Miss Somalie, reine de beauté au service de la cause climatique

Khadija Omar, Miss Monde Somalie 2021 née dans un camp de réfugiés, use de son influence pour faire évoluer les mentalités sur le changement climatique dans son pays d'origine, en proie à des épisodes de sécheresse extrême.

De Neha Wadekar
Publication 21 juin 2022, 12:26 CEST
Khadija Omar, Miss Somalie, pose pour une photographie sur les rives du fleuve Tana, près de Garissa, au ...

Khadija Omar, Miss Somalie, pose pour une photographie sur les rives du fleuve Tana, près de Garissa, au Kenya.

PHOTOGRAPHIE DE Ed Ram, National Geographic

GARISSA, KENYA – Khadija Omar, 21 ans, se tient près de l’abreuvoir d’une réserve de girafes dans le comté de Garissa, dans le nord du Kenya. Elle porte une écharpe en soie sur laquelle est écrit « Miss Somalie », et un large chapeau de soleil pour protéger sa peau de la chaleur torride du début d’après-midi.

Elle suit l’explorateur National Geographic Abdullahi Ali, biologiste de la faune sauvage et l’un des plus grands spécialistes mondiaux de la conservation de la girafe et de l’antilope hirola, une espèce menacée, dans le cadre d’un voyage dans le nord du Kenya pour étudier les effets du changement climatique sur la faune sauvage de la région. Ali verse un sac de cosses d’acacia séchées dans l’auge et explique qu’il n’y a pas eu de pluie dans la région depuis des mois, et donc pas de nourriture pour les animaux. L’équipe du sanctuaire des girafes les maintient en vie grâce aux cosses et à l’eau apportée par camion depuis le fleuve Tana, situé non loin de là. Khadija Omar, récemment couronnée Miss Somalie, écoute attentivement. Puis elle sort son téléphone pour prendre un selfie au bon moment : elle-même au premier plan, les girafes affamées à l’arrière-plan.

Gauche: Supérieur:

Des hommes traversent un troupeau de chèvres mortes dans la région de Sinujiif, le 15 novembre 2013, quelques jours après qu'une tempête féroce a provoqué de fortes inondations dans la région du Puntland, au nord-est de la Somalie, l'une des régions qui sont violemment frappées par les effets du changement climatique.

PHOTOGRAPHIE DE Mohamed Abdiwahab, AFP, Getty Images
Droite: Fond:

Des réfugiés marchent dans les eaux de crue en 2018 après une forte averse de saison des pluies au camp de réfugiés de Dadaab, dans le nord-est du Kenya. Tous les Somaliens ne fuient pas le conflit. Beaucoup sont devenus des réfugiés climatiques en raison de l'aggravation des sécheresses, des inondations et des cyclones qui frappent la Corne de l'Afrique.

PHOTOGRAPHIE DE Yasuyoshi Chiba, AFP, Getty Images

Cette région a été malmenée par le changement climatique. Plusieurs saisons consécutives de faibles précipitations ont provoqué une sécheresse dans les comtés de Garissa, Wajir et Mandera. Les animaux sauvages et le bétail meurent de faim et de soif. Près de 20 millions de personnes dans la Corne de l’Afrique souffrent de la faim et du manque de revenus.

Omar est la première femme à représenter la Somalie, une nation conservatrice et en proie à des conflits, dans un concours de beauté. Quelques jours seulement après cette visite au sanctuaire kenyan, elle s’est envolée pour Porto Rico afin de participer au concours de Miss Monde, où elle s’est classée parmi les douze premières concurrentes.

Ces dernières années, en raison des critiques croissantes les jugeant antiféministes, de nombreux concours de beauté ont mis l’accent sur l’éducation et l’intelligence des candidates. Chaque femme qui participe au concours de Miss Monde doit choisir une plateforme militante à promouvoir pendant son règne d’un an. Omar a choisi le changement climatique dans la Corne de l’Afrique.

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    Vue sur le camp de réfugiés de Dadaab, l'un des plus grands du monde. Il a été créé en 1991 lorsque des réfugiés fuyant la guerre civile en Somalie ont commencé à franchir la frontière du Kenya. Il abrite actuellement environ 220 000 personnes, selon le HCR, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés.

    PHOTOGRAPHIE DE Nichole Sobecki

    NÉE DANS UN CAMP DE RÉFUGIÉS

    Khadija Omar est née de parents somaliens dans le camp de réfugiés de Dadaab, dans le comté de Garissa, où elle a vécu jusqu’à l’âge de 9 ans. Sa mère a fui les combats intenses en Somalie et a rejoint les centaines de milliers de personnes qui ont fui le pays au cours des trente dernières années. En janvier 2020, les Nations unies ont enregistré plus de 750 000 réfugiés somaliens vivant dans des pays voisins comme le Kenya, l’Éthiopie et le Yémen.

    Mais tous les Somaliens ne fuient pas en raison du conflit. Nombreux sont ceux qui sont devenus des réfugiés climatiques en raison des sécheresses, des inondations et des cyclones en augmentation dans la Corne de l’Afrique. En 2020, les cyclones et les inondations ont fait se déplacer plus de 1,3 million de Somaliens, selon le HCR, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés. Entre janvier et juin 2021, on estime que 68 000 personnes ont été déplacées par la sécheresse et 56 500 autres par les inondations. Ces chiffres s’ajoutent aux 359 000 personnes contraintes de fuir les conflits et l’insécurité, selon les chiffres de l’ONU.

    Une place de marché animée dans le camp de réfugiés de Dadaab.

    PHOTOGRAPHIE DE Nichole Sobecki, National Geographic

    Grandir à Dadaab, qui accueille officiellement près de 220 000 réfugiés, principalement somaliens, a été tumultueux. Les parents d’Omar lui ont raconté des histoires de viols et de meurtres dans le camp qui sont restées gravées dans sa mémoire. Beaucoup de ses souvenirs d'enfance sont ponctués de moments difficiles. « Je me souviens simplement de très longues files d’attente [pour obtenir de la nourriture et de l’eau] », dit-elle. « Je me souviens que c’était très poussiéreux parce que c’était vraiment sec là-bas. »

    Quand elle avait 9 ans, sa famille a obtenu l’asile au Canada après avoir attendu des visas pendant plus de dix ans. Elle est allée à l’école dans la petite ville de Kitchener, au Canada, mais elle n’a jamais eu l’impression de s’intégrer. En tant que jeune femme noire portant un hijab, Omar dit avoir été harcelée et exclue par les autres élèves. « Le harcèlement que j’ai subi quand j’étais jeune m’a fait perdre confiance en moi », se souvient-elle. « J’ai toujours eu l’impression de sortir du lot, d’être différente. »

    Des Somaliens déplacés font la queue pour recevoir de l'aide à Beledweyne, au nord de Mogadiscio, en 2016.

    PHOTOGRAPHIE DE Mohamed Abdiwahab, AFP, Getty Images

    En grandissant, Khadija Omar a compris que cela devait changer. « Je me suis intéressée à la beauté. Mais je n’ai jamais vraiment eu de représentation de personnes comme moi », confie-t-elle. « Pourquoi ne serais-je pas pour les autres la représentation dont j’ai besoin ? ».

    Dès la fin du collège, elle s’est inscrite à des concours de beauté. Mais sa famille n’avait pas les moyens de payer les coûts très élevés : des milliers de dollars en frais d’inscription, de déplacement et de tenue. Lorsqu’elle a obtenu son diplôme d’études secondaires, elle a trouvé un emploi à temps partiel chez McDonalds et a économisé de l’argent pour participer à son premier concours, pour le titre de Miss Ontario. Elle est allée jusqu’en finale.  

    Omar a été contactée pour participer au premier concours de Miss Somalie à la fin de l’année dernière, qu’elle a remporté en portant un foulard traditionnel hijab, la première femme à le faire lors de ce concours.

    Ces expériences formatrices ont façonné sa vision du monde. Elle s’est passionnée pour deux choses : la beauté représentative, et apporter de l’aide aux femmes et aux filles qu’elle a laissées derrière elle dans le camp de réfugiés afin qu’elles aient une vie meilleure.

    « La raison pour laquelle je me soucie tant du climat est qu’en ce moment, à cause de la sécheresse, il y a des familles qui essaient de quitter la Somalie pour venir dans des camps de réfugiés, et elles meurent en chemin parce qu’elles ne peuvent pas avoir de nourriture, ni d’eau », dit-elle. « Et c’est triste qu’en tant que Somalienne, je n’aie jamais pu vivre dans mon pays. Je n’ai jamais visité mon pays… Je ne pourrai jamais le faire si le problème du climat n’est pas résolu. »

     

    UNE PLATEFORME EN PLEINE EXPANSION

    Dans sa vidéo phare, Miss Somalie commente un montage captivant d’images de violence et de catastrophes liées au changement climatique en Somalie. « Pour ma campagne Beauty with a Purpose, je vais travailler en étroite collaboration avec le HCR et la Somali Youth Action pour aider les personnes vulnérables en leur fournissant des moyens de subsistance et des programmes d’éducation climatique, en particulier pour les femmes et les enfants », explique-t-elle dans la vidéo. « Avec cette approche, je crois que je serai en mesure d’avoir un impact sur plus de jeunes somaliens, dans la compréhension et la pratique d’activités positives liées au climat. »

    En partenariat avec les Nations unies, Khadija Omar aide à reloger les personnes vulnérables d’une zone inondable et à sécuriser les sites où les personnes déplacées à l’intérieur du pays recevront un abri transitoire et des kits de secours d’urgence. Elle tire également parti de sa plateforme mondiale pour collecter des fonds en leur faveur.

    Omar n’est pas la première candidate de concours de beauté à parler du changement climatique en Afrique. Georgie Badiel Liberty, mannequin et Miss Afrique 2004, originaire du Burkina Faso, a utilisé sa plateforme pour s’attaquer au problème du manque d’eau potable dans son pays d’Afrique de l’Ouest. Enfant, cette dernière se souvient avoir parcouru des kilomètres pour aller chercher de l’eau potable pour sa famille. Aujourd’hui, grâce à la fondation Georgie Badiel, elle construit et restaure des puits au Burkina Faso, et forme des femmes locales à devenir des ingénieures et expertes en entretien de puits. À ce jour, la Fondation a fourni de l’eau potable à plus de 300 000 personnes, restauré 148 puits, et construit 21 puits et 1 puit à énergie solaire.

    « Sans eau potable, une femme ne peut pas devenir autonome. On ne peut pas éduquer une fille sans eau potable », déclare Liberty. « L’eau est primordiale. »

    Omar, elle aussi, est en train de créer une organisation. K Amani est une marque de produits de beauté dont le slogan est « Be your own kind of beauty », c’est-à-dire « Soyez votre propre beauté ». Elle a pour ambition de fabriquer du maquillage à base d’ingrédients durables pour les femmes racisées. Elle a également créé la K Amani Foundation, la branche philanthropique de sa future entreprise, qui se concentre sur les différents défis auxquels sont confrontées les femmes et les filles dans le monde. La fondation a commencé par aider les femmes et les filles somaliennes à avoir accès à des serviettes hygiéniques réutilisables et respectueuses du climat dans les camps de réfugiés, en partenariat avec l’organisation Pad Mad Kenya. Les partenaires les sensibiliseront également aux pratiques d’hygiène sanitaire et au changement climatique.

    Ces projets en sont encore à leurs débuts. La jeune femme s’efforce de trouver des partenaires capables de fabriquer le type de maquillage qu’elle souhaite créer, et d’obtenir l’autorisation du gouvernement kenyan et des Nations unies pour se rendre dans les camps de réfugiés. Et si elle admet qu’elle n’a pas le sens des affaires qui est normalement requis pour faire démarrer l’organisation, elle a la passion et une plateforme en pleine expansion.

     

    LES CÉLÉBRITÉS PEUVENT-ELLES SAUVER LE MONDE ?

    Les célébrités et les influenceur.ses qui s’impliquent dans la question du changement climatique ne sont pas toujours honnêtes. En 2017, des chercheurs ont publié un article intitulé « Célébrités et changement climatique » décrivant certains des principaux défis posés par l’activisme des célébrités, à savoir leur niveau d’implication superficiel, et la possibilité de détourner l’attention des véritables problèmes de destruction liés au changement climatique dans le monde.

    « On peut dire que les célébrités ont [utilisé]… leur statut de célébrité pour attirer l’attention des médias et de la culture sur le changement climatique, en contribuant à le faire entrer dans la sphère de la culture populaire, et en utilisant leurs bases de fans pour mobiliser l’engagement et l’action via les réseaux sociaux », peut-on lire dans le document. « Mais ils l’ont fait par le biais de ce que l’on pourrait appeler le "spectacle" : des apparitions médiatiques très visibles, accrocheuses et visuellement exubérantes qui ont le potentiel de détourner l’attention du public des "vrais" problèmes environnementaux. »

    Parmi les célébrités militantes pour le climat les plus connues figurent Leonardo DiCaprio, Jane Fonda, Emma Thompson et Pharrell Williams. Le prince William figure également sur cette liste, bien qu’il ait récemment été critiqué pour avoir plaidé pour la lutte contre le changement climatique tout en volant en jet privé dans le monde entier.

    « Je viens de voir le prince William à la télévision faire la morale sur le changement climatique. J’aimerais savoir quelle est l’empreinte carbone de la famille royale (et de son entourage) au cours des cinquante dernières années ? », a posté un compte Twitter.

    Mais deux auteurs de l’article, Michael K. Goodman et Julie Doyle, sont optimistes quant aux efforts de Khadija Omar.

    « Une chose qui est vraiment intéressante à son sujet, c’est son histoire », dit Goodman. « Elle s’exprime en tant que réfugiée somalienne qui a déménagé au Canada et parle ensuite au nom d’autres Somaliens qui sont confrontés au changement climatique et à la crise des réfugiés. Elle est capable de parler depuis cette position d’authenticité. »

    « C’est une jeune femme [racisée] qui a des expériences de vie différentes de celles d’autres personnalités publiques ou de célébrités, et elle les utilise pour attirer l’attention sur une question importante et établir des liens entre le changement climatique et la justice climatique, et les réfugiés et la migration », dit Doyle.

    Omar n’a pas encore des millions d’adeptes. Elle est davantage une influenceuse qu’une célébrité. Mais elle rêve de suivre les traces de femmes comme Halima Aden, un mannequin américain d’origine somalienne qui compte plus de 1,3 million d’abonnés sur Instagram et qui est connue pour avoir été le premier top model hijabi.

    Pour la jeune femme, le concours de beauté est un moyen d’avoir un impact, et ce même compte tenu des tensions entre cette institution qui, dans son histoire, s’est principalement concentrée sur le physique de ses candidates, et les femmes qui deviennent autonomes et déterminées, et qui utilisent cette plateforme pour s’engager.

    « Même si quelqu’un utilise cette histoire [pour construire sa marque], c’est mieux que de ne rien dire », dit Omar. « La beauté est quelque chose que j’aime. C’est incroyable que je puisse utiliser la mode, le maquillage, tout en ayant un impact sur le monde. »

    Neha Wadekar est une journaliste multimédia indépendante dont le travail porte sur des questions liées au climat, au genre, aux conflits, à la santé, aux droits humains, aux démocraties émergentes et à la politique.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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