bison Association, une association à but non lucratif regroupant des producteurs et amateurs de bisons.

    Selon les auteurs de l’étude, il est peu probable qu’il existe encore des individus ne possédant pas de gènes bovins.

    « Aucun grand troupeau n’est exempt d’introgression bovine, [mais] il pourrait rester quelques individus, par-ci par-là », affirme Davis.

    Kossler, l’éleveur du Montana, garde espoir. Sa philosophie est toutefois la suivante : « Arrêtons de nous inquiéter de ce que nous ne pouvons pas changer, sélectionnons les meilleurs animaux disponibles pour le travail de conservation, et faisons avec ».

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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