Les espèces invasives de fourmis mettent en péril les écosystèmes du monde entier

Plus de 500 espèces de fourmis ont été découvertes dans des régions extérieures à leurs aires de répartition naturelles : un phénomène bien plus dangereux pour les écosystèmes locaux que ne le pensaient autrefois les spécialistes.

De Rebecca Dzombak
Publication 25 janv. 2023, 17:50 CET
Une fourmi de feu invasive (ou envahissante), connue sous le nom de Solenopsis geminata, est présente ...

Une fourmi de feu invasive (ou envahissante), connue sous le nom de Solenopsis geminata, est présente dans la plupart des régions tropicales du monde, où elle cause des dommages sur l'écologie et des désagréments sur les humains qu'elles piquent.

PHOTOGRAPHIE DE Solvin Zankl, Nature Picture Library

En 2001, à Brisbane, en Australie, un employé des télécommunications a été envoyé à l’hôpital pour une piqûre d’insecte qui le brûlait gravement. L’arrivée de la fourmi de feu (Solenopsis geminata), originaire d’Amérique du Sud et connue pour son venin, son agressivité et sa capacité à provoquer des dégâts dans les exploitations agricoles, a alors suscité une inquiétude soudaine dans tout le pays. Comme l’écriront plus tard les scientifiques, combattre son invasion était, « une guerre que nous ne pouvons pas nous permettre de perdre ».

C’est par le biais du transport de marchandises et de cargaisons que les fourmis dites « exotiques » se répandent accidentellement en dehors de leurs aires de répartition d’origine. De nombreuses tentatives humaines sont mises en place afin de les arrêter.

Les petites envahisseuses parviennent malgré tout à se répandre. Les fourmis de feu argentines ont formé une super-colonie qui s’étend du Portugal à l’Italie. Sur la minuscule île de Yap, la fourmi électrique (Wasmannia auropunctata) a forcé les agriculteurs à abandonner leurs champs, et sur l’île Christmas, les fourmis folles jaunes (Anoplolepis gracilipes) s’attaquent aux célèbres crabes de la région.

Selon un nouvel article, ce problème aurait des conséquences encore plus importantes que nous le pensions.

Des agent.es de Fukuoka, au Japon, recherchent des fourmis de feu après la découverte de quelques individus, en 2017. Le pays mène une guerre contre les fourmis exotiques, et essaie de les empêcher de s'établir. Les îles, qui ont tendance à être petites et biologiquement isolées, sont des hauts lieux d'invasion ; leurs espèces indigènes sont donc souvent faciles à supplanter.

PHOTOGRAPHIE DE The Yomiuri Shimbun, AP Images

L’étude, publiée récemment dans Current Biology, fait état de deux fois plus de cas de fourmis exotiques que ne le laissaient entendre les données antérieures : plus de 500 espèces de fourmis ont été trouvées dans des régions dans lesquelles elles n’étaient pas censées être. Seul un tiers de ces espèces a été repéré aux frontières, le reste étant passé inaperçu.

« Nous commençons à peine à réaliser l’ampleur de la situation », affirme Mark Wong, écologiste à l’université d’Australie-Occidentale, auteur principal de la nouvelle étude, et explorateur National Geographic avec son co-auteur Benoit Guénard.

 

DES TOURISTES DE LONGUE DATE

Depuis que nous, humains, avons commencé à nous déplacer à travers le monde, les fourmis voyagent à nos côtés, en utilisant principalement comme véhicules des marchandises telles que des aliments, les plantes et la terre. Ces fourmis « touristes », comme les a surnommées un article de 1939, voyagent dans le monde entier au moins depuis le 17e siècle.

Les fourmis exotiques peuvent endommager les écosystèmes en perturbant les relations entre les organismes, en consommant des ressources et en tuant d’autres organismes. Ces dégâts s’accumulent. Entre 1930 et 2021, les fourmis invasives ont causé des pertes économiques estimées à une valeur de 47 milliards d’euros. En plus d’être coûteuse et dangereuse, leur présence peut aussi être tout simplement dérangeante, que ce soit en envahissant nos cuisines, ou en mordant les enfants dans la cour de récréation.

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    Des fourmis de feu importées (Solenopsis invicta), se nourrissent de miel au zoo de Dallas. Cette espèce compte parmi les plus répandues et les plus dévastatrices sur le plan écologique.

    PHOTOGRAPHIE DE Joël Sartore, National Geographic Photo Ark

    Outre sa petite taille, le comportement d’une espèce aide également à déterminer si nous remarquerons ou non sa présence. « Certaines peuvent passer inaperçues », explique Cleo Bertelsmeier, écologiste spécialiste des fourmis à l’Université de Lausanne, qui n’a pas participé à l’étude. « Ici, en Suisse, nous avons une nouvelle espèce invasive [de fourmis], et nous remarquons leur présence car elles fabriquent des sentiers, comme une autoroute. »

    Pour arrêter les fourmis exotiques, il est crucial de savoir où chercher, et c’est là que le travail de Wong entre en jeu. Avec ses collègues, il a passé au peigne fin 146 000 observations mondiales de fourmis exotiques au cours des 200 dernières années. La carte qui en résulte révèle que, selon les espèces, les fourmis peuvent établir des colonies presque partout sur la planète. Environ 60 % des fourmis exotiques ont été « naturalisées », c’est-à-dire qu’elles s’adaptent à leur environnement et vivent en extérieur, tandis que les autres sont plutôt en intérieur ou dans des marchandises interceptées aux frontières.

    Selon Wong, la diversité des fourmis naturalisées constitue un défi de taille dans la mission visant à arrêter leur propagation.

     

    ARRÊTER LES FOURMIS

    Pour arrêter les fourmis exotiques, les écologistes et professionnels doivent connaître leur origine ainsi que les endroits où elles pourraient s’arrêter en cours de route. Selon l’article, la plupart de ces envahisseuses proviennent de régions tropicales et subtropicales, en particulier de l’Amérique du Sud centrale et septentrionale et des îles de l’Asie du Sud-Est : des régions où la densité et la diversité des fourmis sont élevées.

    « Ce que nous avons montré, c’est d’où viennent les espèces et où elles finissent par aller », explique Wong. « Mais la pièce manquante, c’est comment elles sont arrivées là. » Pour la plupart des espèces, selon l’écologiste, nous ne le savons tout simplement pas.

    Le changement climatique doit également être pris en compte. « De manière générale, le changement climatique favorisera probablement les invasions, car un grand nombre de fourmis invasives sont des espèces tropicales ou subtropicales : davantage de zones deviendront ainsi adaptées à leur présence », explique Bertelsmeier. « C’est particulièrement inquiétant pour les hauts lieux de biodiversité » qui, bien souvent, sont à la fois vulnérables et accueillants face à l’arrivée de fourmis.

    Il sera essentiel d’améliorer leur détection aux frontières. Des recherches comme celles de Wong, qui révèlent quelles régions sont les plus « donneuses » en fourmis, pourraient aider les pays à déterminer comment adapter leurs mesures de surveillance aux types de fourmis qui ont tendance à venir de ces régions. Les pays pourront ainsi mettre en place des contrôles stricts sur les plantes et les sols entrant sur leur territoire, comme l’ont fait la Nouvelle-Zélande et l’Australie.

    Selon Benjamin Hoffman, écologiste spécialiste des fourmis envahissantes au CSIRO en Australie, qui n’a pas participé à la rédaction de l’article, une collaboration et une coopération accrues sont nécessaires entre les pays.

    « Plus nous travaillons ensemble, mieux c’est. » Une bonne collaboration existe déjà dans le Pacifique ; la Nouvelle-Zélande a travaillé avec les pays donneurs de fourmis sur la gestion des espèces envahissantes et a réduit le taux de contamination [par les fourmis] d’environ 99 %, décrit Hoffman.

    Le spécialiste est néanmoins réaliste quant au degré d’évolution qui doit être implémenté dans le système de détection de ces insectes. « Je dirais que nous nous débrouillons très mal à l’échelle mondiale », déplore-t-il.

    L’être humain n’est parvenu à éradiquer les fourmis exotiques déjà établies dans la nature qu’une petite cinquantaine de fois. Selon Bertelsmeier, la clé est d’arrêter les envahisseuses le plus tôt possible. « Si nous voulons agir pour les arrêter, il faut impérativement le faire à un stade précoce. Une fois qu’elles se sont répandues, nous pouvons oublier cette idée. »

    Dans le cas de l’invasion de fourmis de feu importées en Australie, les expert.es ont travaillé rapidement pour contenir la propagation des fourmis, et sont parvenus à une quasi-éradication : un résultat rare, mais positif… même si la menace persiste.

    De tels efforts sont certes coûteux, « mais si nous perdons la bataille de l’éradication de l’espèce, le coût sera bien plus élevé », conclut Hoffman.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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