La géologie de la Terre est unique dans le système solaire

Des roches comme les calcaires et le granite, très courantes sur Terre, sont extrêmement rares sur les autres mondes qui composent notre système solaire. Pourquoi notre planète se démarque-t-elle autant des autres ?

De Elise Cutts
Publication 16 oct. 2023, 18:18 CEST
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Il serait difficile de trouver des paysages calcaires comme celui-ci, photographié dans la Forêt de Pierre de la province du Yunnan, en Chine, sur d'autres mondes de notre système solaire. En effet, la vie est à l'origine de l'abondance du calcaire sur Terre.

PHOTOGRAPHIE DE Chad Copeland, Nat Geo Image Collection

Des scientifiques ont récemment fait une découverte surprenante sur la face cachée de la Lune : un point chaud situé dans une ancienne caldeira volcanique, réchauffé par des éléments radioactifs contenus dans du granite retrouvé dans une chambre magmatique solidifiée.

Le granite étant légèrement radioactif sur Terre, les chercheurs n’ont pas été surpris d’apprendre qu’il l’était également sur la Lune. Ce qu’ils ne prévoyaient pas en commençant leurs recherches, cependant, c’était de trouver du granite en dehors de la Terre. En effet, sur notre planète, cette roche ne se forme en abondance que grâce à la présence d’eau liquide et à une tectonique des plaques active : deux éléments dont la Lune est dépourvue.

Compte tenu de ce que nous savons des autres mondes qui composent le système solaire, tout semble indiquer que la Terre est une bizarrerie géologique. Le granite n'est pas la seule roche considérée comme ordinaire sur cette dernière, mais rare sur d'autres planètes.

La communauté scientifique tente, en se basant sur nos connaissances actuelles, de déterminer quelles autres roches pourraient être rares, voire inexistantes sur les autres objets qui composent le système solaire. En effet, si la Lune peut encore surprendre les géoscientifiques malgré les multiples visites réalisées sur sa surface, alors les systèmes géologiques des mondes qui n’ont pu être explorés qu’à l’aide de rovers ou de sondes, ou seulement observés à l’aide de télescopes, pourraient nous réserver bien des surprises.

 

LE RECYCLAGE DU MAGMA

Les roches ignées, formées par le refroidissement et la solidification du magma, n’ont rien d’exceptionnel dans notre système solaire. Les surfaces de la Lune, de Mars, de Mercure, de Vénus et même d’Io, la petite lune de Jupiter, sont toutes majoritairement volcaniques. En règle générale, cependant, le magma ordinaire n’engendre pas la production de granit : il doit, pour ce faire, passer par un processus complexe de recyclage.

Selon le géoscientifique planétaire Harry McSween, de l’Université du Tennessee, lorsqu’il sort des profondeurs d’une planète, le magma commence par former une roche foncée : le basalte. Le granite, quant à lui, se forme lorsque certaines parties des roches issues du magma refondent, et ce à plusieurs reprises. Les minéraux comme le quartz, par exemple, fondent facilement : ainsi, lorsque les roches commencent à fondre, ces derniers peuvent se liquéfier et se séparer des morceaux solides. Le nouveau magma recyclé qui résulte de ce processus forme de nombreux types de granite, qui constituent la majeure partie de la croûte continentale de la Terre.

Grâce à la tectonique des plaques et à l'eau, notre planète peut facilement produire des roches comme le granit bleu qui compose la Pedra Azul, au Brésil.

PHOTOGRAPHIE DE David Evans, Nat Geo Image Collection

Sur Terre, ce processus de « recyclage » se produit généralement dans des zones de subduction, où des croûtes océaniques s’enfoncent sous des croûtes continentales. Ces croûtes se réchauffent à mesure qu’elles descendent dans les profondeurs et, l’humidité facilitant la fonte de la roche, la subduction, qui fait descendre de l’eau dans la Terre, permet à la croûte de fondre plus facilement.

« Grâce à la tectonique des plaques et à l’eau, la Terre peut fabriquer du granite facilement et continuellement », explique le planétologue Matthew Siegler, du Planetary Science Institute de Tucson, dans l’Arizona, qui a contribué à repérer le granite sur la Lune. « Mais aucune des autres planètes ne présente cette particularité. »

C’est pourquoi Mercure, Vénus, Mars et même la lune volcanique de Jupiter contiennent beaucoup de basalte, mais très peu de granite. C’est également la raison pour laquelle les volcans des autres planètes sont plus plats que les nôtres : le basalte fondu est plus fluide que le magma recyclé et s'étale donc plus facilement, créant ainsi de larges volcans « boucliers », comme Olympus Mons sur Mars.

 

LA TERRE ABRITE DES ROCHES UNIQUES

Du fait de l’abondance d’eau qui lui confère son surnom, notre planète bleue est unique dans le système solaire. Et l’eau ne se contente pas de faire fondre les roches : elle contribue également à les faire adhérer les unes aux autres.

Les roches sédimentaires comme le grès se forment grâce à l’érosion de roches préexistantes, qui laissent derrière elles des morceaux qui s’empilent et se collent les uns aux autres, et forment ainsi de nouvelles roches. La pression favorise ce processus, mais ne peut pas faire le travail toute seule : « de l’eau est nécessaire pour coller les différentes particules qui s’assemblent entre elles », décrit Kirsten Siebach, géologue spécialiste de la planète rouge à l’Université de Rice.

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    Gauche: Supérieur:

    Un randonneur admire la vue au sein de l'Antelope Canyon, un canyon en fentes situé en Arizona, formé par les crues soudaines qui érodent le grès de Navajo.

    PHOTOGRAPHIE DE Babak Tafreshi, Nat Geo Image Collection
    Droite: Fond:

    L'érosion et les couches sédimentaires de grès forment une courbe abstraite surnommée « the Wave » (« la Vague ») dans les buttes Coyote, dans le Pariah Canyon Vermillion Cliffs Wilderness, en Arizona.

    PHOTOGRAPHIE DE Tom Murphy, Nat Geo Image Collection

    Ce lien établi avec l’eau explique pourquoi il est rare de trouver des roches sédimentaires en dehors de la Terre. Rare, mais pas impossible : certains astéroïdes, comme Ryugu et Bénou, sont des amas de roches sédimentaires dont les blocs et les particules ne sont liés que par la gravité, explique Bethany Ehlmann, planétologue à Caltech. Mars possède également une grande variété de roches sédimentaires, formées grâce à l’eau autrefois présente sur la planète rouge, qui aurait aidé à coller les sédiments qui s’accumulaient dans les dunes, rivières et lacs anciens entre eux.

    Pourtant, selon Siebach, « toutes les roches sédimentaires que nous sommes le plus habitués à voir sur Terre n’existent pas en dehors de la Terre, et ce à cause du granite ».

    Le grès en est un bon exemple. Sur Terre, les sables sont souvent blancs et le grès est très riche en quartz, car ce minéral est très commun dans le granite et se dégrade très difficilement, si bien qu’il s’accumule dans les sédiments. Sur Mars, les ingrédients qui composent le grès sont complètement différents. À l’exception des fossiles, le grès riche en quartz constitue ainsi l’une des roches que l’on aurait le moins de chance de découvrir en dehors de notre planète, car leur formation requiert un mélange d’érosion, d’eau et de tectonique des plaques.

     

    LA VIE, CRÉATRICE DE ROCHES UNIQUES

    Bien sûr, la tectonique des plaques et l’eau ne sont pas les seuls éléments qui permettent à la Terre de sortir du lot. Notre planète est également la seule à abriter la vie ; et les roches qui la composent peuvent en témoigner.

    Le calcaire, par exemple, un type de roche riche en carbonate, est très commun sur Terre car les formes de vie qu’elle abrite en produisent en grandes quantités. En effet, les coquilles et les squelettes des créatures océaniques, en particulier ceux des récifs coralliens, s’empilent sur le fond marin à la mort des organismes. Ce sont ces restes qui, en s’assemblant les uns aux autres, finissent avec le temps par former d’énormes blocs de calcaire.

    Gauche: Supérieur:

    Les formations de karst, comme celle-ci dans la province de Guizhou, en Chine, résultent de l'érosion des roches carbonatées, principalement des calcaires.

    PHOTOGRAPHIE DE Carsten Peter, Nat Geo Image Collection
    Droite: Fond:

    Des pinacles de calcaire parsèment la baie de Hạ Long, au Vietnam.

    PHOTOGRAPHIE DE Bill Hatcher, Nat Geo Image Collection

    La vie accélère tellement la formation du calcaire sur Terre que « même les géologues pensent parfois que la formation du calcaire n’est possible que grâce à la vie », révèle Siebach. Cependant, d’autres processus peuvent également entraîner la production de roches riches en carbonate comme les calcaires, sans la participation de formes de vie. Pour cela, deux ingrédients clés sont nécessaires : un peu d’eau chaude, peu profonde et pas trop acide, ainsi qu’un peu de dioxyde de carbone, deux éléments qui ont autrefois existé sur Mars.

    Du fait de son passé plus humide et plus chaud, Mars est le deuxième endroit où l’on a le plus de chances de trouver des carbonates dans le système solaire. Toutefois, en l’absence de vie pour produire ces minéraux en masse, « les quantités que nous observons ne sont pas aussi abondantes qu’elles ne le seraient si nous vidions les océans de la Terre », selon Ehlmann.

    De petites quantités de minéraux carbonatés ont également été trouvées sur d’autres objets célestes, tels que l’astéroïde géocroiseur Bénou et la planète naine Cérès.

     

    CHALEUR, PRESSION ET MÉTAMORPHISME

    Il serait très étrange de trouver du marbre dans l’espace, et pas seulement parce qu’il est dérivé du calcaire, déjà rare dans le système solaire. En effet, le marbre est une roche métamorphique, ce qui signifie qu’il se transforme sous l’effet d'une chaleur et d’une pression extrêmes, sans fondre.

    En règle générale, sur Terre, le métamorphisme est un processus lent qui a lieu en profondeur, où le mélange de chaleur et de pression peut provoquer la transformation des roches et minéraux : c’est ainsi que le graphite devient du diamant, et le calcaire du marbre. Sur d’autres mondes, les roches métamorphiques sont souvent forgées rapidement, à la suite de l’impact d’une météorite, et non pas d’un lent processus naturel comme sur Terre.

    « Les roches sont ainsi exposées à des pressions et à des températures très élevées, mais seulement sur une très courte durée », détaille McSween.

    L'Italie est l'un des plus grands exportateurs de marbre au monde. Le plus prestigieux provient des carrières de Carrare, photographiées ici.

    PHOTOGRAPHIE DE PAOLO WOODS ET GABRIELE GALIMBERTI, Nat Geo Image Collection

    Ce type de métamorphisme « d’impact » s’est souvent produit sur Mars, mais des preuves indiquent qu’un autre type de métamorphisme, plus froid et plus doux que celui que nous connaissons sur Terre, pourrait également exister sur la planète rouge. Ehlmann et son équipe ont déjà identifié des roches métamorphiques sur Mars qui, selon la planétologue, pourraient découler de la circulation d’eaux souterraines chaudes dans des roches enfouies sous terre : un processus à basse température et à basse pression.

    La surface de Vénus, quant à elle, est si chaude qu’elle peut faire fondre le plomb et, pour McSween, cette chaleur laisse penser que la plupart des roches qui constituent sa surface sont le résultat d’un métamorphisme. Cependant, la pression atmosphérique, bien qu’écrasante par rapport à celle que nous connaissons à la surface de la Terre, n’est pas comparable à la pression du poids de plusieurs kilomètres de roches dans les profondeurs terrestres.

    En forant suffisamment profondément, selon McSween, nous pourrions trouver des roches métamorphiques sur toutes les planètes. Pourtant, la Terre reste unique en son genre. Grâce à la tectonique des plaques, les roches des profondeurs et les roches de la surface échangent continuellement de place, ce qui élargit considérablement le répertoire géologique inhabituel de notre planète.

    La Terre est dotée d’un processus efficace qui permet « de faire remonter ces roches jusqu’à la surface, et de faire descendre les roches de surface jusque dans les profondeurs pour les métamorphoser. Aucune autre planète ne dispose d’un processus capable de réaliser ce même exploit », conclut McSween.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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